Petite nation née de l’éclatement de l’URSS, la Moldavie a envie de se coller un peu plus sur l’Europe, tout en évitant de froisser le géant russe. Depuis le début de l’invasion russe en Ukraine, ce pays sans ressources est celui qui accueille le plus de réfugiés par habitant. 

Un David entre deux Goliaths

PHOTO CHARLES-FRÉDÉRICK OUELLET, COLLABORATION SPÉCIALE

Vue du centre-ville de Chișinău depuis l’hôtel Cosmos. La Moldavie se trouve au cœur d’une zone géopolitique sensible.

Avec ses 33 800 km⁠2, la Moldavie a une superficie un peu plus grande que celle de l’Outaouais et un peu plus petite que celle de la Mauricie. Or, depuis le début de l’invasion en Ukraine, plus de 384 990 réfugiés, dont 350 150 Ukrainiens, se sont présentés aux postes-frontières de ce petit territoire, fuyant la mort et la destruction.

Ce flot humain exerce une pression énorme sur la Moldavie, un pays très pauvre qui, tel un funambule, cherche à se rapprocher de l’Europe sans susciter la colère de Moscou.

En effet, dans les premières semaines de l’invasion russe en Ukraine, d’aucuns voyaient la Moldavie être la prochaine proie russe. D’autant plus que le 3 mars, le pays, tout comme la Géorgie, déposait sa candidature pour devenir membre de l’Union européenne.

Faisant partie des 141 pays condamnant l’agression russe à l’ONU mais refusant de participer au boycottage économique, la Moldavie a fait profil bas. Sa population d’entre 2,6 et 2,9 millions d’habitants a centré ses activités sur l’accueil des réfugiés.

PHOTO NIKOLAY DOYCHINOV, ARCHIVES AGENCE FRANCE-PRESSE

Des familles ayant fui la guerre en Ukraine sont massées devant un camp de réfugiés dans l’attente de pouvoir y être admises, à Chișinău, capitale moldave, le 3 mars.

« Nous avons reçu le plus grand nombre d’Ukrainiens par habitant de tous les pays européens, indique en entrevue Émil Druc, ambassadeur de la Moldavie au Canada. Nous n’étions pas prêts pour cela, mais nous avons ouvert toutes grandes nos portes. »

Cette situation géopolitique complexe de la Moldavie n’est pas nouvelle. Elle existe depuis son accès à l’indépendance, le 27 août 1991, avec l’éclatement de l’URSS.

Dans les mois suivants, un conflit avec des milices russophones appuyées par Moscou mène en 1992 à la création de l’État indépendant autoproclamé de la Transnistrie. Cette entité n’est toujours pas reconnue aujourd’hui à l’échelle internationale. Une « force de paix » russe de 1500 soldats y est stationnée.

Et à l’intérieur de ses propres frontières, la Moldavie doit composer avec une population divisée depuis toujours sur ses alliances économiques comme politiques.

« Actuellement, la présidente [Maia Sandu] et le gouvernement du pays sont pro-européens avec une opposition plus favorable à un partenariat plus tourné vers la Russie. Il existe cependant un accord entre le gouvernement et l’opposition qui met l’accent sur la neutralité de la Moldova », observe Magdalena Dembinska, professeure titulaire de science politique à l’Université de Montréal et membre du Centre d’études et de recherches internationales (CERIUM).

PHOTO ARCHIVES REUTERS

Maia Sandu, présidente de la Moldavie

En ce moment, poursuit-elle, l’opposition ne critique pas le gouvernement sur ces enjeux géopolitiques. Quant au gouvernement, il pèse chacun de ses mots avant d’intervenir devant la communauté internationale.

Ils n’ont aucun moyen de se défendre, et ils doivent composer avec la région séparatiste de la Transnistrie. C’est une situation sensible, difficile, inconfortable.

Magdalena Dembinska, professeure titulaire de science politique à l’Université de Montréal et membre du Centre d’études et de recherches internationales (CERIUM)

« Imposer des sanctions est très délicat pour nous, confirme l’ambassadeur Druc. Nous n’avons pas les ressources pour faire cela. »

Réfugiés en Transnistrie

Ironiquement, même la Transnistrie se trouve dans une position inconfortable dans le conflit actuel. « La Transnistrie profite d’un appui politique, diplomatique et militaire de la Russie. Mais d’un autre côté, 70 % de ses exportations sont destinées à l’Europe », dit Magdalena Dembinska.

En raison de sa position géographique, genre de zone tampon entre l’Ukraine et la Moldavie, à l’est du fleuve Dniestr, et en dépit de son alignement sur Moscou, la Transnistrie a accueilli de nombreux réfugiés ukrainiens. « En lisant les médias transnistriens, on constate que le pays essaie de dégager une image de neutralité tout en aidant les réfugiés de passage », poursuit la politicologue.

IMAGE TIRÉE DE WIKIPÉDIA

Le marteau, la faucille et l’étoile rouge du drapeau de l’ex-URSS sont bien en vue sur celui de la Transnistrie.

Un texte paru sur le site de l’organisme Institute for War and Peace Reporting indique qu’en date du 15 mars, les habitants de la Transnistrie avaient accueilli quelque 6000 Ukrainiens.

PHOTO CHARLES-FRÉDÉRICK OUELLET, COLLABORATION SPÉCIALE

Une adolescente contacte sa famille après son passage au poste frontalier de Palanca, en Moldavie.

« Les liens avec l’Ukraine, qui partage une frontière de 400 km avec la Transnistrie, sont solides », affirme-t-on dans ce texte. Les auteurs ajoutent que l’Ukraine est le principal partenaire régional de la Transnistrie pour les échanges économiques et que 20 % des habitants de la Transnistrie ont des racines ukrainiennes.

L’aide avant la politique

En ce moment sur le terrain, toute cette complexité géopolitique est toutefois secondaire au besoin de venir en aide aux réfugiés.

La Moldavie reste un pays de transit pour la très grande majorité des Ukrainiens fuyant la guerre. Des 384 990 qui y sont entrés depuis le 24 février, 288 000 ont ensuite poursuivi leur chemin. Mais près de 100 000 personnes, dont 48 000 enfants, s’y attardent, sans savoir de quoi sera fait demain. Selon Émil Druc, 8780 ont demandé l’asile politique en Moldavie.

PHOTO FOURNIE PAR L’AMBASSADE DE MOLDAVIE AU CANADA

L’ambassadeur de Moldavie Émil Druc

Le budget du pays n’était pas prêt pour ce défi et nous avons lancé un appel à l’aide aux organismes internationaux. Nous avons reçu des réponses immédiates, mais je réitère mes appels pour plus de nourriture.

Émil Druc, ambassadeur de Moldavie au Canada

De plus, au cours des derniers jours, on a vu la Russie modifier sa stratégie et il y a eu quelques frappes sur Odessa, qui se trouve à une cinquantaine de kilomètres à peine de la Moldavie. Selon Magdalena Dembinska, la Moldavie peinerait à accueillir soudainement un flot d’Ukrainiens fuyant cette grande ville. « S’il y a une attaque sur Odessa, on parle de 1 million de personnes de plus qui entrent en Moldova et la capacité d’accueil n’est pas là. »

Or, mardi, on a appris que des pays donateurs (France, Allemagne, Roumanie) réunis à Berlin avaient convenu de fournir une aide supplémentaire de 695 millions d’euros à la Moldavie. Qu’en est-il au Canada ?

Au ministère Affaires mondiales Canada, on nous indique que sur la somme de 145 millions annoncée pour répondre à la crise humanitaire en Ukraine, une portion de 5,2 millions est destinée à « l’Agence des Nations unies pour les réfugiés (HCR) [pour] répondre aux besoins les plus vitaux et immédiats des Ukrainiens qui ont fui vers la République de Moldova ».

« Le Canada maintient également son soutien envers ses partenaires des Nations unies, de la Croix-Rouge et des ONG qui répondent aux besoins humanitaires en Ukraine, et envers les réfugiés ukrainiens hébergés dans les pays voisins. Ces partenaires sont actifs en Moldova », ajoute le Ministère.

4163 km⁠2

Superficie du territoire de la Transnistrie, soit l’équivalent de 10 fois l’île de Montréal. La population est d’un peu moins de 500 000 personnes, dont 200 000 dans la capitale, Tiraspol.

Source : Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés et moldavie.fr

Entre Moldavie et Transnistrie

  • Un homme traverse la frontière entre l’Ukraine et la ville moldave de Palanca. À ce poste-frontière situé dans le sud-est du pays, un flot constant d’Ukrainiens traversent la frontière, à pied et en voiture. La plupart proviennent de la ville d’Odessa, qui se trouve à une cinquantaine de kilomètres, et de ses environs.

    PHOTO CHARLES-FRÉDÉRICK OUELLET, COLLABORATION SPÉCIALE

    Un homme traverse la frontière entre l’Ukraine et la ville moldave de Palanca. À ce poste-frontière situé dans le sud-est du pays, un flot constant d’Ukrainiens traversent la frontière, à pied et en voiture. La plupart proviennent de la ville d’Odessa, qui se trouve à une cinquantaine de kilomètres, et de ses environs.

  • À Chișinău, capitale de la Moldavie, le rythme de vie n’a pas changé en dépit de la guerre qui fait rage à quelques centaines de kilomètres et de l’arrivée constante de réfugiés ukrainiens. De nombreux Ukrainiens sont d’ailleurs venus se recueillir à l’occasion d’une messe célébrée à la cathédrale de la Nativité du Christ, située en plein cœur de la ville.

    PHOTO CHARLES-FRÉDÉRICK OUELLET, COLLABORATION SPÉCIALE

    À Chișinău, capitale de la Moldavie, le rythme de vie n’a pas changé en dépit de la guerre qui fait rage à quelques centaines de kilomètres et de l’arrivée constante de réfugiés ukrainiens. De nombreux Ukrainiens sont d’ailleurs venus se recueillir à l’occasion d’une messe célébrée à la cathédrale de la Nativité du Christ, située en plein cœur de la ville.

  • Dans la capitale Chișinău, la Bibliothèque nationale est un bâtiment dont la construction remonte à l’ère soviétique. Sur la droite, on reconnaît le drapeau de l’Union européenne, signe des aspirations du pays à créer de nouveaux liens d’appartenance à l’Europe. Présidente de la République depuis le 24 décembre 2020, Maia Sandu et son gouvernement sont pro-européens.

    PHOTO CHARLES-FRÉDÉRICK OUELLET, COLLABORATION SPÉCIALE

    Dans la capitale Chișinău, la Bibliothèque nationale est un bâtiment dont la construction remonte à l’ère soviétique. Sur la droite, on reconnaît le drapeau de l’Union européenne, signe des aspirations du pays à créer de nouveaux liens d’appartenance à l’Europe. Présidente de la République depuis le 24 décembre 2020, Maia Sandu et son gouvernement sont pro-européens.

  • Dans le village de Milestii Mici, au sud de la capitale moldave, Mihail (sur la photo) et Ecaterina ont ouvert leur porte à une famille d’Odessa. Dans son salon, Mihail se dit inquiet de la situation, mais croit qu’il ne peut rien faire de plus pour l’instant que d’accueillir des gens dans le besoin. « Si la guerre s’étendait au-delà de l’Ukraine, je ne veux pas quitter ma maison. Je suis prêt à me défendre », dit-il.

    PHOTO CHARLES-FRÉDÉRICK OUELLET, COLLABORATION SPÉCIALE

    Dans le village de Milestii Mici, au sud de la capitale moldave, Mihail (sur la photo) et Ecaterina ont ouvert leur porte à une famille d’Odessa. Dans son salon, Mihail se dit inquiet de la situation, mais croit qu’il ne peut rien faire de plus pour l’instant que d’accueillir des gens dans le besoin. « Si la guerre s’étendait au-delà de l’Ukraine, je ne veux pas quitter ma maison. Je suis prêt à me défendre », dit-il.

  • Notre collaborateur a rencontré Tatiana, 41 ans, dans un centre sportif converti en centre de crise par des responsables moldaves. Cette femme a quitté la ville d’Odessa avec ses six enfants. Elle garde espoir de retourner vite chez elle, où son mari est demeuré. « On nous dit que notre ville est minée, dit-elle. C’est pourquoi nous sommes partis. Je ne sais pas quoi faire. J’ai peur de dormir. Chaque jour, on prie Dieu pour que cette guerre se termine. Nous ne voulons pas devenir russes. Nous voulons rester ukrainiens. »

    PHOTO CHARLES-FRÉDÉRICK OUELLET, COLLABORATION SPÉCIALE

    Notre collaborateur a rencontré Tatiana, 41 ans, dans un centre sportif converti en centre de crise par des responsables moldaves. Cette femme a quitté la ville d’Odessa avec ses six enfants. Elle garde espoir de retourner vite chez elle, où son mari est demeuré. « On nous dit que notre ville est minée, dit-elle. C’est pourquoi nous sommes partis. Je ne sais pas quoi faire. J’ai peur de dormir. Chaque jour, on prie Dieu pour que cette guerre se termine. Nous ne voulons pas devenir russes. Nous voulons rester ukrainiens. »

  • Vue de la rive gauche du fleuve Dniestr qui constitue la frontière naturelle entre la Moldavie et le territoire autoproclamé de la Transnistrie (non reconnu par la Moldavie et la communauté internationale). Ce sont les habitants de la Moldavie (et les Occidentaux) qui emploient le terme Transnistrie, signifiant « de l’autre côté de la rivière ». Les habitants russophones de la Transnistrie préfèrent appeler leur territoire Pridniestrovie, qui signifie « avant la rivière ».

    PHOTO CHARLES-FRÉDÉRICK OUELLET, COLLABORATION SPÉCIALE

    Vue de la rive gauche du fleuve Dniestr qui constitue la frontière naturelle entre la Moldavie et le territoire autoproclamé de la Transnistrie (non reconnu par la Moldavie et la communauté internationale). Ce sont les habitants de la Moldavie (et les Occidentaux) qui emploient le terme Transnistrie, signifiant « de l’autre côté de la rivière ». Les habitants russophones de la Transnistrie préfèrent appeler leur territoire Pridniestrovie, qui signifie « avant la rivière ».

  • Sergei est un habitant de Coșnița, commune enclavée sur la rive droite du fleuve Dniestr, à un jet de pierre du territoire de la Transnistrie. Des « soldats de la paix » (peacekeepers) russes sont installés dans le secteur qui, durant la guerre de 1992, a été l’un des théâtres les plus sanglants. « La vie est tranquille ici, même s’il y a des Russes sur le pont et la frontière de l’autre côté », dit Sergei, qui a travaillé toute sa vie au village dans une usine de conserves. « Forcément, la situation nous préoccupe. Mais on ne s’en fait pas trop avec la politique. »

    PHOTO CHARLES-FRÉDÉRICK OUELLET, COLLABORATION SPÉCIALE

    Sergei est un habitant de Coșnița, commune enclavée sur la rive droite du fleuve Dniestr, à un jet de pierre du territoire de la Transnistrie. Des « soldats de la paix » (peacekeepers) russes sont installés dans le secteur qui, durant la guerre de 1992, a été l’un des théâtres les plus sanglants. « La vie est tranquille ici, même s’il y a des Russes sur le pont et la frontière de l’autre côté », dit Sergei, qui a travaillé toute sa vie au village dans une usine de conserves. « Forcément, la situation nous préoccupe. Mais on ne s’en fait pas trop avec la politique. »

  • La ville de Bender, aussi désignée sous le nom de Tighina, est un autre exemple de la complexité géopolitique de la région. Cette ville se trouve sur la rive droite du Dniestr, donc du côté moldave. Mais de facto, elle est sous le contrôle de la Transnistrie. Cette photo a été prise à l’entrée de la ville.

    PHOTO CHARLES-FRÉDÉRICK OUELLET, COLLABORATION SPÉCIALE

    La ville de Bender, aussi désignée sous le nom de Tighina, est un autre exemple de la complexité géopolitique de la région. Cette ville se trouve sur la rive droite du Dniestr, donc du côté moldave. Mais de facto, elle est sous le contrôle de la Transnistrie. Cette photo a été prise à l’entrée de la ville.

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Charles-Frédérick Ouellet, photographe documentaire de Québec, a récemment séjourné en Moldavie et en Transnistrie, État indépendant autoproclamé – mais non reconnu – depuis 1991 à la suite de la dissolution de l’URSS. Nous présentons quelques-unes de ses photos.

La Moldavie en bref

PHOTOMONTAGE LA PRESSE

Superficie

33 851 km⁠2 (le Québec a une superficie d’environ 1,7 million de kilomètres carrés)

Population

2,6 millions (en 2020)

2,95 millions (en 2021, selon le site britannica.com)

Capitale

Chișinău (490 632 habitants)

Groupes ethniques

  • Moldaves : 75,1 %
  • Roumains : 7,0 %
  • Ukrainiens : 6,6 %
  • Gagaouzes : 4,6 %
  • Russes : 4,1 %
  • Bulgares : 1,9 %
  • Autres : 0,8 %

Groupes religieux

  • Orthodoxes : 90,1 %
  • Autres branches du christianisme : 2,6 %
  • Athées, autres, non spécifié : 7,3 %

PHOTO AUREL OBREJA, ARCHIVES ASSOCIATED PRESS

Une messe orthodoxe à Chișinău, le 13 mars

PIB par habitant

13 000 $ (Québec = 44 630 $ en 2019)

Valeur des importations en 2020

  • 5,7 milliards
  • De la Roumanie : 17,9 %
  • De l’Ukraine : 11,6 %
  • De la Russie : 8,6 %

Valeur des exportations en 2020

  • 3,0 milliards
  • Vers la Roumanie : 26,3 %
  • Vers la Russie : 9,3 %
  • Vers l’Allemagne : 8,8 %

Forces armées

Personnel : environ 6000 militaires

Équipements : essentiellement du vieux matériel russe et soviétique avec quelques équipements donnés par d’autres pays

PHOTO DANIEL MIHAILESCU, ARCHIVES AGENCE FRANCE-PRESSE

Une petite fille à la sortie des classes à Sireți, village situé à une vingtaine de kilomètres de la capitale Chișinău, le 29 mars

Sources : Banque mondiale, CIA – The World FactBook, Institut de la statistique du Québec, Observatory of Economic Complexity, Britannica, World Population Review