À quelques jours du premier tour de l’élection présidentielle, la question de la chasse divise la sphère politique française. La gauche compte la limiter au nom de la sécurité, de l’écologie et du bien-être animal. Et la droite la défend en prônant la ruralité et la sauvegarde des coutumes.

(Paris) Le 19 février 2022, une randonneuse de 25 ans est tuée par une balle perdue lors d’une battue aux sangliers, dans la région du Cantal. La tireuse : une jeune chasseuse de 17 ans. Quatre mois plus tôt, un automobiliste de 67 ans est mort lui aussi d’une balle perdue alors qu’il circulait sur une route entre Rennes et Nantes. Un mois avant ce drame, un jeune promeneur de 28 ans était grièvement blessé par le tir d’un chasseur qui l’aurait confondu avec un sanglier.

Bien que le nombre de victimes d’accidents de chasse dans l’Hexagone diminue (232 victimes en 2000 contre 83 en 2020), les critiques à l’égard de ce loisir se font de plus en plus fortes. Pour les randonneurs, « le fait de se retrouver à proximité d’une zone de chasse génère un stress indéniable ». C’est du moins ce que clame Philippe Vesco, qui qualifie les chasseurs de « nuisances ».

PHOTO FOURNIE PAR PHILIPPE VESCO

Philippe Vesco

L’homme de 59 ans, qui fait entre 60 et 70 randonnées par année, principalement en Île-de-France, a souvent dû modifier ou rallonger son itinéraire pour se sentir rassuré et à l’abri. Il randonne également muni d’un sifflet, qu’il a dû utiliser plusieurs fois pour signaler sa présence aux chasseurs. « C’est un outil indispensable », constate-t-il.

Selon un sondage réalisé en septembre 2021, le débat sur la chasse divise les Français : 51 % d’entre eux s’y opposent. Ces tensions ont même fini par atteindre le débat présidentiel. Deux candidats de gauche, Jean-Luc Mélenchon de La France insoumise et Yannick Jadot du parti écologiste, comptent l’interdire les jours fériés et la fin de semaine.

PHOTO STEPHANE DE SAKUTIN, AGENCE FRANCE-PRESSE

Jean-Luc Mélenchon, candidat de La France insoumise à l’élection présidentielle

Selon un autre sondage, 69 % des Français se disent favorables à cette proposition. La France est d’ailleurs le seul pays européen permettant la pratique de la chasse tous les jours de la semaine pendant la saison, qui dure généralement du mois de septembre à la fin du mois de février.

Le candidat écologiste accuse les chasseurs de « prendre en otage le reste de la société », tandis que Jean-Luc Mélenchon considère qu’il y a « des formes de chasses particulièrement cruelles », comme le déterrage (chasser certaines bêtes dans leur terrier à l’aide d’un chien) ou la chasse à courre (poursuivre le gibier avec une meute de chiens).

Enjeu important pour la droite

Les candidats des partis de droite n’ont toutefois pas dit leur dernier mot. Selon Christophe Baticle, socioanthropologue à l’Université de Picardie Jules-Verne, « l’attachement à la notion de ruralité » demeure très important pour ces politiciens, qui espèrent promouvoir la conservation de certains modes de vie plus traditionnels.

Il est de bon ton pour les candidats [des partis de droite] d’avoir une image de défenseur des territoires ruraux. Certains vont tenter de la trouver à travers la chasse.

Christophe Baticle, socioanthropologue à l’Université de Picardie Jules-Verne et spécialiste de la sociologie de l’espace et du territoire

Cet objectif politique explique en partie pourquoi les candidats de la droite courtisent les chasseurs. La candidate des Républicains Valérie Pécresse considère la pratique de la chasse comme « un droit, une tradition et aussi un mode de vie dans la ruralité ». Pour Marine Le Pen, du Rassemblement national, il s’agit d’une « tradition ancestrale ». Éric Zemmour, lui, compte « reconnaître les chasseurs et les pêcheurs comme des acteurs de la vie rurale et de l’entretien de la nature ».

PHOTO LAURENT CIPRIANI, ASSOCIATED PRESS

Valérie Pécresse, candidate des Républicains à l’élection présidentielle

La France est le pays européen qui compte le plus de chasseurs : sur les quelque 4 millions titulaires d’un permis, on en trouve 1,2 million d’actifs. Il s’agit donc d’un débat « très français », selon Christophe Baticle, qui explique la popularité de la chasse notamment par la géographie du pays, qui crée des conditions particulièrement favorables à sa pratique.

« Écologie punitive »

Tous les candidats à la présidentielle prochasse ont d’ailleurs répondu favorablement à l’invitation du président de la Fédération nationale des chasseurs (FNC), Willy Schraen, pour prononcer une allocution lors de son assemblée nationale qui s’est tenue le 22 mars.

« Ce débat est particulièrement marqué par la force de l’imaginaire agraire français. Il y a une symbolique derrière tout ça », analyse Christophe Baticle. La visite d’Emmanuel Macron au château de Chambord en 2017 avait d’ailleurs frappé les esprits. Le président avait participé à un « tableau de chasse », soit l’exposition du gibier après une battue, aux côtés de plusieurs présidents de fédérations de chasse.

Dans les médias, le président de la FNC, qui n’a pas voulu accorder d’entrevue à La Presse, a qualifié de « débile » la proposition de certains partis de limiter la pratique de la chasse durant les fins de semaine et les vacances scolaires. Selon celui qui condamne cette « écologie punitive », une telle proposition revient à interdire complètement la chasse, puisqu’elle est principalement « pratiquée par des Français qui travaillent ».

À moins d’une semaine du premier tour, le pouvoir d’achat et la guerre en Ukraine demeurent en tête des plus grandes préoccupations des Français. Il reste à savoir si la chasse fédérera ou divisera les électeurs.