La Russie a décidé il y a quelques semaines de retirer ses troupes déployées dans le nord de l’Ukraine pour concentrer ses efforts militaires dans l’est du pays, en ciblant plus spécifiquement le Donbass. L’offensive annoncée par le Kremlin pour prendre le contrôle de l’ensemble de cette région représente un défi de taille pour les forces ukrainiennes et risque de s’avérer déterminante pour la suite de la guerre.

Une réorientation forcée

Dans un discours prononcé mardi, le président de la Russie, Vladimir Poutine, a assuré que l’« opération militaire spéciale » lancée fin février en Ukraine allait rondement et que les « nobles » objectifs poursuivis par son pays seraient atteints. L’annonce par Moscou du redéploiement vers l’est des troupes qui avaient été envoyées dans le nord du pays pour tenter notamment de prendre Kyiv n’en demeure pas moins un aveu d’échec, note Liam Collins, analyste militaire américain ayant longtemps travaillé au sein de l’Académie de West Point. « L’opération dans le Nord a échoué. La Russie essaie de s’assurer une forme de victoire, et le Donbass semble être sa meilleure opportunité sur ce plan », indique-t-il.

Une région déjà divisée

PHOTO RONALDO SCHEMIDT, AGENCE FRANCE-PRESSE

Résidants marchant dans les rues de Sievierodonetsk, dans la région de Louhansk, mercredi

Après avoir pris le contrôle de la Crimée en 2014, le Kremlin a soutenu en sous-main un soulèvement de rebelles séparatistes dans le Donbass qui a mené à la création de deux « républiques populaires » occupant près du tiers des régions administratives (oblasts) de Donetsk et de Louhansk. Un conflit larvé a perduré pendant des années le long d’une « ligne de contrôle » aménagée en vertu d’accords de paix qui n’ont jamais été pleinement respectés. Quelques jours avant le déclenchement de la guerre, Vladimir Poutine a annoncé qu’il reconnaissait l’indépendance des deux républiques et mobilisait ses troupes pour les « protéger » contre la menace ukrainienne. La manœuvre a servi de justification théorique au lancement de l’invasion, qui portait sur plusieurs axes allant bien au-delà du Donbass.

Une meilleure stratégie

Le vice-recteur à la recherche du Collège militaire royal de Saint-Jean, Pierre Jolicœur, relève que l’armée russe a commis une grave erreur en multipliant les fronts au début de la guerre tout en négligeant la « logistique complexe » requise pour assurer l’approvisionnement des troupes. Le repositionnement dans le Donbass des forces qui avaient été déployées dans le nord du pays et la mise en place d’un commandement unifié devraient permettre à la Russie d’être « plus efficace », note le chercheur, qui s’attend à ce que les troupes de Moscou « continuent de progresser » dans la région. Les forces ukrainiennes, qui disposent d’armes fournies par plusieurs pays occidentaux, ont offert jusqu’à maintenant une résistance « héroïque », mais une partie de ces succès découlait de la désorganisation des envahisseurs, souligne M. Jolicœur. Liam Collins note qu’il était plus facile dans le nord du pays pour les soldats ukrainiens de tirer profit de leur mobilité pour infliger des dommages aux troupes russes circulant à bord de véhicules blindés sur les grands axes routiers. Le Donbass, note l’ex-militaire, offre des espaces plus plats, plus ouverts, et moins de grandes agglomérations, ce qui en fait un territoire plus difficile à défendre face à l’armée russe, plus riche en blindés et en avions. M. Collins s’attend aussi à des gains russes dans la région, sans vouloir présumer du résultat final.

Activités réduites pour l’heure

PHOTO ALEXEI ALEXANDROV, ASSOCIATED PRESS

Bâtiments détruits par les forces russes à Marioupol, mercredi

L’Institute for the Study of War relève, dans une analyse parue mardi, que la Russie poursuit actuellement des opérations militaires « limitées » dans le Donbass en attendant que les renforts de troupes projetés se concrétisent. L’armée a conséquemment fait des « gains limités tout en continuant à subir des pertes significatives », note l’organisation. Justin Massie, spécialiste des questions de sécurité et de défense rattaché à l’Université du Québec à Montréal, note que les dirigeants russes espèrent que les troupes déployées à Marioupol et d’autres plus au nord, près de Kharkiv et Izioum, pourront converger et « prendre en étau » les forces ukrainiennes qui sont au front dans le Donbass. La chute de Marioupol, si elle se concrétise, marquerait une étape importante pour Moscou, puisqu’elle permettrait de libérer des troupes pour déployer cette stratégie, note le chercheur. Il s’attend à ce que les forces russes intensifient prochainement les tirs d’artillerie et les frappes aériennes contre les positions ukrainiennes dans la région pour faciliter leur avancée.

Qu’arrivera-t-il si le Donbass est pris par la Russie ?

Justin Massie pense que l’attitude de la Russie dépendra du coût inhérent à la prise du Donbass. Si l’offensive réussit, mais que les pertes humaines et matérielles s’avèrent extrêmement lourdes, Moscou pourrait se montrer disposé à négocier un cessez-le-feu. Dans le cas contraire, Vladimir Poutine sera tenté de profiter de sa lancée pour intensifier son action ailleurs dans le pays, par exemple en tentant de prendre Odessa, relève le chercheur, qui s’attend à ce que l’Ukraine soit « partitionnée » de facto pour une longue période. Eugene Rumer, du Carnegie Endowment for International Peace, pense que le dirigeant russe continuera certainement l’offensive ailleurs en Ukraine s’il obtient le contrôle de l’ensemble du Donbass. Il n’écarte pas, à plus long terme, la possibilité d’une nouvelle offensive contre la capitale, Kyiv. « Ça va dépendre des ressources à sa disposition. Or, je ne pense pas qu’elles soient en voie d’être épuisées. Le régime dispose d’entrées quotidiennes de près de 1 milliard de dollars découlant de la vente de gaz et de pétrole », prévient-il.