Des hommes, des femmes, des vieillards, des enfants. Des artistes, des journalistes ou de simples passants. Ils avaient une adresse, un chien, des rêves et des projets. Ils sont morts sous les bombes ou ont été abattus à bout portant. En deux mois, la guerre contre l’Ukraine a coûté la vie à plus de 2000 civils ukrainiens. Et le bilan pourrait s’avérer bien pire. Au 60e jour de l'offensive russe, voici le visage de quelques-unes de ces victimes.

Oleksandra Kouchkinova, journaliste

PHOTO LUCAS TOMLINSON, FOURNIE PAR FOXNEWS

Oleksandra Kouchkinova et Pierre Zakrzewski

Oleksandra Kouchkinova aimait les arts, la photographie et la musique. Ses proches l’appelaient Sacha. Ses coéquipiers de Fox News la trouvaient drôle, énergique, incroyablement talentueuse, dévouée, travaillante. Elle avait tout juste 24 ans.

Le 14 mars dernier, un obus a frappé l’auto où elle circulait en compagnie du journaliste Pierre Zakrzewski, qu’elle accompagnait dans la couverture de la guerre qui venait de s’abattre sur son pays. Les deux ont été tués sur le coup.

PHOTO EMILIO MORENATTI, ARCHIVES ASSOCIATED PRESS

Valya Naumenko, 47 ans, identifie le corps de son mari Pavlo Ivaniouk, 57 ans, tué en pleine rue par l’armée russe lors de l’occupation de Boutcha. Son corps et celui de trois autres civils enterrés tout près sont exhumés à des fins d’enquête sur de possibles exactions.

À l’époque, l’armée russe espérait pouvoir atteindre la capitale ukrainienne et la bataille faisait rage dans la banlieue du nord-ouest de Kyiv. Oleksandra Kouchkinova et Pierre Zakrzewski se trouvaient dans le village de Horenka, tout près de Boutcha, qui était alors soumis à une occupation dont toute l’horreur ne serait révélée qu’après le départ des soldats russes.

Au moins sept journalistes ont été tués depuis le 24 février et de nombreux autres ont été ciblés par des tirs, bombardés ou arrêtés et détenus alors qu’ils tentaient de documenter l’invasion russe, note le Comité pour la protection des journalistes (CPJ).

  • Oksana Baulina

    PHOTO TIRÉE DE FACEBOOK

    Oksana Baulina

  • Brent Renaud (à droite), ici avec son frère en 2007

    PHOTO OSCAR HIDALGO, ARCHIVES THE NEW YORK TIMES

    Brent Renaud (à droite), ici avec son frère en 2007

  • Mantas Kvedaravicius

    PHOTO TIRÉE DE TWITTER

    Mantas Kvedaravicius

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Parmi les victimes figurent aussi la journaliste indépendante russe Oksana Baulina, tuée le 23 mars par un « drone kamikaze » alors qu’elle visitait un centre commercial bombardé de Kyiv ; Mantas Kvedaravicius, documentariste lituanien tué le 2 avril dans la ville assiégée de Marioupol ; le photojournaliste américain Brent Renaud, tué le 13 mars à Irpin.

Elisei Ryabukon, adolescent

PHOTO FOURNIE PAR LA FAMILLE

Elisei Ryabukon

Plus de 500 mineurs ont péri depuis le début de la guerre, selon les autorités ukrainiennes. L’UNICEF a réussi à en identifier 153 jusqu’à maintenant.

Parmi eux, le jeune Elisei Ryabukon, qui a été tué le 11 mars près du village de Peremoha, à une cinquantaine de kilomètres à l’est de Kyiv.

Ce village de moins de 1000 habitants a eu une bouffée d’espoir le jour où l’armée russe a ouvert un corridor humanitaire pour évacuer la population assiégée. Selon des témoignages recueillis par la BBC, les soldats russes ont même envoyé la main aux villageois en guise d’au revoir… avant de leur tirer dessus. Elisei Ryabukon est tombé sous les balles.

Selon ses proches, c’était un garçon tranquille qui n’aimait pas les jeux brutaux. Il était à deux mois de son 14anniversaire.

PHOTO DANIEL MIHAILESCU, AGENCE FRANCE-PRESSE

Enfin en lieu sûr, une réfugiée ukrainienne étreint son enfant après avoir franchi la frontière roumaine, le 18 avril dernier.

La guerre déclenchée par Vladimir Poutine est particulièrement cruelle pour les enfants, affirme l’UNICEF. Près des deux tiers d’entre eux, soit 4,8 millions, ont dû quitter leur maison.

« Tous les enfants ukrainiens sont en danger », écrit l’UNICEF. Selon l’organisme, durant les cinq premières semaines de la guerre, chaque jour, 22 écoles étaient ciblées par des attaques. Et c’est sans parler des enfants privés de soins, de nourriture et d’eau dans les villes assiégées.

Et de ceux qui, comme Elisei, tombent sous les balles alors qu’ils essaient de fuir la guerre.

Pacha Lee, comédien

PHOTO TIRÉE D’INSTAGRAM

Pacha Lee

La guerre est un grand égalisateur social. Elle n’épargne personne. Ces deux derniers mois ont vu périr plusieurs vedettes de la scène ukrainienne. Dont le comédien Pacha Lee.

Né en Crimée, âgé de 33 ans, il était connu pour des rôles au cinéma, notamment dans le film Fight Rules, du réalisateur ukrainien Oleskii Shapariev.

Animateur de télévision, il gagnait aussi sa vie grâce aux doublages, en prêtant sa voix au Roi Lion et à la série Le hobbit.

PHOTO VADIM GHIRDA, ARCHIVES ASSOCIATED PRESS

Une dame âgée traverse une rivière en compagnie de milliers de réfugiés pour tenter de fuir la ville d’Irpin assiégée, le 5 mars dernier

Des témoins ont rapporté que l’acteur, qui s’était engagé dans la Défense territoriale ukrainienne une semaine avant de mourir, aidait à évacuer des enfants à Irpin, près de Kyiv, lorsqu’il est tombé sous des tirs de mortier. Il aurait auparavant recouvert un enfant de son gilet pare-balles pour le protéger, selon quelques témoignages.

  • Artem Datsychyne

    PHOTO FOURNIE PAR L’OPÉRA NATIONAL D’UKRAINE

    Artem Datsychyne

  • Oksana Chvets

    PHOTO TIRÉE DE FACEBOOK

    Oksana Chvets

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Artem Datsychyne, lui, était un danseur étoile que l’on a vu interpréter des rôles principaux dans des œuvres comme Le lac des cygnes et Casse-noisettes de Tchaïkovski, au sein de l’Opéra national d’Ukraine. Comme Pacha Lee, il a troqué la scène pour le front, se joignant aux forces de la Défense nationale ukrainienne dès le début de la guerre. Blessé au troisième jour de l’invasion, il est mort à l’hôpital le 17 mars, à l’âge de 43 ans.

Une autre comédienne de renom, Oksana Chvets, âgée de 67 ans, a été tuée le 17 mars, dans le bombardement d’un immeuble résidentiel de la capitale.

Karina Yerchova, violée, torturée, assassinée

PHOTO TIRÉE DE FACEBOOK

Karina Yerchova

On ignore quel jour exactement Karina Yerchova, une jeune femme de 23 ans, a été assassinée à Boutcha, ville de la banlieue de Kyiv qui a subi l’occupation russe durant une bonne partie du mois de mars.

Sa mère a signalé sa disparition sur les réseaux sociaux le 10 mars. Son corps affreusement mutilé n’a été retrouvé qu’après le départ des troupes russes, le 31 mars, dans un charnier où étaient entassés plus de 400 corps. Karina Yerchova avait les ongles arrachés, portait des traces de contusion sur tout le corps et une partie de sa tête avait éclaté sous l’impact d’un coup de feu. D’après ce qu’a rapporté un de ses proches, la police a laissé entendre qu’elle avait été violée.

Dans un rapport publié le 3 avril, Human Rights Watch rapporte quatre autres accusations de viol commis par des soldats russes notamment près de Kharkiv, deuxième ville de l’Ukraine, mais aussi dans la région de Tchernihiv et de Marioupol. Le rapport relate le cas d’Olha, une femme de 31 ans qui a été violée à répétition, une arme à feu sur la tempe.

PHOTO ALEXEI ALEXANDROV, ARCHIVES ASSOCIATED PRESS

Le corps d’un civil gît près de ses effets personnels dans une rue de Marioupol, pilonnée sans relâche par l’armée russe depuis des semaines.

La commissaire ukrainienne aux droits de la personne, Lioudmila Denissova, rapporte de nombreux autres cas d’agressions sexuelles sur son compte Telegram. À Boutcha, une adolescente de 14 ans violée par cinq hommes est maintenant enceinte. Un garçon de 11 ans a été violé devant sa mère. Une femme de 29 ans a été tenue esclave pendant une semaine par un soldat russe.

De tels témoignages se multiplient, notamment dans les villes d’où l’armée russe a fini par se retirer. Ce qui a poussé la Cour pénale internationale à lancer une enquête sur les violences sexuelles commises par des soldats russes.

Olga Soukhenko, mairesse

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Olga Soukhenko

« Il y a des salauds étrangers dans notre village, faites attention, restez calmes, ne quittez pas vos maisons. »

C’est le message qu’a publié Olga Soukhenko, mairesse du village de Motyjyn, sur sa page Facebook, le jour où la Russie a envahi l’Ukraine.

Motyjyn est un village d’un millier d’habitants à une quarantaine de kilomètres de la capitale. Olga Soukhenko, 50 ans, dirigeait la municipalité depuis une décennie. Elle avait auparavant travaillé comme boulangère, vendeuse et éducatrice de garderie.

Pendant le premier mois de la guerre, Olga Soukhenko faisait de son mieux pour venir en aide aux habitants de la ville, ainsi qu’à ceux qui avaient fui les bombes qui s’abattaient sur la capitale. Elle organisait des convois d’évacuation et distribuait de l’aide humanitaire.

Le 23 mars, des soldats russes l’ont kidnappée, avec son mari et leur fils – connu comme un footballeur professionnel. Leurs corps mutilés ont été retrouvés dans une fosse creusée dans la forêt.

PHOTO TIRÉE DE FACEBOOK

Iouri Prylypko

Un autre maire, Iouri Prylypko, a été abattu le 7 mars alors qu’il distribuait du pain et des médicaments aux habitants de Hostomel, une ville abritant un aéroport militaire qui a été attaquée dès les premiers jours de l’invasion russe.

PHOTO SERGEI SUPINSKY, AGENCE FRANCE-PRESSE

Une femme pleure la mort de son mari lors de funérailles dans le cimetière d’Irpin, le 19 avril.