(Paris) Le parti d’extrême droite de Marine Le Pen a brisé le plafond de verre lors des élections législatives en France dimanche devenant le premier parti d’opposition et acquérant une légitimité qui lui a toujours fait défaut.

« Il y a une modification profonde du rapport des Français à l’égard du Rassemblement national (RN) », le parti de Mme Le Pen, relève Jean-Daniel Lévy, de l’institut Harris Interactive.

« On voyait que, élection après élection, Marine Le Pen progressait au premier tour comme au deuxième tour. Mais à ce niveau-là, c’est du jamais vu », dit-il à l’AFPTV.

Démentant tous les sondages qui le créditaient de 20 à 50 sièges, le RN fait une entrée en force à l’Assemblée nationale, avec 89 députés contre 8 élus dans l’ancienne législature en 2017, devançant la France insoumise (LFI, opposition de gauche radicale) qui obtient 72 sièges.

Le RN revendique ainsi d’être le « premier parti d’opposition » à la chambre basse du Parlement et, pour un parti endetté, il pourra compter sur une nouvelle manne financière.  

Sans scrutin proportionnel et sans alliances, le mouvement obtient un groupe trois fois plus nombreux que celui qu’avait présidé son père Jean-Marie Le Pen de 1986 à 1988 avec 35 députés.

« C’est une avancée fulgurante », résume le politologue Jean-Yves Camus, avec une implantation du RN « non seulement dans les régions traditionnellement bonnes » pour lui, comme dans le nord et le sud-est de la France, mais aussi dans « des zones de très grand périurbain de Paris » ou « des départements enclavés, désindustrialisés, oubliés ».

Porte-parole des fractures

Pour un autre expert, Pascal Perrineau, « le RN, peu à peu, devient un parti qui a des racines locales […] Il est devenu le porte-parole incontesté des fractures sociales et territoriales », dit-il dans le journal Le Parisien.

La finaliste de la présidentielle en 2017 et en avril dernier (41,6 % des suffrages), battue les deux fois par Emmanuel Macron, s’est dite lundi la première « surprise ».

« C’est vrai qu’on a été surpris agréablement par la mobilisation de nos compatriotes et par ce souhait que l’immigration, que l’insécurité, que la lutte contre l’islamisme ne disparaissent pas de l’Assemblée nationale », a affirmé Mme Le Pen, elle-même largement réélue dimanche soir dans son fief du nord de la France, à Hénin-Beaumont.

Elle a annoncé, au passage, qu’elle ne « reprendrait pas la tête » de son parti, pour se consacrer à la présidence du futur groupe RN à l’Assemblée nationale.

Le mouvement n’a pas attendu longtemps pour afficher ses nouvelles ambitions, en revendiquant la présidence de la puissante commission des Finances de l’Assemblée. Le poste, revendiqué aussi par la gauche, revient traditionnellement depuis 2007 au groupe d’opposition le plus important.

Question symbole, c’est un élu du RN, José Gonzalez, 79 ans et doyen d’âge, qui ouvrira mardi 28 juin la nouvelle législature.

« Dédiabolisation »

Sur le front idéologique, Marine Le Pen s’est délestée des dérapages antisémites et de l’héritage de son père, Jean-Marie Le Pen, qui fête ses 94 ans lundi : elle a opéré la mue du mouvement, poli sans relâche l’image du parti y compris en changeant le nom, et joignant dans son discours des problématiques sociales aux thèmes habituels de l’immigration et de la sécurité.

Ce faisant, elle a brisé le « front républicain » qui avait permis pendant des décennies en France de faire barrage à l’extrême droite, désormais banalisée.

Pour Gilles Ivaldi, spécialiste du programme économique du RN au Centre national de la recherche scientifique (CNRS) sur la radio franceinfo, il y a trois explications : une campagne du RN « discrète et furtive, mais sur une thématique qui était au cœur des préoccupations des Français : le pouvoir d’achat », une « stratégie de dédiabolisation du RN qui n’a jamais eu autant d’effet », et des cadres « qui sont parvenus à s’ancrer localement ».

« C’est le résultat d’une très longue implantation, avec des élus de la génération Marine Le Pen, venus pour elle et par elle, mais aussi des gens qui battent la campagne depuis très longtemps », abonde Jean-Yves Camus.

Il note aussi que les catégories populaires voient en Emmanuel Macron le champion du « mondialisme », soit le « coupable de la mondialisation » dont elles s’estiment victimes.

Comme le souligne Steven Forti, dans la revue Le Grand Continent, ce phénomène de légitimisation de l’extrême droite est à mettre en relief sur le plan européen.

« Aujourd’hui, il est clair que l’extrême droite a atteint le premier objectif : elle s’est normalisée et démarginalisée, elle a au moins partiellement gagné la bataille culturelle et elle ultra-droitise le débat public. C’est déjà une réalité dans tous les pays occidentaux », écrit-il.