(Washington) La position d’équilibriste des États-Unis, qui apportent une aide militaire considérable à l’Ukraine tout en faisant tout pour éviter une extension du conflit à d’autres pays, devient de plus en plus difficile à tenir, au moment où les images d’exactions attribuées à l’armée russe se multiplient.

Depuis le début de l’invasion de l’Ukraine par la Russie, les États-Unis ont inondé l’Ukraine d’armement léger, comme des missiles antichars Javelin, portables à l’épaule, mais ils ont toujours refusé de lui remettre des armements lourds, notamment des avions de combat, faisant valoir que cela « pourrait être perçu comme une surenchère » et accroître le risque d’un conflit nucléaire avec la Russie.

Et ils invoquent régulièrement des technologies américaines qui ne sont pas familières aux Ukrainiens pour justifier l’éventail limité des armements qu’ils fournissent, faisant plutôt appel aux pays de l’ancien bloc soviétique qui disposent encore d’armement de fabrication russe.

Mais après les revers militaires de l’armée russe et les crimes de guerre qui lui sont attribués, le Pentagone se retrouve sous pression des élus, aussi bien républicains que démocrates, pour en faire davantage afin d’aider Kyiv à repousser la Russie.

Photo Mariam Zuhaib, archives Associated Press

Le sénateur Richard Blumenthal

Il me semble que notre stratégie paraît souvent un peu schizophrénique : nous voulons que les Ukrainiens gagnent face à la Russie, mais nous craignons que faire perdre Poutine ne provoque une escalade.

Richard Blumenthal, sénateur démocrate lors d’une audition au Congrès des plus hauts responsables de l’armée américaine

« Est-ce qu’on se demande si Vladimir Poutine a jamais craint que ses massacres de femmes et d’enfants soient une escalade », a renchéri le sénateur républicain Kevin Cramer, regrettant notamment que le Pentagone n’ait pas facilité la livraison de MIG-29 à Kyiv.

Formation et logistique

Hormis une fermeture de l’espace aérien assurée par l’OTAN avec le risque de confrontation directe avec l’aviation russe, les options du Pentagone sont de fait limitées : les armements lourds des États-Unis ne sont pas compatibles avec ceux dont dispose l’armée ukrainienne, et former des militaires ukrainiens à leur maniement les retirerait du champ de bataille pendant plusieurs semaines, au moment où se prépare un assaut russe majeur contre les régions du Donbass que Moscou ne contrôle pas.

Les chars Abrams, par exemple, sont propulsés par un turbomoteur très gourmand en carburant qui nécessite un soutien logistique énorme, et leur ciblage au laser demande une formation approfondie, explique-t-on au Pentagone.  

L’avion de combat A-10 « Warthog », que M. Blumenthal a cité comme un ajout possible à l’aide militaire à l’Ukraine, est connu pour sa résistance et sa capacité à rentrer à la base avec de gros dégâts. Mais les pilotes devraient être formés pendant plusieurs semaines et, surtout, toute une chaîne logistique devrait être créée pour assurer son entretien.

PHOTO TIRÉE DE WIKIPÉDIA

L'avion de combat A-10 Thunderbolt « Warthog »

En réponse aux critiques des élus, la Maison-Blanche a publié une liste exhaustive des équipements fournis jusqu’ici à l’Ukraine : 1400 systèmes anti-aériens Stingers, 5000 missiles antichars Javelin, 7000 armes antichars d’autre modèle, plusieurs centaines de drones kamikazes Switchblade, 7000 fusils d’assaut, 50 millions de balles et munitions diverses, 45 000 lots de gilets pare-balles et casques, des roquettes à guidage laser, des drones Puma, des radars anti-artillerie et anti-drones, des blindés légers, des systèmes de communication sécurisée, des protections anti-mines.

Vendredi, le porte-parole du Pentagone, John Kirby, s’est offusqué de ces critiques.   

« L’idée que nous n’en faisons pas assez ni assez vite nous irrite profondément », a-t-il dit.  

Depuis son arrivée à la Maison-Blanche, le président Joe Biden a débloqué 2,4 milliards de dollars pour l’assistance militaire à Kyiv, « ce qui est presque autant que le budget de la défense de l’Ukraine », a-t-il ajouté.  

Rappelant qu’outre les armements fournis à Kyiv, les États-Unis ont porté leurs effectifs militaires en Europe de 80 000 à 100 000 à la mi-février et envoyé une batterie anti-aérienne Patriot en Slovaquie pour compenser le système de fabrication russe S-300 que Bratislava a remis à Kyiv, M. Kirby a souligné que cet effort était « sans précédent ».

« Aucun autre pays n’a la logistique pour faire ça. Aucun autre pays n’a les ressources pour faire ça », a-t-il noté. « En même temps, nous gardons à l’esprit que la Russie est une puissance nucléaire. »