Petite nation née de l’éclatement de l’URSS, la Moldavie a envie de se coller un peu plus sur l’Europe, tout en évitant de froisser le géant russe. Depuis le début de l’invasion russe en Ukraine, ce pays sans ressources est celui qui accueille le plus de réfugiés par habitant.
Un David entre deux Goliaths
Avec ses 33 800 km2, la Moldavie a une superficie un peu plus grande que celle de l’Outaouais et un peu plus petite que celle de la Mauricie. Or, depuis le début de l’invasion en Ukraine, plus de 384 990 réfugiés, dont 350 150 Ukrainiens, se sont présentés aux postes-frontières de ce petit territoire, fuyant la mort et la destruction.
Ce flot humain exerce une pression énorme sur la Moldavie, un pays très pauvre qui, tel un funambule, cherche à se rapprocher de l’Europe sans susciter la colère de Moscou.
En effet, dans les premières semaines de l’invasion russe en Ukraine, d’aucuns voyaient la Moldavie être la prochaine proie russe. D’autant plus que le 3 mars, le pays, tout comme la Géorgie, déposait sa candidature pour devenir membre de l’Union européenne.
Faisant partie des 141 pays condamnant l’agression russe à l’ONU mais refusant de participer au boycottage économique, la Moldavie a fait profil bas. Sa population d’entre 2,6 et 2,9 millions d’habitants a centré ses activités sur l’accueil des réfugiés.
« Nous avons reçu le plus grand nombre d’Ukrainiens par habitant de tous les pays européens, indique en entrevue Émil Druc, ambassadeur de la Moldavie au Canada. Nous n’étions pas prêts pour cela, mais nous avons ouvert toutes grandes nos portes. »
Cette situation géopolitique complexe de la Moldavie n’est pas nouvelle. Elle existe depuis son accès à l’indépendance, le 27 août 1991, avec l’éclatement de l’URSS.
Dans les mois suivants, un conflit avec des milices russophones appuyées par Moscou mène en 1992 à la création de l’État indépendant autoproclamé de la Transnistrie. Cette entité n’est toujours pas reconnue aujourd’hui à l’échelle internationale. Une « force de paix » russe de 1500 soldats y est stationnée.
Et à l’intérieur de ses propres frontières, la Moldavie doit composer avec une population divisée depuis toujours sur ses alliances économiques comme politiques.
« Actuellement, la présidente [Maia Sandu] et le gouvernement du pays sont pro-européens avec une opposition plus favorable à un partenariat plus tourné vers la Russie. Il existe cependant un accord entre le gouvernement et l’opposition qui met l’accent sur la neutralité de la Moldova », observe Magdalena Dembinska, professeure titulaire de science politique à l’Université de Montréal et membre du Centre d’études et de recherches internationales (CERIUM).
En ce moment, poursuit-elle, l’opposition ne critique pas le gouvernement sur ces enjeux géopolitiques. Quant au gouvernement, il pèse chacun de ses mots avant d’intervenir devant la communauté internationale.
Ils n’ont aucun moyen de se défendre, et ils doivent composer avec la région séparatiste de la Transnistrie. C’est une situation sensible, difficile, inconfortable.
Magdalena Dembinska, professeure titulaire de science politique à l’Université de Montréal et membre du Centre d’études et de recherches internationales (CERIUM)
« Imposer des sanctions est très délicat pour nous, confirme l’ambassadeur Druc. Nous n’avons pas les ressources pour faire cela. »
Réfugiés en Transnistrie
Ironiquement, même la Transnistrie se trouve dans une position inconfortable dans le conflit actuel. « La Transnistrie profite d’un appui politique, diplomatique et militaire de la Russie. Mais d’un autre côté, 70 % de ses exportations sont destinées à l’Europe », dit Magdalena Dembinska.
En raison de sa position géographique, genre de zone tampon entre l’Ukraine et la Moldavie, à l’est du fleuve Dniestr, et en dépit de son alignement sur Moscou, la Transnistrie a accueilli de nombreux réfugiés ukrainiens. « En lisant les médias transnistriens, on constate que le pays essaie de dégager une image de neutralité tout en aidant les réfugiés de passage », poursuit la politicologue.
Un texte paru sur le site de l’organisme Institute for War and Peace Reporting indique qu’en date du 15 mars, les habitants de la Transnistrie avaient accueilli quelque 6000 Ukrainiens.
« Les liens avec l’Ukraine, qui partage une frontière de 400 km avec la Transnistrie, sont solides », affirme-t-on dans ce texte. Les auteurs ajoutent que l’Ukraine est le principal partenaire régional de la Transnistrie pour les échanges économiques et que 20 % des habitants de la Transnistrie ont des racines ukrainiennes.
L’aide avant la politique
En ce moment sur le terrain, toute cette complexité géopolitique est toutefois secondaire au besoin de venir en aide aux réfugiés.
La Moldavie reste un pays de transit pour la très grande majorité des Ukrainiens fuyant la guerre. Des 384 990 qui y sont entrés depuis le 24 février, 288 000 ont ensuite poursuivi leur chemin. Mais près de 100 000 personnes, dont 48 000 enfants, s’y attardent, sans savoir de quoi sera fait demain. Selon Émil Druc, 8780 ont demandé l’asile politique en Moldavie.
Le budget du pays n’était pas prêt pour ce défi et nous avons lancé un appel à l’aide aux organismes internationaux. Nous avons reçu des réponses immédiates, mais je réitère mes appels pour plus de nourriture.
Émil Druc, ambassadeur de Moldavie au Canada
De plus, au cours des derniers jours, on a vu la Russie modifier sa stratégie et il y a eu quelques frappes sur Odessa, qui se trouve à une cinquantaine de kilomètres à peine de la Moldavie. Selon Magdalena Dembinska, la Moldavie peinerait à accueillir soudainement un flot d’Ukrainiens fuyant cette grande ville. « S’il y a une attaque sur Odessa, on parle de 1 million de personnes de plus qui entrent en Moldova et la capacité d’accueil n’est pas là. »
Or, mardi, on a appris que des pays donateurs (France, Allemagne, Roumanie) réunis à Berlin avaient convenu de fournir une aide supplémentaire de 695 millions d’euros à la Moldavie. Qu’en est-il au Canada ?
Au ministère Affaires mondiales Canada, on nous indique que sur la somme de 145 millions annoncée pour répondre à la crise humanitaire en Ukraine, une portion de 5,2 millions est destinée à « l’Agence des Nations unies pour les réfugiés (HCR) [pour] répondre aux besoins les plus vitaux et immédiats des Ukrainiens qui ont fui vers la République de Moldova ».
« Le Canada maintient également son soutien envers ses partenaires des Nations unies, de la Croix-Rouge et des ONG qui répondent aux besoins humanitaires en Ukraine, et envers les réfugiés ukrainiens hébergés dans les pays voisins. Ces partenaires sont actifs en Moldova », ajoute le Ministère.
4163 km2
Superficie du territoire de la Transnistrie, soit l’équivalent de 10 fois l’île de Montréal. La population est d’un peu moins de 500 000 personnes, dont 200 000 dans la capitale, Tiraspol.
Source : Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés et moldavie.fr
Entre Moldavie et Transnistrie
Charles-Frédérick Ouellet, photographe documentaire de Québec, a récemment séjourné en Moldavie et en Transnistrie, État indépendant autoproclamé – mais non reconnu – depuis 1991 à la suite de la dissolution de l’URSS. Nous présentons quelques-unes de ses photos.
La Moldavie en bref
Superficie
33 851 km2 (le Québec a une superficie d’environ 1,7 million de kilomètres carrés)
Population
2,6 millions (en 2020)
2,95 millions (en 2021, selon le site britannica.com)
Capitale
Chișinău (490 632 habitants)
Groupes ethniques
- Moldaves : 75,1 %
- Roumains : 7,0 %
- Ukrainiens : 6,6 %
- Gagaouzes : 4,6 %
- Russes : 4,1 %
- Bulgares : 1,9 %
- Autres : 0,8 %
Groupes religieux
- Orthodoxes : 90,1 %
- Autres branches du christianisme : 2,6 %
- Athées, autres, non spécifié : 7,3 %
PIB par habitant
13 000 $ (Québec = 44 630 $ en 2019)
Valeur des importations en 2020
- 5,7 milliards
- De la Roumanie : 17,9 %
- De l’Ukraine : 11,6 %
- De la Russie : 8,6 %
Valeur des exportations en 2020
- 3,0 milliards
- Vers la Roumanie : 26,3 %
- Vers la Russie : 9,3 %
- Vers l’Allemagne : 8,8 %
Forces armées
Personnel : environ 6000 militaires
Équipements : essentiellement du vieux matériel russe et soviétique avec quelques équipements donnés par d’autres pays
Sources : Banque mondiale, CIA – The World FactBook, Institut de la statistique du Québec, Observatory of Economic Complexity, Britannica, World Population Review