Aleksandr Dvornikov vient d’hériter de la mission consistant à diriger les troupes lors de l’imminente offensive contre l’est de l’Ukraine

À l’été 2015, le régime syrien semblait au bord de l’effondrement. Il avait enchaîné les défaites militaires pendant tout le printemps, laissant les rebelles prendre le contrôle de grandes villes comme Idlib et Alep.

Vers la fin de l’été, le président Bachar al-Assad a reconnu publiquement que son armée était « fatiguée ». Et il a appelé son allié Vladimir Poutine à l’aide.

L’armée russe commence par établir rapidement une base aérienne à Hmeimim, sur la côte de la Méditerranée, à mi-chemin entre Homs et Alep. De là, ses bombardiers partent pilonner Alep, n’hésitant pas à frapper des hôpitaux, des écoles et même les files d’attente devant les boulangeries.

Une des spécialités de l’offensive russe contre Alep est la double frappe : les avions reviennent faire pleuvoir leurs bombes sur les secouristes accourus pour aider les victimes de la première attaque.

Le siège d’Alep se poursuit jusqu’au 22 décembre 2016, jour où les derniers civils et combattants de la ville sont évacués vers la région d’Idlib. La guerre civile qui déchire la Syrie depuis cinq ans n’est pas terminée. Mais l’intervention russe a permis de renverser la vapeur en faveur du régime.

Le commandant qui a mené à bien cette mission difficile, qui lui a valu la médaille du héros de la Russie, s’appelle Aleksandr Dvornikov. Nommé général en 2020, il vient d’hériter d’une nouvelle mission difficile : celle de diriger les troupes russes lors de l’imminente offensive contre l’est de l’Ukraine.

« Un général russe de la vieille école »

Plusieurs commentateurs occidentaux décrivent Aleksandr Dvornikov comme « le boucher de Syrie ». Le correspondant du Guardian au Moyen-Orient, Martin Chulov, le voit comme « un général russe de la vieille école, un nationaliste de terre et de sang ».

Dans une récente entrevue au New York Times, Rami Abdelrahman, directeur du Centre syrien des droits de l’homme, qui a recensé les victimes du conflit syrien, a accusé Aleksandr Dvornikov d’être l’un des grands responsables de la mort de milliers de civils en Syrie.

Mais dans une analyse publiée mardi, l’Institut pour l’étude de la guerre (ISW) affirme que les méthodes brutales d’Aleksandr Dvornikov ne constituent pas le facteur central dans sa nomination à la tête d’un commandement unifié pour l’offensive contre l’Ukraine.

Selon cette analyse, celle-ci suivait les lignes normales de la hiérarchie : il est le plus expérimenté des trois généraux présents sur le terrain ukrainien.

« Il n’y a pas non plus lieu de penser que cette nomination changera de façon significative le cours de la guerre », notent les auteurs de cette analyse.

De guerre en guerre

Né en 1961, Aleksandr Dvornikov est diplômé de l’Académie militaire Frounze, à Moscou. Après avoir dirigé une division de fusiliers motorisés à Moscou, il hérite du commandement de toute la région du Caucase du Nord, au moment où la deuxième guerre de Tchétchénie bat son plein. Et où la Russie pilonne sans pitié Grozny, sa capitale.

C’est quelques mois avant la capitulation des rebelles d’Alep, en septembre 2016, qu’Aleksandr Dvornikov se voit confier le commandement du district militaire du sud de la Russie, qui inclut la Crimée, annexée deux ans plus tôt par la Russie. À ce titre, il chapeaute aussi le conflit du Donbass, où des sécessionnistes prorusses soutenus par Moscou sont engagés dans un conflit avec les forces ukrainiennes.

Depuis le déclenchement de l’offensive contre l’Ukraine, le 24 février dernier, ses troupes ont capturé plusieurs villes ukrainiennes, dont Kherson et Melitopol, sans causer de bain de sang, souligne l’analyste militaire russe Pavel Felgenhauer dans une entrevue avec le quotidien Le Temps.

PHOTO EVGENIY MALOLETKA, ARCHIVES ASSOCIATED PRESS

Les forces russes ont bombardé une maternité à Marioupol, le 9 mars dernier.

Mais c’est aussi sous son commandement qu’a été menée l’offensive contre la ville stratégique de Marioupol, où l’aviation russe a pilonné sans merci des cibles civiles, dont des hôpitaux et une maternité. Une stratégie qui n’est pas sans évoquer le siège d’Alep.

Commandement unifié

Selon l’Institut pour l’étude de la guerre, le général Dvornikov n’a pas été le seul à faire preuve de brutalité en Syrie. Et si son expérience peut être utile en Ukraine, c’est surtout parce qu’il a su créer un commandement unifié qui lui permettra aujourd’hui d’intégrer « les districts militaires de l’ouest, de l’est et du centre, ainsi que les divisions du président tchétchène Ramzan Kadyrov et les milices des républiques [autoproclamées] de Donetsk et de Louhansk ».

En d’autres mots, si Vladimir Poutine a choisi de placer sa guerre contre l’Ukraine entre les mains d’Aleksandr Dvornikov, c’est en raison de ses qualités d’administrateur militaire plutôt que pour ses états de service de « boucher ».

Mais Aleksandr Dvornikov se qualifie aussi par sa loyauté envers le Kremlin. Dans une entrevue avec le Washington Post, l’analyste de la politique russe Mark Galeotti le décrit comme « un homme de mission ».

« Sa mission, c’est sa priorité, et s’il doit frapper fort pour la réaliser, il le fera. »