Depuis le début de l’invasion russe, le président de l’Ukraine, Volodymyr Zelensky, réclame de l’OTAN l’imposition d’une zone d’exclusion aérienne dans le ciel du pays pour éviter une catastrophe humanitaire. L’OTAN refuse de franchir ce pas. Son secrétaire général, Jens Stoltenberg, l’a de nouveau répété mercredi à la Conférence d’Ottawa sur la défense et la sécurité. Explications.

Pourquoi cette demande répétée ?

« Si vous contrôlez l’espace aérien, vous contrôlez essentiellement tout ce qui se passe au sol », indique Benjamin Zyla, professeur adjoint à l’École de développement international et mondialisation de l’Université d’Ottawa. « Si l’OTAN prenait le contrôle de l’espace aérien ukrainien, elle pourrait abattre les avions de chasse et bombardiers russes et détruire leur système de défense antiaérienne, dit Justin Massie, professeur de science politique à l’UQAM. Ils ne pourraient plus utiliser la voie des airs pour frapper les Ukrainiens. »

Pourquoi ne le fait-on pas ?

« La Russie a déjà indiqué qu’elle considérerait l’engagement de l’OTAN à créer une zone d’exclusion aérienne en Ukraine comme un acte de guerre et qu’elle répliquerait », indique M. Zyla. « Le président Zelensky sait bien que si l’OTAN agréait à sa demande, nous serions en présence d’un affrontement entre deux puissances nucléaires, relève Justin Massie. Les chances que ça se produise sont minces ! »

Cette demande répétée est-elle une tactique pour obtenir autre chose ?

« M. Zelensky demande toutes sortes de matériel de combat qu’il obtient jusqu’à présent (missiles, systèmes de défense antiaérienne), dit M. Massie. Plus récemment, il a demandé des chasseurs que les Ukrainiens piloteraient. En l’occurrence, des chasseurs soviétiques. Les Polonais, les Roumains, les Bulgares et les Slovaques en ont. »

Ce prêt est-il envisageable ?

« C’est une ligne rouge difficile à trancher, poursuit M. Massie. Comment la Russie va-t-elle percevoir cela et surtout, comment va-t-elle réagir ? Le problème avec les chasseurs est que, contrairement à des missiles ou des lance-roquettes, on ne les transporte pas par la voie terrestre ! »

Justement, pourquoi le don d’armes létales par des pays de l’OTAN n’est-il pas considéré comme un acte de guerre ?

Selon Benjamin Zyla, ces armes tombent sous le parapluie de l’article 51 de la Charte des Nations unies sur le droit de légitime défense individuelle ou collective. « L’OTAN aide l’Ukraine à se défendre, dit-il. Ce n’est pas un acte de guerre actif d’aider et de pourvoir en matériel un pays ayant subi une agression. »

L’OTAN a été créée sur la base d’une défense mutuelle définie dans l’article 5 de sa charte. A-t-elle toujours agi selon ce principe ?

Non, l’OTAN a mené plusieurs guerres sans évoquer cet article. « L’organisation est intervenue au Kosovo, en Libye, en Irak, en Afghanistan, rappelle Justin Massie. Elle n’a pas fait que défendre ses membres. »

Quel est le degré d’impact des frappes aériennes russes en Ukraine ?

Benjami Zyla croit qu’il est majeur. « Ce que l’ont voit de la télévision est que les Russes attaquent surtout depuis les airs. La dominante vient de là », croit-il. Justin Massie estime risqué d’évaluer quelles armes font le plus de dégâts. Mais il note que les sources des frappes sont variées : bombes à fragmentation, artillerie, missiles, tirs d’hélicoptères, frappes aériennes.

La défense aérienne ukrainienne existe-t-elle toujours ?

Oui. « C’est étonnant, dit Justin Massie. Dans les premières heures d’un conflit, la stratégie d’une grande puissance, qu’elle soit russe, chinoise ou américaine, est de détruire l’aviation ennemie et ses systèmes de défense aériens pour contrôler le ciel. C’est fondamental. Or, dans les premiers jours du conflit, la Russie a peu volé et a peu envoyé de missiles. Son armée a fait une guerre éclair en envoyant quelques blindés et quelques troupes aéroportées pour prendre Kyiv. Il y a eu, je pense, un mauvais calcul majeur du chef d’état-major russe croyant que ça serait facile. Ça n’a pas été le cas ! »

En dépit de son refus d’instaurer une zone d’exclusion aérienne, l’OTAN montre-t-elle ses muscles dans la région ?

Oui, répond Justin Massie. « Les membres de l’OTAN renforcent leur présence dans les pays limitrophes de la Russie et de l’Ukraine, dit-il. On augmente les contingents militaires américains, européens, canadiens dans les pays baltes ainsi qu’en Pologne, en Roumanie, en Slovaquie et en Hongrie, où il n’y en avait pas avant. Dans les pays baltes où l’OTAN était déjà présente, on a augmenté le nombre de chasseurs, d’avions de transport, de surveillance, de drones, de navires, etc. On envoie un message clair au président Poutine : il ne peut pas attaquer un membre de l’OTAN, sans quoi il y aura une réponse. »

En savoir plus
  • Extrait de l’article 5 de la charte de l’OTAN
    « Les parties conviennent qu’une attaque armée contre l’une ou plusieurs d’entre elles survenant en Europe ou en Amérique du Nord sera considérée comme une attaque dirigée contre toutes les parties. »
    Source : SITE INTERNET DE L’OTAN