(Kramatorsk) Au moins 52 personnes, dont cinq enfants, ont été tuées dans une frappe de missile vendredi sur la gare de Kramatorsk, dans l’est de l’Ukraine, tandis que de hauts responsables européens se rendaient à Boutcha, ville symbole des atrocités dont est accusée la Russie.

Ce que vous devez savoir

  • Au moins 50 personnes, dont cinq enfants, ont été tuées vendredi dans l’attaque au missile de la gare de Kramatorsk ;
  • Le président Volodymyr Zelensky demande plus d’armes et de sanctions contre la Russie ;
  • Des habitants de Boutcha reviennent après le départ des « salopards » ;
  • La région de Soumy « libérée » de l’armée russe ;
  • Plus de 4,38 millions de réfugiés ont fui le pays ;
  • Les pays de l’UE ont déjà gelé au moins 29,5 milliards d’euros d’avoirs russes et biélorusses ;
  • Le président russe Vladimir Poutine vise une victoire dans le Donbass pour le 9 mai, selon son homologue français Emmanuel Macron ;
  • Les prix mondiaux des denrées alimentaires ont atteint en mars leurs « plus hauts niveaux jamais enregistrés ».

Un « mal sans limite » selon le président ukrainien Volodymyr Zelensky, une « horrible atrocité » commise par Moscou pour le président américain Joe Biden, un « crime contre l’humanité » selon la diplomatie française : le massacre de Kramatorsk a suscité une vague de condamnations occidentales, mais Moscou a nié toute responsabilité.

PHOTO FADEL SENNA, AGENCE FRANCE-PRESSE

Des soldats ukrainiens et des volontaires déplacent la dépouille d’une victime de l’attaque.

« Au moins 52 personnes sont mortes, dont cinq enfants », a écrit sur la messagerie Telegram le gouverneur régional Pavlo Kyrylenko.

Le missile s’est abattu vers 10 h 30 (3 h 30, HE), à l’heure où les candidats à l’évacuation se regroupent depuis des jours par centaines dans la gare de la ville pour fuir le Donbass, désormais objectif prioritaire de l’armée russe.

Photo ANATOLII STEPANOV, Agence France-Presse

Le corps d’un homme gisant sur un banc d’une plateforme de la gare.

Des journalistes de l’AFP ont vu au moins trente corps dans des sacs mortuaires ou sous des bâches.

Les trottoirs étaient maculés de sang, valises abandonnées, peluches et nourriture jonchaient les quais.

PHOTO ANATOLII STEPANOV, AGENCE FRANCE-PRESSE

Les corps de victimes ont été recouverts par des bâches.

Sur le parvis, les restes d’un missile étaient toujours visibles : on pouvait y lire en russe « Pour nos enfants ». Une expression récurrente des séparatistes prorusses en référence à leurs enfants tués depuis la première guerre du Donbass, commencée en 2014.

Dans la gare, une femme, traumatisée, cherchait son passeport dans les affaires abandonnées. « J’ai entendu comme une double explosion, je me suis précipitée contre le mur pour me protéger. J’ai alors vu des gens en sang entrer dans la gare, des corps partout par terre, je ne sais pas s’ils étaient blessés ou morts. Les militaires se sont précipités pour nous dire d’évacuer la gare, j’ai tout laissé ici ».

PHOTO ANATOLII STEPANOV, AGENCE FRANCE-PRESSE

Le président Zelensky a dénoncé des méthodes « inhumaines » de la Russie.

« Sans la force et le courage de nous affronter sur le champ de bataille, ils annihilent cyniquement la population civile. C’est un mal qui n’a pas de limite. Et s’il n’est pas puni, il ne s’arrêtera jamais », a-t-il écrit sur Telegram.

Cette attaque sanglante sur la « capitale » de la partie du Donbass encore sous contrôle ukrainien est une « nouvelle horrible atrocité commise par la Russie », a réagi dans un tweet Joe Biden.

Une « attaque méprisable » selon la présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen, arrivée en Ukraine pour une visite de soutien, accompagnée du chef de la diplomatie de l’UE Josep Borrell.  

Tous deux sont allés en fin d’après-midi à Boutcha, près de Kyiv, où des dizaines de cadavres portant des vêtements de civils, certains les mains liées dans le dos, ont été découverts début avril après le départ des forces russes, suscitant une vague d’indignation.

« La Russie va sombrer dans la décomposition économique, financière et technologique, tandis que l’Ukraine marche vers un avenir européen », a ensuite déclaré Mme von der Leyen à Kyiv, lors d’une conférence de presse commune avec M. Zelensky. « Je suis profondément convaincue que l’Ukraine va gagner cette guerre, que la démocratie va gagner cette guerre », a-t-elle ajouté.

« Nous partageons les mêmes valeurs et c’est pour elles que nous nous battons », lui a répondu le président ukrainien.

Le chancelier autrichien, Karl Nehammer, doit se rendre également à Boutcha, samedi, ainsi qu’à Kyiv.  

Le chef d’État français Emmanuel Macron avait auparavant lui aussi dénoncé le bombardement de Kramatorsk comme « abominable », son ministre des Affaires étrangères, Jean-Yves Le Drian parlant même d’un « crime contre l’humanité ».

Plus généralement, M. Macron a ajouté ensuite que la France était en train de « rassembler les preuves » contre « des crimes de guerre des Russes » en Ukraine. « Nous avons envoyé des gendarmes et des magistrats en coopération pour aider […] à récolter des preuves de la culpabilité de soldats russes et l’identité de ces soldats russes », a-t-il ajouté.

PHOTO ANATOLII STEPANOV, AGENCE FRANCE-PRESSE

Les restes d’un missile ayant touché la gare de Kramatorsk.

Concernant Kramatorsk, Moscou avait immédiatement démenti être responsable de la frappe, affirmant ne pas disposer du type de missile qui aurait été utilisé et dénonçant une « provocation » ukrainienne.

« Les forces armées ukrainiennes ont commis le 8 avril un nouveau crime de guerre, en frappant avec un missile tactique Totchka-U », a réagi le ministère russe des Affaires étrangères, tandis que celui de la Défense a accusé Kyiv d’avoir « orchestré » la frappe pour « empêcher le départ de la population de la ville afin de pouvoir l’utiliser comme bouclier humain ».

Évacuations

Moscou dénonce régulièrement des « provocations » ukrainiennes pour se défendre des accusations d’exactions et de crimes de guerre, comme à Boutcha.

Le ministère russe de la Défense avait annoncé plus tôt vendredi que l’armée russe avait détruit avec des missiles de haute précision « des armements et d’autres équipements militaires dans les gares de Pokrovsk, Sloviansk et Barvinkove », des localités toutes situées non loin de Kramatorsk.

Après avoir retiré ses troupes de la région de Kyiv et du nord de l’Ukraine, la Russie a fait de la conquête totale du Donbass, dont une partie est contrôlée depuis 2014 par des séparatistes prorusses, sa priorité.

De nombreux observateurs estiment que le président russe Vladimir Poutine veut atteindre cet objectif avant le défilé militaire du 9 mai marquant la fin de la Seconde Guerre mondiale, célébration la plus importante en Russie.

Moscou multiplie donc les attaques dans le sud et l’est de l’Ukraine, les autorités locales s’efforçant, quant à elles, de faire partir les civils.

Les évacuations en train, qui avaient été interrompues en raison de la destruction d’une partie de la voie ferrée, avaient repris dans la nuit de jeudi à vendredi, selon le gouverneur de la région de Louhansk, Serguiï Gaïdaï, qui encourageait depuis plusieurs jours ses habitants à partir pour ne pas « se condamner à la mort ».

Menacée à son tour de frappes, le grand port d’Odessa, dans le sud sur la mer Noire, va connaître un couvre-feu de samedi soir à lundi matin, ont annoncé les autorités locales.  

Cercle du Kremlin

À la suite des révélations sur les exactions en Ukraine, la Russie avait été suspendue jeudi par un vote du Conseil des droits de l’homme de l’ONU et a été la cible de nouvelles sanctions économiques occidentales, qui n’empêchent cependant pas le rouble, la monnaie russe, d’avoir retrouvé de la vigueur depuis un mois.

Effet de cette bonne tenue, la Banque centrale russe a même annoncé vendredi qu’elle réautorisait à partir du 18 avril la vente de devises étrangères, qui avait été suspendue début mars.      

Le Royaume-Uni a lui décidé de sanctionner les deux filles du président Poutine et celle du chef de la diplomatie Sergueï Lavrov, disant vouloir s’en prendre au « train de vie fastueux du cercle rapproché du Kremlin ». L’UE a également sanctionné les deux filles du chef du Kremlin, désormais inscrites sur sa liste noire.    

Elle avait déjà adopté jeudi soir un nouveau train de mesures punitives, avec notamment un prochain arrêt des importations de charbon russe. C’est la toute première fois que les Européens frappent le secteur énergétique russe, dont ils sont très dépendants.

Bruxelles prévoit aussi de nouvelles sanctions contre des banques russes ainsi que la fermeture des ports européens aux navires russes. Parallèlement, l’UE est prête à débloquer 500 millions d’euros de plus pour financer des armes pour l’Ukraine.

Kyiv réclame la fourniture « immédiate » d’armes, avant qu’il ne soit trop tard pour faire face à une nouvelle offensive russe dans l’Est.

Le Royaume-Uni a annoncé l’envoi de missiles antichars et antiaériens supplémentaires. Et la Slovaquie « fait don » à Kyiv de systèmes de défense antiaérienne S-300, de conception soviétique.

En Russie, le ministère de la Justice a décidé vendredi de fermer les locaux de plusieurs ONG réputées de défense des droits humains, dont Amnistie internationale et Human Rights Watch.     

Les répercussions indirectes du conflit se font par ailleurs toujours sentir dans le monde.

L’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture a ainsi souligné vendredi que les prix mondiaux des denrées alimentaires avaient atteint en mars leurs « plus hauts niveaux jamais enregistrés », la guerre en Ukraine bouleversant les marchés des céréales et des huiles végétales.  

PHOTO FADEL SENNA, AGENCE FRANCE-PRESSE

Un soldat ukrainien à Severodonetsk, dans la région du Donbass.

Une annonce qui fait craindre une crise alimentaire mondiale et de possibles troubles socio-politiques qui pourraient en découler dans certains pays.