La question de la neutralité de l’Ukraine est à l’avant-plan des négociations avec la Russie en vue d’un potentiel accord de paix. Explications.

Plus une menace

Élément clé des négociations : le fait que la Russie veut que l’Ukraine soit neutre. Ce que ça veut dire ? Explicitement, Moscou ne veut pas qu’il y ait de bases militaires étrangères ni de troupes militaires étrangères sur le territoire de l’Ukraine. « Jusqu’à tout récemment, il y avait des militaires canadiens, américains et britanniques en Ukraine. Donc ça ne serait plus permis », dit Justin Massie, professeur au département de science politique de l’Université du Québec à Montréal (UQAM). Une autre exigence est que l’Ukraine ne se joigne pas à une alliance militaire. « Là, il y a une petite contradiction, car si l’Ukraine devait rejoindre l’Union européenne, il y a un article qui engage la défense mutuelle. Donc ça peut être vu comme une alliance. » La question du sort de la Crimée et de la région russophone du Donbass reste à élucider, mais la Russie peut tenter de « sauver la face » en signant rapidement des accords. « Comme ça, Poutine pourrait dire aux Russes qu’il a fait des gains, et que l’Ukraine ne sera plus une menace à la sécurité. »

Suède et Autriche

La Russie a donné l’exemple de la Suède et de l’Autriche dans les négociations pour indiquer comment elle entrevoit la neutralité ukrainienne. Christian Leuprecht, professeur agrégé de sciences politiques au Collège militaire royal du Canada et à l’Université Queen’s, note que l’Autriche et la Suède sont des pays neutres, en ce sens qu’ils ne font pas partie de l’OTAN. « Mais ils font partie de l’Union européenne, donc ils bénéficient d’une assurance d’être supportés en cas d’attaque, et l’Ukraine va vouloir une protection analogue », dit-il.

PHOTO PAUL WENNERHOLM, ARCHIVES AGENCE FRANCE-PRESSE

Le président de l’Ukraine, Volodymyr Zelensky, lors d’un discours au Parlement de Suède, à Stockholm, le 24 mars dernier

Garanties de sécurité

De son côté, le gouvernement ukrainien s’est dit prêt à renoncer à sa demande d’adhérer à l’OTAN – à condition qu’il obtienne des garanties de sécurité qui pourraient agir comme une police d’assurance contre de futures invasions russes. « Ces garanties de sécurité ne viendraient pas de l’OTAN en tant qu’organisation, mais bien de pays membres de l’OTAN, qui pourraient s’engager sur une base bilatérale à assurer le respect de l’accord de pays ou du cessez-le-feu, et éventuellement protéger l’Ukraine en cas de violation de l’accord », dit Justin Massie. L’Ukraine obtiendrait donc indirectement ce qu’elle ne peut obtenir directement. Mais est-ce que des pays comme la France, les États-Unis ou le Canada vont accepter d’offrir ces garanties ? « Les Ukrainiens veulent que les pays tiennent un vote dans leur Parlement respectif pour assurer la protection, ils ne veulent pas que ça soit seulement un décret », dit M. Massie.

Échec de A à Z

Le résultat du premier mois de la guerre est clair : les Russes ont échoué de A à Z, note Christian Leuprecht. « Le renversement du pouvoir à Kyiv a échoué, démilitariser l’Ukraine a échoué, diviser l’OTAN et les États-Unis a échoué, réduire le pouvoir militaire et l’influence des Américains en Europe a échoué… » Son constat : en négociant avec l’Ukraine, Poutine veut peut-être réduire ses pertes. « Il peut continuer le conflit, aucun doute là-dessus. Sauf que ça devient très coûteux sur le plan militaire, politique et économique. Et même dans une autocratie, la guerre, ce n’est jamais populaire. »

Parole d’honneur ?

La signature de Vladimir Poutine sur un bout de papier appelé « accords de paix » ou « cessez-le-feu » vaudrait-elle quelque chose ? « Personnellement, je ne ferais jamais confiance à la Russie, qui utilise la violence pour conquérir les pays voisins depuis le XVsiècle, dit Christian Leuprecht. Est-ce que les démarches actuelles sont une ruse pour gagner du temps ? C’est un risque. Comment on s’assure que la Russie ne recommencera pas l’attaque dans six mois ? C’est la question. »

PHOTO MIKHAIL KLIMENTYEV, ASSOCIATED PRESS

Le président Vladimir Poutine

Démocratie plus forte

Neutralité ou non, ce qui dérangeait le Kremlin n’a jamais été l’éventuelle adhésion de l’Ukraine à l’OTAN, soulève M. Leuprecht. « Ce qui dérange Poutine, c’est la démocratisation de l’Ukraine, et la menace que cette démocratisation pose pour le régime du Kremlin. Poutine a une paranoïa des révolutions. Il est obsédé par Kadhafi et par la démocratisation de l’Ukraine. Tout ça est une menace pour lui, et je ne vois pas comment ça va s’en aller. Non seulement l’Ukraine va rester une démocratie après ce conflit, elle sera une démocratie encore plus forte, plus proche de l’Occident, qui l’aidera à financer sa reconstruction. C’est pour cette raison que je crois qu’une éventuelle sortie de conflit ne réglera rien aux yeux de Poutine. »

En savoir plus
  • 100 000 soldats
    Nombre de soldats américains sur le sol européen. Ils étaient 68 000 avant l’invasion russe de l’Ukraine, en février.
    Source : Christian Leuprecht, professeur agrégé de sciences politiques au Collège militaire royal du Canada et à l’Université Queen’s