(Boutcha) Hanna Predko avait fui Boutcha, bombardée puis occupée un mois par des soldats russes, accusés d’y avoir commis des exactions. Jeudi, elle est revenue chez elle, « heureuse » que l’armée ukrainienne ait « chassé ces salopards ».

Avec ses trois enfants, elle a quitté la ville dès les premiers bombardements le 24 février. Elle s’est réfugiée dans l’ouest du pays, épargné par la guerre.

Sa mère, Natalia Predko, 69 ans, l’y a rejoint le 11 mars, profitant d’une opération d’évacuation de civils, alors que Boutcha était occupée par les soldats de Moscou.

La sexagénaire laissait là son mari, qui n’a jamais voulu partir de chez lui.

Les combats autour de la localité n’ont jamais totalement cessé et fin mars, les troupes russes se sont retirées de la ville.

Des dizaines de cadavres de civils y ont été découverts le week-end dernier, dont certains avaient les mains liées dans le dos.

PHOTO RODRIGO ABD, ASSOCIATED PRESS

Cette femme a discuté avec des journalistes devant sa maison de Boutcha, le 7 avril.

« Nous sommes très heureux que nos forces armées aient réussi à chasser ces salopards », s’exclame Hanna.

« Maintenant, tout le monde connaît cet endroit, malheureusement pour un prix énorme », ajoute la jeune femme de 31 ans.

Elle est venue en début d’après-midi avec sa mère devant la mairie de Boutcha, le coffre de sa voiture rempli de nourriture pour les donner à des habitants.

Perché dans la nacelle d’une camionnette, un agent de la municipalité vient juste de remettre le drapeau ukrainien sur le toit de la mairie, pour la première fois depuis l’occupation de la ville par les soldats de Moscou.

« La ville est en ruines »

« Je suis très très heureuse d’être revenue et de voir notre drapeau national, après la libération de notre ville par l’armée ukrainienne. Gloire à l’Ukraine ! », s’exclame Natalia en regardant l’étendard bleu et jaune claquer au vent. Elle est aussi heureuse d’avoir retrouvé son mari sain et sauf.

Vont-elles continuer à vivre à Boutcha ? Pour sa fille, c’est une évidence : « Nous prévoyons de rester ici ».

« Beaucoup de mes amis vivent à l’étranger, nous avons été invités et il y avait des possibilités de partir. Mais nous avons décidé de revenir, même si la ville est en ruines », explique la jeune femme.

Dans un petit square devant la mairie, une distribution de biens alimentaires est organisée par de jeunes bénévoles.

Plusieurs dizaines d’habitants défilent, principalement des personnes âgées, couverts comme en plein hiver malgré la douceur printanière. Ils repartent le pas lent, tirant un panier à roulettes ou portant des sacs en plastique remplis de vivres.

Sous le doux soleil, Boris Biguik a lui décidé de prendre son vélo pour venir à Boutcha voir la maison de son fils, policier dans la région et absent quand la ville a été prise.

Boris, 63 ans, habite à côté, dans la localité mitoyenne de Vorzel.

« Le couvre-feu a pris fin aujourd’hui. J’ai donc décidé de venir réparer le portail de la maison de notre fils car ses voisins ont dit qu’il était cassé. Les Russes ont tout volé dans la maison, brisé les portes et les fenêtres », dit-il.

« J’avais peur d’aller à l’intérieur car cela pouvait être piégé. On peut tout attendre de ces “ fascistes ”, nous les avons vus ! », assure le retraité, ancien officier supérieur dans la police.

« Ils ont tout pillé »

À Vorzel, les soldats étaient là aussi et sont restés un mois, comme à Boutcha.

Le policier retraité, qui habite Kyiv en temps normal, était à Vorzel avec sa femme dans leur maison secondaire pour se reposer après une opération. Convalescent, « je ne pouvais pas me battre », explique-t-il.

Surpris par les bombardements, ils n’ont pas pu retourner à Kyiv et sont restés à Vorzel.

Boris raconte que le fils de leur voisine a été tué un soir, « car des Russes équipés de caméras thermiques ont lancé des grenades à partir de drones sur tous ceux qui sortaient dehors ».

Il y a une semaine, quand les soldats russes se sont retirés de la région, « ils ont emporté tout ce qu’ils pouvaient avec eux. Ils ont tout pillé, leurs véhicules blindés débordaient d’affaires volées », dit-il en remontant sur son vélo pour quitter Boutcha.

Il n’a pas eu le temps de voir un petit convoi de gros 4X4 blanc, sigles UN bleus, s’arrêter devant la mairie de la ville.

Martin Griffiths, le secrétaire général adjoint de l’ONU pour les Affaires humanitaires, vient de débarquer pour une courte visite.

Devant une fosse commune creusée par les Ukrainiens, où des corps apparaissent encore à demi-enterrés, le diplomate britannique, pantalon et t-shirt noirs, se fait expliquer par un responsable de la mairie comment des civils ont été tués ces dernières semaines à Boutcha.

PHOTO RONALDO SCHEMIDT, AGENCE FRANCE-PRESSE

Vue aérienne sur l’église Saint-Andrew de Boutcha où une fosse commune a été creusée.

« Le monde est déjà profondément choqué » par les exactions commises, particulièrement à Boutcha, dit Martin Griffiths : « La prochaine étape est de mener une enquête ».

Après une heure sur place, le convoi de l’ONU quitte la ville.

Devant la fosse, attenante à une église blanche aux dômes dorés, l’archevêque Sviatoslav Chevtchouk, chef de l’Église gréco-catholique ukrainienne, dit une prière et se recueille.

« Nous avons vu le génocide du peuple ukrainien ici », dit-il à l’AFP.

« Nous prions parce que le juge le plus important est Dieu tout-puissant, mais la justice doit être rendue même ici. Sinon, si nous ne condamnons pas un tel crime, ce crime sera répété ».