La République tchèque a accueilli quelque 205 000 réfugiés depuis le début de l’invasion de l’Ukraine, en grande majorité des femmes et des enfants. Si certains veulent s’installer, d’autres n’attendent que l’occasion de retourner en Ukraine.

(Prague) Sofia Cheïko se rappelle très bien les combats qui ont eu lieu dans la rue voisine de leur appartement du nord de Kharkiv, dans l’un des premiers quartiers visés par les bombes russes. « Les chars ont commencé à tirer, les enfants pleuraient, les adultes priaient, c’était terrible. »

Quand les avions de chasse russes ont entrepris de survoler leur immeuble, la jeune femme de 18 ans, sa mère, sa grand-mère et son petit frère ont décidé de fuir. Deux jours plus tard, un obus détruisait leur appartement.

Selon Svitlana, 51 ans, et Vitali, son fils de 16 ans, la situation était plus calme dans leur quartier de Kyiv, mais ils sont quand même partis, de peur de voir la ville encerclée par les forces russes. Le mari de Svitlana est resté pour défendre la ville. Les larmes lui montent aux yeux quand elle raconte son départ.

Tu laisses ta maison, tes amis, et tu pars. Tu as l’impression de dire adieu à tout cela.

Svitlana, réfugiée ukrainienne

Les Ukrainiens qui ont trouvé leur chemin jusqu’à Prague racontent un voyage éprouvant. Gares bondées, trains remplis à craquer, routes bloquées par des kilomètres de bouchons, files interminables aux postes-frontières. Et la peur, la peur constante des bombes.

Par l’entremise de connaissances communes, Sofia, Svitlana et Rita Naminat se sont retrouvées à Lviv, dans l’ouest de l’Ukraine, où la sœur de Rita nolisait un autocar pour Prague. Mais pour elles, la destination n’était pas la chose la plus importante. « Nous avons fui Kharkiv dans une telle terreur que je n’ai pas réfléchi où aller, l’important était de s’éloigner des bombes », raconte Sofia.

PHOTO FOURNIE PAR RITA NAMINAT

Rita Naminat et ses parents

En République tchèque depuis dix jours, ces trois femmes sont touchées par l’accueil qui leur a été fait. Rita parle d’un policier tchèque venu tendre 50 $ à sa mère âgée sur le perron de la gare, tandis que Svitlana est émue par tous les drapeaux ukrainiens dans les rues. Le gouvernement tchèque a projeté d’investir l’équivalent de 169 millions de dollars canadiens pour aider les réfugiés dans son pays. « Nous sentons le soutien et c’est agréable de voir que les gens nous comprennent », dit Svitlana. Elle pense que les Tchèques savent qu’ils pourraient être les prochaines victimes de Vladimir Poutine.

Poursuivre ses rêves

Malgré l’exil forcé et la destruction de son appartement, Sofia reste positive et poursuit son rêve, celui de devenir ballerine professionnelle. Grâce à des dons reçus à son arrivée, elle a pu racheter des chaussons de ballet, les siens étant restés derrière dans le chaos de la fuite. Le Théâtre national de Prague l’accueille pour répéter avec sa troupe.

PHOTO FOURNIE PAR SOFIA CHEÏKO

Sofia Cheïko

Déjà avant la guerre, la jeune femme comptait partir pour tenter sa chance dans les théâtres d’Europe centrale, et les combats n’ont fait que devancer son départ. « Si on me proposait du travail au théâtre ici à Prague, j’y resterais sans hésiter », dit-elle.

Pour Rita, qui était vendeuse à Kharkiv, les occasions d’emploi sont rares à Prague, puisqu’elle ne parle ni tchèque ni anglais, mais elle veut s’activer.

Il faut absolument que je trouve une occupation temporaire, ne serait-ce que pour éviter de sombrer dans la dépression.

Rita Naminat, réfugiée ukrainienne

Malgré la distance, elle ne peut arrêter de suivre les nouvelles d’Ukraine et de souffrir à la vue des évènements. « J’ai constamment envie de pleurer quand je vois ces ruines dans les rues de ma ville, raconte-t-elle, mais j’ai encore plus mal pour ces gens qui meurent, pour Marioupol, c’est atroce ce qui s’y passe. »

Si elles ne peuvent prédire la fin de la guerre, ces femmes gardent espoir en l’armée ukrainienne. « Il faut que l’Ukraine vainque, parce que tant de gens sont morts, tant de soldats se sont sacrifiés pour nous tous », dit Svitlana.

Rita continue de croire que Kharkiv résistera : « Ma maison me manque et je veux rentrer […], mais ce qui est clair, c’est que je ne vais pas revenir vivre sous occupation russe », lance-t-elle.