À Kharkiv, le métro est devenu refuge

Le silence ne dure jamais plus d’une heure à Kharkiv, deuxième ville d’Ukraine, pilonné par l’armée russe depuis deux mois.

Les tirs d’artillerie se poursuivent jour et nuit. Impossible d’échapper aux détonations, même quand on se terre dans les couloirs du métro, comme le font des milliers d’habitants de la métropole de l’est de l’Ukraine.

Certains ne se réfugient sous terre que la nuit. D’autres ne sortent dehors que pour prendre une bouffée d’air ou promener un chien. Sans jamais s’éloigner de l’entrée de la station, où ils pourront se réfugier en cas d’alerte.

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Des milliers d’habitants de Kharkiv ont trouvé dans le métro un endroit où se réfugier des frappes russes.

Si les bombardements touchent surtout les quartiers du nord-est de la ville, aucun secteur n’est vraiment épargné par la guerre, témoigne le médecin québécois Guillaume Mongeau, arrivé à Kharkiv il y a trois semaines.

Intégré à une équipe de Médecins sans frontières (MSF), Guillaume Mongeau fait partie d’une clinique mobile qui offre des soins médicaux aux personnes réfugiées le long de la ligne bleue du métro de Kharkiv. Le réseau compte 30 stations réparties sur trois lignes – la bleue relie le centre au quartier de Saltivka, à l’extrémité nord-est de la ville.

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Un homme reçoit de la nourriture dans une station de métro devenue refuge.

Ce quartier ouvrier est de loin le plus ravagé par la guerre, a pu constater Guillaume Mongeau. Pas étonnant que les deux dernières stations de la ligne bleue, celle des Héros du travail et celle des Étudiants, soient remplies à craquer. De 800 à 1000 personnes s’y entassent la nuit, cordées comme des sardines, sur de simples matelas de sol ou des lits de fortune, raconte Guillaume Mongeau, qui a passé une nuit à l’intérieur du réseau souterrain, il y a deux semaines.

Pas facile d’y fermer l’œil, raconte-t-il en conversation téléphonique de Kharkiv.

Il faisait froid, il y avait beaucoup de bruit, toutes les lumières étaient allumées, il n’y avait presque pas d’espace pour marcher et le son des bombardements résonnait fort.

Guillaume Mongeau, de Médecins sans frontières

Depuis le début de la guerre, le métro est à l’arrêt. Ses stations conçues comme des abris antiatomiques accueillent les résidants qui n’ont pas pu fuir ou qui ont choisi de rester.

Même si la ville s’est vidée de la moitié de ses 1,4 million d’habitants, ils sont nombreux à être restés pour ne pas abandonner les leurs, a constaté le médecin québécois. Ils veulent venir en aide à leur communauté. Guillaume Mongeau est d’ailleurs ébahi par l’efficacité des services bénévoles organisés par les habitants de Kharkiv, qui distribuent de la nourriture et offrent des services de base aux résidants.

Les plus vulnérables

Selon Guillaume Mongeau, il reste relativement peu d’enfants à Kharkiv. Par contre, beaucoup de personnes âgées, des gens vulnérables, des personnes qui habitent « un quinzième étage d’un immeuble qui ne possède pas d’abri » – et qui est potentiellement exposé aux bombes. Il y a aussi ceux dont la maison a été trop endommagée par les roquettes pour qu’ils puissent y retourner. Et ceux qui se sentent trop seuls face aux bombes pour rester tranquillement chez eux.

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Les infections se répandent très rapidement dans les stations de métro, où les gens vivent dans une grande promiscuité.

Avec la promiscuité, les couloirs du métro constituent de véritables incubateurs viraux. Les infections s’y répandent à la vitesse grand V, et l’équipe de Guillaume Mongeau soigne beaucoup de rhumes, de bronchites et de pneumonies. Même après deux mois d’offensive russe, Kharkiv n’est pas coupé du monde. La ville est accessible par l’ouest et par le sud, et donc relativement approvisionnée en nourriture et en médicaments. Mais certains soins médicaux sont difficiles à obtenir. Parce que des médecins ont fui la ville, des malades ont dû interrompre leurs traitements, par exemple.

L’un des problèmes, signale Guillaume Mongeau, est l’accès aux médicaments régulant la pression artérielle. Et puis, comment respecter un minimum d’hygiène dans ces stations sans installations sanitaires dignes de ce nom, où les rares toilettes ne sont même pas pourvues de portes ? « Pour se laver, il faut apporter un seau d’eau », explique le DMongeau.

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Elena, 35 ans, et son fils Kirill, 6 ans, en consultation avec deux médecins de Médecins sans frontières dans une station de métro de Kharkiv

Ceux qui sont capables d’accéder à leur appartement pour prendre une douche le font pendant la journée. Les autres doivent se débrouiller autrement. Plus le temps passe, plus ces conditions pèsent lourd sur la santé mentale des Kharkiviens. MSF offre d’ailleurs du soutien psychologique aux réfugiés du métro, dont certains souffrent d’anxiété. « Leur stress est justifié avec ce qui se passe au-dessus de leur tête depuis deux mois », dit le DMongeau.

Il y a beaucoup de fatigue, passer deux mois sous terre, à sortir très rarement, à ne pas voir la lumière du jour, c’est dur à supporter.

Guillaume Mongeau, de Médecins sans frontières

Kharkiv n’est pas Marioupol, il y a encore un semblant de normalité dans le centre de la ville, bien que la majorité des commerces soient fermés, qu’il y ait peu de voitures et beaucoup de points de contrôle militaires.

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Une résidante de Kharkiv ayant trouvé refuge dans le métro lit un livre.

Une vie s’organise dans les couloirs du métro, avec ses spectacles, ses activités pour les enfants restés à Kharkiv. La première fois qu’il est descendu sur un quai de métro, à son arrivée à Kharkiv, Guillaume Mongeau a eu la surprise de tomber sur un concert donné par un chanteur d’opéra réputé.

« J’ai vu plus d’enfants rire que pleurer, ici », dit le DMongeau.

Reste la grande question : pendant combien de temps Kharkiv réussira-t-il à tenir psychologiquement le coup ?