On avait presque oublié Kaliningrad. Mais il était prévisible que cette petite enclave russe, coincée entre deux pays de l’Union européenne et de l’OTAN (Lituanie et Pologne), devienne à son tour source de tensions entre la Russie et les pays occidentaux dans le contexte de la guerre en Ukraine. Explications.

Quelles frictions ?

Depuis la mi-juin, la Lituanie a commencé à imposer des restrictions sur le transit ferroviaire de certaines marchandises allant du territoire russe à cette ville de la mer Baltique, dans le cadre des nombreuses sanctions imposées par l’Union européenne (UE) à la Russie.

Estimant qu’il s’agissait là d’une violation d’un accord signé avec l’UE en 2002, le Kremlin a vivement condamné cet acte qu’elle juge illégal.

INFOGRAPHIE LA PRESSE

En visite à Kaliningrad mardi, le secrétaire du Conseil de sécurité de Russie, Nikolaï Patrouchev, a déclaré que Moscou riposterait à cet acte « hostile » par des « mesures appropriées », qui auront selon lui « de sérieuses conséquences pour la population de Lituanie ».

La Russie n’a pas précisé quelles mesures de représailles étaient sur la table. Mais Maria Popova, professeure à l’Université McGill, doute que la riposte soit militaire.

Cette experte de la Russie postcommuniste assimile plutôt cette « crise » à une guerre des mots, dont l’escalade pourrait être restreinte.

« Contrairement à l’Ukraine, la Lituanie est membre de l’OTAN et donc protégée par les garanties de l’article 5. La Russie sait que si elle attaque la Lituanie, il y aura une réponse immédiate de l’Alliance. Je serais donc surprise qu’elle en arrive là. »

La zone la plus militarisée du monde

Kaliningrad, c’est le nom de la ville et de la région où elle se trouve. Un peu plus de 200 km⁠2 de superficie pour environ un million d’habitants, constituant l’un des 85 « sujets » de la Fédération de Russie.

PHOTO VITALY NEVAR, REUTERS

Vue du Pregolia, à Kaliningrad

Pris en étau entre la Pologne et la Lituanie, deux pays membres de l’UE et de l’OTAN, ce petit territoire, qui fut allemand jusqu’en 1945 (sous le nom de Königsberg), revêt une importance stratégique majeure pour Moscou, puisqu’il donne directement sur la mer Baltique et constitue un avant-poste crucial de l’armée russe en Europe.

Sa vocation militaire n’est pas nouvelle, mais face à l’expansion de l’OTAN, Moscou y a musclé sa présence, organisant notamment d’importantes manœuvres.

Ces dernières années, des missiles à vecteur nucléaire et des systèmes de défense antiaérienne S-400 y ont été installés. En février 2022, la Russie y a déployé des missiles hypersoniques, juste avant l’entrée de ses troupes en Ukraine.

En plus d’abriter le quartier général de la flotte russe en mer Baltique, la zone serait aujourd’hui l’une des plus militarisées du monde.

Son problème est qu’elle n’a pas d’accès direct au reste de la Russie. Les marchandises y sont acheminées soit par voie maritime — plus lente et plus limitée en raison des glaces —, soit par voie terrestre, en passant par la Biélorussie (alliée de Moscou), puis sur 70 km par le corridor de Suwałki qui traverse la Lituanie, ancienne république soviétique, devenue membre de l’UE et de l’OTAN en 2004.

Pas un blocus

Dénonçant un « blocus », le gouverneur de Kaliningrad, Anton Alikhanov, a estimé que près de la moitié des marchandises destinées à l’enclave russe pourraient être touchées, ce qui force Moscou à se rabattre en partie sur son réseau maritime.

Parmi les produits concernés se trouvent le charbon, les produits technologiques, les matériaux de construction et les métaux, avant un élargissement au ciment et à l’alcool en juillet prochain.

Le chef de la diplomatie européenne, Josep Borrell, a toutefois tenu à préciser que Vilnius n’agissait pas de manière unilatérale, ne faisant qu’appliquer les multiples sanctions adoptées il y a quelques semaines par l’Union européenne.

M. Borrell a par ailleurs souligné que le transport entre la Russie et Kaliningrad n’avait pas été stoppé ni interdit. « Le transit des passagers et des marchandises [non visées par les restrictions] se poursuit. Il n’y a pas de blocus », a-t-il déclaré.

Annuler l’indépendance ?

Première république soviétique à déclarer son indépendance, en 1990, la Lituanie — tout comme la Lettonie et l’Estonie — n’en est pas à ses premières frictions avec Moscou.

Maria Popova souligne que la Russie commet « des actes hostiles de basse intensité » depuis plusieurs années à l’endroit des trois pays baltes, multipliant les cyberattaques, le non-respect de certains traités et les violations de l’espace aérien.

Dernière provocation en date dans le contexte de la guerre en Ukraine : des députés russes ont fait passer au début du mois de juin un projet de loi visant à annuler la déclaration d’indépendance de la Lituanie en 1990. Mme Popova conclut toutefois que ce texte « n’a aucune valeur légale, parce que le pays qui a émis le décret d’indépendance n’était pas la Russie, mais bien l’URSS… qui n’existe plus ».

Avec l’Agence France-Presse

En savoir plus
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    Année de fondation de la ville de Königsberg, lors de l’expansion germanique en territoire slave
    1945
    À la suite des accords de Yalta, Königsberg tombe sous domination soviétique et est rebaptisée Kaliningrad