Tout en clamant que Marioupol a été pris, le président russe Vladimir Poutine a ordonné à ses troupes de ne pas prendre d’assaut l’aciérie Azovstal où sont retranchés les derniers défenseurs ukrainiens de cette ville, alors que de nouvelles images satellites semblent montrer des fosses communes en périphérie. La décision de maintenir le siège force la Russie à garder sur place des bataillons qui auraient pu être envoyés plus au nord pour isoler les combattants ukrainiens du Donbass.

« L’achèvement des travaux de combat pour libérer Marioupol est un succès, a déclaré le dirigeant russe jeudi matin, au 57jour de la guerre. Mettre sous contrôle un centre aussi important dans le Sud que Marioupol est un succès. »

Quant à la conquête du complexe sidérurgique Azovstal, le dirigeant russe a jugé le plan d’attaque impraticable, a rapporté The Guardian jeudi matin. Il a plutôt ordonné un blocus hermétique de l’aciérie, « de sorte que pas une mouche ne passe », et ce, afin de priver les défenseurs de nourriture, d’eau et de munitions.

« La stratégie d’assiéger l’aciérie au lieu de la prendre d’assaut montre que la deuxième option coûterait énormément cher en termes de vies humaines pour les Russes. Et on sait qu’ils ont subi des pertes considérables jusqu’à maintenant », analyse Justin Massie, professeur titulaire de sciences politiques à l’UQAM et codirecteur du Réseau d’analyse stratégique (RAS).

PHOTO ALEXANDER ERMOCHENKO, REUTERS

Résidant de Marioupol assis à l’extérieur d’un bâtiment fortement endommagé, jeudi

Les troupes faisant siège ne peuvent être déplacées, ce qui constitue un élément irritant pour le plan stratégique des Russes, ajoute cet expert. « Il y a quand même 12 unités de bataillons russes [le nombre de soldats demeure inconnu] qui représentent des ressources non disponibles pour aller plus au nord dans la tentative d’encercler les forces ukrainiennes dans le Donbass », remarque-t-il.

Dans l’intervalle, on peut s’attendre à ce que les forces russes poursuivent le pilonnage de Marioupol, un port stratégique sur la mer d’Azov, et surtout de son complexe sidérurgique.

Inquiétantes images satellites

PHOTO MAXAR TECHNOLOGIES, VIA ASSOCIATED PRESS

Cette image satellite fournie par Maxar Technologies jeudi montre une vue d’ensemble du cimetière de Manhouch, à quelque 20 kilomètres à l’ouest de Marioupol, le 3 avril dernier.

Des images satellites publiées quelques heures après les déclarations du président russe ont poussé des responsables ukrainiens à accuser la Russie d’avoir enterré jusqu’à 9000 civils dans ce qui semble être des fosses communes, dans le but de dissimuler le massacre qui se déroulait lors du siège de la ville portuaire. Le fournisseur d’images satellite Maxar Technologies a publié les photos, qui, selon lui, montreraient plus de 200 charniers dans la ville de Manhouch, où des responsables ukrainiens affirment que les Russes ont enterré des habitants de Marioupol tués dans les combats.

Un millier de civils pris au piège

Construit dans les années 1930, le complexe Azovstal comprend plusieurs kilomètres de galeries souterraines. Un nombre non déterminé de combattants ukrainiens y sont actuellement terrés. On en sait toutefois un peu plus sur le nombre de civils coincés dans l’enclave. Selon le président ukrainien Volodymyr Zelensky, environ un millier de femmes et d’enfants ainsi que des centaines de blessés s’y trouveraient. Marioupol comptait quelque 400 000 habitants il y a deux mois, au début de l’invasion. Il en resterait quelque 100 000, selon les plus récentes estimations.

Washington : nouvelle aide militaire de 800 millions

PHOTO FOURNIE PAR LA MARINE AMÉRICAINE

Un canon Howitzer du type de ceux qui seront envoyés sous peu en Ukraine par les États-Unis

Jeudi matin, le président américain Joe Biden a annoncé une nouvelle aide militaire de 800 millions à l’Ukraine. Les États-Unis fourniront entre autres des armes d’artillerie lourde, des dizaines de canons Howitzer de 155 mm, quelque 144 000 munitions et des drones. À cette aide militaire s’ajoute une aide économique supplémentaire de 500 millions destinée à assurer le maintien du fonctionnement du gouvernement ukrainien.

7 milliards par mois

PHOTO GENYA SAVILOV, AGENCE FRANCE-PRESSE

Volodymyr Zelensky, président de l’Ukraine, durant une conférence de presse avec les premiers ministres du Danemark et de l’Espagne, à Kyiv, jeudi

Dans la foulée de cette annonce du président Biden, la secrétaire au Trésor Janet Yellen a déclaré que l’aide économique de 500 millions permettra à l’État ukrainien de continuer à fonctionner et de payer salaires et pensions. Or, selon le président Zelensky, le pays a besoin de 7 milliards de dollars par mois pour compenser ses pertes économiques. « Et nous aurons besoin de centaines de milliards de dollars pour la reconstruction », a-t-il déclaré à l’issue d’une rencontre avec des représentants du Fonds monétaire international et de la Banque mondiale. La directrice générale du FMI, Kristalina Georgieva, a de son côté exhorté les pays à faire des dons et non des prêts à l’Ukraine, afin que le pays n’ait pas à faire face à une dette monstrueuse au sortir de la guerre.

Zelensky accuse Moscou de vouloir organiser un référendum

Le président ukrainien Volodymyr Zelensky a accusé la Russie de chercher à organiser un faux référendum d’indépendance dans les régions de Kherson et Zaporijjia qu’elle occupe dans le sud du pays. Il a demandé aux habitants de ne fournir aucune donnée personnelle que leur réclameraient les forces russes. Un référendum considéré comme illégal par Kyiv et par les Occidentaux avait scellé l’annexion de la péninsule de Crimée par la Russie en 2014. Les territoires séparatistes prorusses de Donetsk et Louhansk ont pour leur part proclamé leur indépendance à l’issue de référendums également jugés nuls par la communauté internationale.

Biden pas assez ferme, selon les Américains

PHOTO JONATHAN ERNST, REUTERS

Joe Biden, président des États-Unis

En marge des annonces faites par la Maison-Blanche, un sondage réalisé pour le compte d’Associated Press et du National Opinion Research Center (NORC), organisme de l’Université de Chicago, indique que 54 % des Américains croient que le président Biden n’est pas assez ferme dans sa réponse à l’agression russe, alors que 36 % jugent son approche acceptable et que 8 % estiment qu’il va trop loin.

Signes d’ambivalence

Or, selon Christophe Cloutier-Roy, chercheur postdoctoral et directeur par intérim de l’Observatoire des États-Unis de la Chaire Raoul-Dandurand en études stratégiques et diplomatiques, ces résultats montrent une certaine ambivalence chez les Américains. « Les gens disent que Biden est trop faible, mais il n’y a pas de solutions de rechange proposées, dit-il. Et même, on remarque que le pourcentage d’Américains désirant voir les États-Unis jouer un rôle important dans le conflit est en baisse depuis le début de celui-ci. Ce que les Américains attendent n’est pas clair. J’ai l’impression qu’on veut que cette crise finisse, mais on ne sait pas comment s’y prendre. Et en l’occurrence, le président Biden devient un bouc émissaire. »

Kamala Harris et Mark Zuckerberg personæ non gratæ

Par ailleurs, le ministère russe des Affaires étrangères a annoncé jeudi que la vice-présidente américaine, Kamala Harris, le cofondateur de Facebook Mark Zuckerberg et 27 autres Américains influents sont frappés d’ostracisme et interdits d’entrée en Russie. S’ajoutent à eux 61 Canadiens, notamment 5 premiers ministres provinciaux, dont Doug Ford (Ontario) et Jason Kenney (Alberta), l’ancien sénateur Roméo Dallaire et le gouverneur de la Banque du Canada Tiff Macklem.

Des corps ukrainiens examinés

Des experts enquêtant sur les accusations de crimes de guerre portées contre les troupes russes ont examiné des corps parmi les plus de 1000 cadavres de civils découverts à Borodianka, près de Kyiv. « Les experts médico-légaux sont en train d’examiner les corps », a déclaré Oleksandre Pavliouk, chef de l’administration militaire régionale de Kyiv. Selon lui, certains avaient les mains et les pieds liés ou des blessures par balle dans la nuque. Il n’a pas été en mesure de donner un nombre définitif de civils tués.

Avec Frédérik-Xavier Duhamel, La Presse, La Presse Canadienne, The Guardian, l’Agence France-Presse et Associated Press