(Berlin) Un chancelier qui hésite à livrer des armes lourdes, un chef d’État déclaré persona non grata à Kyiv : l’Allemagne est de nouveau au pied du mur, sommée de marquer un soutien plus ferme à l’Ukraine face à la Russie.

L’aveu est un brin humiliant pour le président allemand Frank-Walter Steinmeier : il n’est pas le bienvenu dans la capitale ukrainienne, où il avait envisagé de se rendre.

Le voyage devait se dérouler avec les présidents de Pologne et des États baltes : « J’étais prêt à le faire mais apparemment, et je dois en prendre acte, ce n’était pas souhaité à Kyiv », a indiqué mardi M. Steinmeier lors d’un déplacement à Varsovie.  

Le quotidien Bild avait révélé l’incident, citant un diplomate ukrainien avec des propos sévères envers le président, issu du camp social-démocrate (SPD) : « Nous connaissons tous les relations étroites de Steinmeier avec la Russie ici… Il n’est pas le bienvenu à Kyiv pour le moment. Nous verrons si cela change. »

Le récent mea culpa de M. Steinmeier, qui fut par deux fois ministre des Affaires étrangères d’Angela Merkel, n’a visiblement pas suffi.

Il avait reconnu début avril avoir commis une « erreur » en soutenant une politique de détente avec la Russie.

« Nous nous accrochions à des ponts auxquels la Russie ne croyait plus et contre lesquels nos partenaires nous avaient mis en garde », avait admis le chef d’État.

Députés allemands en Ukraine

M. Steinmeier voulait entreprendre ce voyage au moment où le chancelier Olaf Scholz est pressé de donner à l’Ukraine de nouveaux gages de soutien.

« Il serait important que le chef du gouvernement vienne à Kyiv », a estimé mardi soir l’ambassadeur ukrainien à Berlin Andrij Melnyk, sur les chaînes allemandes Sat.1 and ProSieben.

À condition qu’il ne vienne pas les mains vides, à l’instar de Boris Johnson qui s’est engagé à fournir des véhicules blindés et des missiles à l’Ukraine.  

Mais Olaf Scholz se montre depuis des jours évasif sur la livraison d’armes lourdes, suscitant un agacement croissant au sein même de la majorité. Berlin avait déjà hésité à fournir des armes défensives, avant une volte-face lorsque la Russie a envahi l’Ukraine le 24 février.

L’Allemagne, très dépendante du gaz russe, est aussi l’un des principaux obstacles à un embargo de l’UE sur les hydrocarbures réclamé par Kyiv.

Acerbe, Bild a ironisé sur un déplacement du chancelier à Lübeck dans le nord de l’Allemagne, pour un meeting d’élection régionale, quand « Boris Johnson marchait côte à côte avec le président ukrainien Volodymyr Zelenskyi à travers Kyiv ».

« Le chancelier devrait commencer à utiliser ses compétences pour fixer des directives et à diriger », avait lâché, lundi, la députée du parti libéral Marie-Agnes Strack-Zimmermann.

Cette présidente de la commission de la Défense au Bundestag est partie mardi en Ukraine avec les présidents des commissions des Affaires étrangères Michael Roth (SPD) et des Affaires européennes Anton Hofreiter (Verts).

Tous trois sont issus des partis de la coalition au pouvoir et tous trois réclament des livraisons d’armes lourdes, de chars notamment. Ils doivent rencontrer, dans l’ouest du pays en guerre, des députés ukrainiens.

Baerbock « donne le La »

Ce sont les Verts, traditionnellement très pacifistes, qui insistent le plus. Après la cheffe de la diplomatie, Annalena Baerbock, son collègue écologiste Robert Habeck, ministre de l’Économie, a pressé le chancelier d’agir.

« Tout ce qui peut aider l’armée ukrainienne maintenant doit être envoyé rapidement », a-t-il exhorté mardi.

Mme Baerbock « montre au chancelier comment faire », estime la chaîne d’information n-tv dans un commentaire, jugeant qu’elle est devenue « celle qui donne le La dans un gouvernement peu sûr de lui ».

Reste des difficultés techniques et logistiques à résoudre. L’Allemagne a épuisé les possibilités de piocher dans les réserves de son armée, en état de sous-équipement notoire, avait expliqué ce week-end la ministre de la Défense, Christine Lambrecht.

Plusieurs groupes d’armement, comme Rheinmetall, ont proposé de mettre à disposition des chars neufs ou d’occasion, avec parfois des délais importants.

Mme Strack-Zimmermann a également mis en garde contre l’envoi de véhicules nécessitant une formation avant d’être utilisés, tels que les chars de type Marder demandés par l’Ukraine.

Les « soldats doivent les maîtriser, sinon ils deviendront vraiment de la chair à canon », a-t-elle prévenu.