Le flux des réfugiés s’accélère, pourtant ralenti par l’impossibilité pour bon nombre d’Ukrainiens de fuir en toute sécurité

Pendant que l’offensive russe se poursuit dans toute son horreur en Ukraine et que l’étau se resserre sur la capitale, la crise humanitaire ne fait que s’aggraver sans qu’il y ait d’espoir à l’horizon.

À la troisième semaine de guerre, le nombre de réfugiés ukrainiens a dépassé 2,3 millions de personnes, selon le Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés. Et 60 % d’entre eux, soit 1,4 million, ont rejoint la Pologne.

PHOTO CLODAGH KILCOYNE, REUTERS

Une femme portant un bébé arrive à Siret, en Roumanie, après avoir fui l’Ukraine.

Le flot de réfugiés serait sans doute encore plus important si les contraintes entravant la capacité des résidants à fuir les lieux de combat étaient levées. Mais aucun progrès n’a été réalisé à cet égard.

La seule concession de Moscou a consisté à promettre l’ouverture de couloirs humanitaires vers le territoire russe, une offre qui a déjà été condamnée partout dans le monde, notamment par le président de la République française, Emmanuel Macron, qui a dénoncé le « cynisme » de Vladimir Poutine.

« Nous annonçons officiellement que des couloirs humanitaires pour la Fédération de Russie seront désormais ouverts unilatéralement, sans coordination, chaque jour à partir de 10 h du matin », tandis que ceux allant « dans d’autres directions seront négociés avec la partie ukrainienne », a déclaré un haut responsable du ministère russe de la Défense.

« Miner » les routes et le soutien

Selon Aurélie Campana, professeure titulaire au département de science politique de l’Université Laval, cela confirme que « la Russie joue la partie selon ses propres règles ».

« Les couloirs humanitaires, c’est vraiment un piège parce qu’on le voit à Marioupol, on l’a vu dans d’autres villes, les Russes n’hésitent pas à revenir sur leur décision, à bombarder, à miner les routes », a-t-elle expliqué en entrevue avec La Presse.

Ce que Poutine cherche à faire, c’est démoraliser la population, et miner le soutien que la population accorde au gouvernement ukrainien.

Aurélie Campana, professeure titulaire au département de science politique de l’Université Laval

D’ailleurs, une rencontre au sommet entre le chef de la diplomatie russe, Sergueï Lavrov, et son homologue ukrainien, Dmytro Kuleba, en Turquie, à Antalya, station balnéaire du sud du pays prisée des touristes russes, a échoué à trouver un terrain d’entente.

M. Kuleba a déclaré jeudi que la Russie cherchait toujours « la reddition de l’Ukraine ».

Vendredi, le président ukrainien, Volodymyr Zelensky, a accusé les soldats russes d’empêcher l’évacuation de civils des villes de Marioupol et de Volnovakha et d’avoir mené une attaque sur le trajet prévu d’un couloir humanitaire.

PHOTO EVGENIY MALOLETKA, ASSOCIATED PRESS

Les frappes russes sur la ville de Marioupol se sont poursuivies jeudi.

« Les troupes russes n’ont pas cessé le feu. Malgré tout, j’ai décidé d’envoyer un convoi de véhicules vers Marioupol, avec de la nourriture, de l’eau, des médicaments […] Mais les occupants ont lancé une attaque de char exactement là où devait passer ce couloir », a affirmé le président, dans une allocution vidéo.

C’est de la terreur assumée, de la terreur effrontée, de la part de terroristes expérimentés. Le monde entier doit le savoir.

Volodymyr Zelensky, président de l’Ukraine

Le président Zelensky prononcera un discours virtuel devant le Parlement canadien mardi prochain. Il s’adressera aux députés et aux sénateurs, comme il l’a fait plus tôt cette semaine devant les députés britanniques.

Sur le front militaire

Sur le front militaire, l’armée russe a continué de pilonner les villes de Marioupol, de Kharkiv et de Mykolaïv. Elle a aussi poursuivi son encerclement de Kyiv, dont la moitié de la population a fui depuis le début de l’invasion russe.

Oksana Besedina, elle, a choisi de rester, comme deux millions d’autres habitants.

« Si on va ailleurs, ça va être pareil », a-t-elle dit à La Presse sur WhatsApp, de son appartement situé au cœur de la capitale.

PHOTO TIRÉE DU COMPTE INSTAGRAM D’OKSANA BESEDINA

Oksana Besedina

Il y a des attaques aériennes partout dans le pays. Ici, au moins, on peut travailler. On a tout ce qu’il faut, on a l’internet, et on peut acheter de la nourriture à certains endroits.

Oksana Besedina, résidante de Kyiv

A-t-elle peur ? « Oui, un peu. Mais ici, tout le monde fait quelque chose pour aider les autres. Et mon copain ne peut pas sortir du pays. Alors, on reste. »

Si l’offensive militaire russe semble avoir fait peu de progrès, jeudi, l’offensive de propagande russe roule toutefois à plein régime.

En réponse à l’indignation unanime provoquée par la frappe aérienne contre un hôpital pour enfants de Marioupol, qui a fait trois morts, Moscou a qualifié le bombardement de « mise en scène » et le ministre russe des Affaires étrangères, Sergueï Lavrov, a décrit les inquiétudes concernant les pertes civiles comme des « pleurs pathétiques » des ennemis de la Russie.

Il a affirmé sans fournir de preuves que l’hôpital de Marioupol avait été saisi par des combattants radicaux d’extrême droite qui l’utilisaient comme base.

Des enfants morts et blessés

Au total, depuis le début de l’invasion, 71 enfants ont été tués et plus de 100 autres ont été blessés, selon Liudmyla Denisova, chargée des droits de la personne auprès du Parlement ukrainien.

Le premier ministre du Canada, Justin Trudeau, qui était en Pologne jeudi dans le cadre de sa tournée européenne, compte accélérer le traitement des demandes de réfugiés ukrainiens qui ont fui leur pays. Le président polonais, Andrzej Duda, lui a clairement demandé d’éliminer le plus d’obstacles possible à l’accueil des réfugiés au Canada, dans le cadre d’une conférence de presse commune.

De nombreux témoignages dans les médias canadiens ont en effet décrit les lourdeurs bureaucratiques que rencontraient les réfugiés aux prises avec les services consulaires canadiens dans les pays limitrophes de l’Ukraine.

« Essayez d’introduire des mesures très, très, très simples, a suggéré M. Duda. Des procédures simples, des visas… pour permettre ce processus. »

Avec La Presse Canadienne et l’Agence France-Presse