Si l’extrême droite a fait 30 % au premier tour de l’élection présidentielle en France, c’est aussi grâce à Vincent Bolloré…

(Paris) Q. Quoi ? 30 % pour l’extrême droite au premier tour de la présidentielle ? Mais c’est du jamais vu !

R. En effet. Marine Le Pen 23 %, Éric Zemmour 7 %. Total : 30 %. Neuf points de plus qu’il y a cinq ans, lorsque Marine Le Pen avait accédé au second tour avec 21 %.

Q. Neuf points de plus ! C’est beaucoup. Qu’est-ce qui explique cette montée ?

R. Un paquet de raisons, dont l’une se nomme Vincent Bolloré.

Q. Ah bon ? C’est qui, lui ?

R. Le Rupert Murdoch français. Ce milliardaire, 438e fortune mondiale selon Forbes, est l’homme derrière Vivendi, un empire médiatique dont certaines plateformes sont devenues les courroies de transmission de la droite réactionnaire en France, avec des discours conservateurs, identitaires, anti-immigration et pro-sécurité assez affirmés.

Q. À quelles plateformes pensez-vous ?

R. Aux chaînes de télé C8 et CNews, par exemple. On pourrait même ajouter le Journal du dimanche (JDD) et la radio Europe 1, quoique de façon moins marquée. Tous ces médias appartiennent à Vincent Bolloré.

Q. CNews ? N’est-ce pas là qu’Éric Zemmour animait une émission de débats très controversée avant de se lancer en politique ?

R. En effet. Son émission Face à l’info, très populaire, était suivie par près d’un million de téléspectateurs ! C’est dans ce cadre qu’il a été accusé par deux fois d’incitation à la haine raciale pour ses propos offensants à l’égard des immigrés. CNews lui a servi de tremplin pour sa carrière politique. « C’est un candidat fabriqué par Bolloré », résume François Jost, professeur émérite en sciences de l’information et de communication à la Sorbonne.

PHOTO BERTRAND GUAY, ARCHIVES AGENCE FRANCE-PRESSE

Éric Zemmour

Q. Zemmour n’a pourtant pas fait un si gros score au premier tour. Marine Le Pen a fait beaucoup mieux, sans avoir animé une émission de télé…

R. Oui, mais elle profite du succès de cette chaîne, qui surfe elle-même sur un sentiment de repli et d’insécurité grandissant en France. Comme le dit Jean-Yves Camus, spécialiste de l’extrême droite en France, « CNews a joué un rôle d’amplificateur pour un phénomène qui existait depuis longtemps, notamment le fait que la France est le pays le plus pessimiste d’Europe et dont les citoyens sont les plus convaincus qu’ils sont au bord du gouffre ». Bref, CNews traduit le malaise français.

PHOTO CHRISTIAN HARTMANN, ARCHIVES REUTERS

Marine Le Pen

Q. Mais… ce n’est quand même pas la première fois qu’un grand média sert une idéologie politique, si ?

R. Non. Mais pour la droite radicale, c’est plus rare. Il n’y a pas si longtemps, ces idées étaient encore à la marge en France. Avec CNews, elles sont diffusées en pleine lumière. Insécurité, peur de l’étranger, islamophobie…

Q. Et alors ? Ils n’ont pas le droit ?

R. Ça dépend à quelle dose. Selon l’ARCOM, l’organisme de régulation des médias en France, les chaînes de télé doivent donner la parole à une pluralité d’opinions. Or, François Jost affirme que « 75 % des invités sur CNews sont de droite ou d’extrême droite ». Ces chiffres, tirés d’une enquête pour Reporters sans frontières, équivalent selon lui à un « non-respect des conventions ». Jean-Yves Camus nuance : « Il y a une dominante de droite sur cette antenne, mais ce n’est quand même pas une chaîne monomaniaque, dit-il. Il ne faut pas sombrer dans la caricature. »

Q. Est-ce que CNews et C8 représentent les croyances de leur propriétaire ?

R. On peut le dire. Vincent Bolloré est de souche traditionnelle et profondément catholique. Sa vision de la France est conservatrice, traditionnelle, chrétienne. Pas étonnant que la chaîne C8 diffuse des émissions religieuses le dimanche midi et que son frère ait écrit un livre pour prouver l’existence de Dieu. C’est de famille. « Il a vu qu’il y avait de l’argent à faire dans ce créneau et de surcroît en suivant ses convictions », résume Jean-Yves Camus.

Q. Cet homme d’affaires a-t-il toujours été dans les médias ?

R. Non. Il s’est aussi développé dans le business du transport, de la logistique, des télécoms. Sa fortune vient de loin. Il appartient à une riche famille d’industriels bretons qui a fait fortune dans le papier à cigarettes : le B dans OCB, sur les emballages, c’est pour Bolloré !