La crainte d’une offensive majeure planait sur l’est de l’Ukraine. Elle s’est concrétisée, vendredi, avec la frappe d’un missile sur la gare de Kramatorsk, dans le Donbass, ayant tué 52 personnes qui tentaient de fuir. Et ce, moins d’une semaine après la découverte du massacre de Boutcha, où se sont rendus de hauts responsables européens.

Mercredi, Kyiv avait lancé un appel clair aux habitants de l’est de l’Ukraine : évacuez maintenant, sous peine de « risquer la mort ».

Deux jours plus tard, au moins 52 personnes, dont 5 enfants, ont péri dans le bombardement de la gare bondée de Kramatorsk, dans le Donbass. Là où, depuis des jours, des centaines de civils se regroupaient pour fuir la région, après la mise en garde du gouvernement ukrainien.

Les images de corps gisant au sol, de valises abandonnées et du parvis maculé de sang ont suscité une nouvelle vague d’indignation. À l’Agence France-Presse, une femme, sous le choc, a raconté une scène d’horreur.

« J’ai entendu comme une double explosion, je me suis précipitée contre le mur pour me protéger. J’ai alors vu des gens en sang entrer dans la gare, des corps partout par terre, je ne sais s’ils étaient blessés ou morts. Les militaires se sont précipités pour nous dire d’évacuer la gare, j’ai tout laissé ici », rapporte-t-elle.

Depuis le repli des forces du Kremlin du nord du pays, les habitants de l’est de l’Ukraine retenaient leur souffle, craignant une offensive russe. Après avoir échoué à prendre Kyiv, la Russie se concentre désormais sur les zones séparatistes du Donbass, estime le Pentagone.

Des dizaines de civils faisaient la queue devant la gare de Kramatorsk, une heure avant qu’elle soit pilonnée, a rapporté un journaliste de l’AFP sur place.

PHOTO FADEL SENNA, AGENCE FRANCE-PRESSE

Scène de dévastation près de la gare de Kramatorsk, vendredi

Les cadavres de victimes de tout âge avaient été rassemblés dans un coin. « Je cherche mon mari, il était là, je n’arrive pas à le joindre », sanglote une femme, hésitant à s’approcher des corps.

Non loin de l’impact de la frappe, les soldats ukrainiens ont trouvé les restes d’un missile sur lequel on avait inscrit en russe « Pour nos enfants », expression employée par les séparatistes prorusses pour justifier leurs actions, en référence à leurs enfants tués depuis le début de la guerre du Donbass, en 2014.

Une « réponse mondiale ferme »

Le président ukrainien, Volodymyr Zelensky, a fustigé les méthodes « inhumaines » de la Russie, ajoutant cette nouvelle frappe à la liste des crimes de guerre dont il accuse le Kremlin. « Sans la force et le courage de nous affronter sur le champ de bataille, ils annihilent cyniquement la population civile. C’est un mal sans limite », a-t-il déclaré sur Telegram.

Volodymyr Zelensky a demandé une « réponse mondiale ferme » après le bombardement meurtrier de vendredi à Kramatorsk. « C’est un autre crime de guerre de la Russie pour lequel chacun parmi ceux impliqués sera tenu responsable », a dit M. Zelensky dans un message vidéo.

Le chef d’État français Emmanuel Macron a dénoncé une attaque « abominable », son ministre des Affaires étrangères, Jean-Yves Le Drian, la qualifiant même de « crime contre l’humanité ».

Le président des États-Unis, Joe Biden, a décrié « une autre atrocité horrible commise par la Russie », visant des civils « qui tentaient d’évacuer et de se mettre en sûreté » sur Twitter.

Moscou a immédiatement rejeté le blâme de la frappe sur Kramatorsk, affirmant ne pas disposer du type de missile utilisé, et accusant Kyiv d’avoir « orchestré » l’attaque pour « empêcher le départ de la population de la ville afin de pouvoir l’utiliser comme bouclier humain ».

La frappe sur le Donbass ne présage rien de bon pour le sud du pays, aussi une priorité du Kremlin. Un couvre-feu est en vigueur jusqu’à lundi matin à Odessa, ville clé au bord de la mer Noire, devant la menace d’une offensive, ont déclaré les autorités locales.

L’Ukraine « vers un avenir européen »

L’attaque dans le Donbass survient moins d’une semaine après le retrait des troupes russes du nord du pays, étalant au grand jour la dévastation semée dans ses localités, dont Boutcha, où des dizaines de cadavres de personnes portant des vêtements civils ont été découverts.

PHOTO SERGEI SUPINSKY, AGENCE FRANCE-PRESSE

Ursula von der Leyen (au centre), présidente de la Commission européenne, et Josep Borrell (à sa gauche), chef de la diplomatie de l’Union européenne, en visite à Boutcha, vendredi

En visite en Ukraine, la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, et le chef de la diplomatie de l’Union européenne, Josep Borrell, se sont tous deux rendus vendredi à Boutcha, symbole de la barbarie russe.

« La Russie va sombrer dans la décomposition économique, financière et technologique, tandis que l’Ukraine marche vers un avenir européen », a déclaré Mme von der Leyen à son retour dans la capitale, lors d’une conférence de presse avec M. Zelensky, qualifiant l’attaque sur la gare de Kramatorsk de « méprisable ».

« Nous partageons les mêmes valeurs et c’est pour elles que nous nous battons », lui a répondu le président ukrainien.

Crimes de guerre

À mesure que les atrocités survenues en Ukraine sont mises au jour, les accusations de crimes de guerre pleuvent contre la Russie.

Le service de sécurité de l’Ukraine a intercepté des communications des troupes russes qui fournissent des preuves de crimes de guerre, a affirmé vendredi Volodymyr Zelensky.

Il y a des soldats qui parlent avec leurs parents de ce qu’ils ont volé et de qui ils ont enlevé. Il y a des enregistrements de prisonniers de guerre qui admettent avoir tué des gens.

Volodymyr Zelensky, président de l’Ukraine, dans un extrait d’une interview avec CBS

La France a déclaré vendredi avoir « envoyé des gendarmes et des magistrats en coopération pour aider […] à récolter des preuves de la culpabilité de soldats russes et [établir] l’identité de ces soldats russes », en vue d’un éventuel procès.

Au Canada, des voix s’élèvent pour réclamer une enquête urgente afin d’établir si la Russie commet un génocide, alors que la GRC a lancé une enquête nationale sur des allégations de crimes de guerre en Ukraine.

Plus d’une semaine s’est écoulée depuis la dernière séance de pourparlers entre la Russie et l’Ukraine, et aucun progrès n’est encore à signaler sur le terrain. Les deux pays seraient toujours « d’accord » pour se retrouver pour des négociations en Turquie malgré les récentes exactions commises par le régime russe, a affirmé vendredi un haut responsable turc.

Avec l’Agence France-Presse, l’Associated Press et La Presse Canadienne