(Paris) Elle se souvient du regard « inhumain » d’Abdelhamid Abaaoud : au procès des attentats meurtriers du 13 novembre 2015 en France, « Sonia », témoin-clé, a raconté vendredi comment elle avait, au péril de sa vie, dénoncé le chef opérationnel des attaques, un « sacrifice lourd » qu’elle « ne regrette pas ».

Témoin protégé, « Sonia » a changé d’identité et de vie depuis son témoignage crucial, « providentiel » selon un enquêteur, qui a permis de localiser Abdelhamid Abaaoud et d’éviter de nouveaux attentats.

Traqué, le chef opérationnel des attaques survenues à Paris et à Saint-Denis, en banlieue, était en fuite après avoir mitraillé des terrasses de cafés et restaurants. « Ennemi public numéro un », le djihadiste sera tué dans un assaut policier le 18 novembre 2015.  

Visage flouté, voix modifiée, c’est un spectre qui apparaît sur les écrans de la cour d’assises spéciale de Paris. « Sonia » dit avoir « 48 ans », être « agent ».

Plus de six ans après les faits, elle décrit à la cour cette soirée, au surlendemain des attentats qui ont fait 130 morts, où elle a croisé la route d’Abdelhamid Abaaoud, terré dans un buisson, le long de l’autoroute, à Aubervilliers, en région parisienne.  

Elle accompagne une jeune femme paumée et instable qu’elle a prise sous son aile et qu’elle héberge, Hasna Aït Boulahcen. Elle devait juste aller récupérer « son cousin de 17 ans qui a des problèmes », mais se retrouve face à Abdelhamid Abaaoud, figure française du djihadisme censée être en Syrie.  

Photo tirée de l’internet

Le cerveau présumé des attentats du 13 novembre 2015 à Paris, Abdelhamid Abaaoud

« Il est là, en face de moi. […] Il m’a serré la main, ce que je regrette », déclare « Sonia », qui en fait encore « des cauchemars ».  

Il se présente, elle lui demande s’il a participé aux attentats. « Il me répond : “Ouais, les terrasses, c’est moi” », rapporte la témoin-clé.  Il assure « qu’il est là pour terminer ce qu’il a commencé ».  

« Je lui dis qu’il a tué des innocents, que l’islam ce n’est pas ça », affirme la mère de famille.  

Elle rentre chez elle et le lendemain, le 16 novembre, elle attend que Hasna Aït Boulahcen quitte son domicile pour appeler le numéro spécial mis en place par la police. « J’ai expliqué qui j’avais rencontré, on ne m’a pas crue », déplore-t-elle.

« Cataclysme »

Elle est convoquée dans la soirée et livre beaucoup d’éléments, une description physique du djihadiste, le fait qu’il porte un blouson, un bob couleur crème et des souliers orange, repérés sur la vidéosurveillance du métro et seulement connus des enquêteurs.  

Pour eux, « la prudence reste de mise », indique un commissaire également entendu vendredi, ancien adjoint à la sous-direction antiterroriste de la police judiciaire.  

Si Abdelhamid Abaaoud, « cible numéro un » du renseignement européen, est bien en France, ce serait « un cataclysme », explique l’enquêteur. Il se pourrait aussi que ce soit « un guet-apens de l’État islamique (EI) ».  

Des surveillances se mettent en place, notamment à proximité du « buisson » d’Aubervilliers, et « Sonia » continue de donner des informations à la police antiterroriste, obtenues de Hasna.  

Cette dernière est mandatée pour trouver un logement à son cousin et des « costumes » pour de nouveaux attentats prévus dans le quartier d’affaires de la Défense, près de Paris, le 19 novembre, visant « un centre commercial, un commissariat ».

« Je n’aurais pas pu laisser faire ça », souligne « Sonia ». Le 18 novembre 2015 avant l’aube, l’unité d’élite de la police, le Raid, lance l’assaut dans l’appartement de Saint-Denis où Abdelhamid Abaaoud s’est retranché avec son complice Chakib Akrouh, autre survivant du commando des terrasses, et Hasna Aït Boulahcen. Tous trois meurent.  

Après 48 heures de garde à vue, « Sonia » est remise en liberté et prise en charge par un service spécialisé du ministère de l’Intérieur.  

Début 2016, elle donne une interview dans laquelle elle se dit « abandonnée » par l’État. Elle bénéficie quelques mois plus tard d’un nouveau statut, devenant la première « témoin protégée » en France.

Son témoignage lui a « coûté cher, très cher », aussi bien pour elle que pour ses enfants et son compagnon, dit-elle à la cour. « C’est un sacrifice qui est lourd », mais « je ne regrette pas ce que j’ai fait, je ne le regretterai jamais ».

Le président de la cour, Jean-Louis Périès, « salue [son] geste courageux », qui « a permis d’éviter d’autres attentats ».