Le gouvernement ukrainien, qui accuse la Russie de pratiquer une forme de « terrorisme d’État » en multipliant les frappes meurtrières contre des cibles civiles, a demandé mardi aux pays occidentaux d’intensifier leurs efforts pour le soutenir en adoptant sans plus attendre des mesures chocs susceptibles d’exacerber l’ire du Kremlin.

Le président ukrainien, Volodymyr Zelensky, a notamment demandé mardi que l’OTAN mette en place une zone d’exclusion aérienne au-dessus de son pays, qui n’est pas membre de l’organisation, de manière à priver les forces russes de leur avantage dans ce domaine.

Le premier ministre du Royaume-Uni, Boris Johnson, a souligné qu’une telle initiative représenterait un « très, très grand pas » dans le contexte actuel puisqu’elle signifierait que les forces de l’Alliance atlantique seraient amenées à abattre des avions russes, ce qui entraînerait un périlleux affrontement direct avec Moscou.

Le secrétaire général de l’OTAN s’est empressé de préciser, dans la même veine, que l’Alliance est de « nature défensive » et ne cherche pas à entrer en conflit avec la Russie.

Le président russe, Vladimir Poutine, a multiplié les mises en garde contre de telles actions depuis le lancement de l’offensive militaire contre l’Ukraine, brandissant même la menace nucléaire pour convaincre les pays soutenant Kiev de ne pas aller trop loin.

Adhésion à l’Union européenne

Le chef d’État ukrainien a demandé par ailleurs mardi que son pays puisse être intégré « sans délai » à l’Union européenne dans une allocution présentée aux députés européens par vidéo depuis Kiev.

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Le président de l’Ukraine, Volodymyr Zelensky, lors d’une allocution présentée aux députés européens par vidéo depuis Kiev, mardi

« Prouvez-nous que vous êtes avec nous, prouvez-nous que vous ne nous abandonnez pas et que vous êtes vraiment des Européens ! », a plaidé M. Zelensky, suscitant une ovation des députés, qui ont ensuite adopté une résolution appelant les autorités européennes « à travailler pour l’octroi à l’Ukraine du statut de candidat à l’UE ».

Le chef du Conseil européen, Charles Michel, qui représente les 27 pays membres, a assuré sans plus de précision que les dirigeants européens « prendraient leurs responsabilités » face à la demande ukrainienne malgré l’opposition historique de Moscou à un tel rapprochement.

Une adhésion rapide permettrait à l’Ukraine de formaliser son arrimage politique et économique avec les pays occidentaux. Elle pourrait aussi favoriser l’application d’une clause de solidarité mutuelle susceptible de jouer en temps de conflit, relève Frédéric Mérand, du Centre d’études et de recherches internationales de l’Université de Montréal (CERIUM).

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Ovation des députés du Parlement européen après l’allocution du président de l’Ukraine, Volodymyr Zelensky, mardi

Le processus d’adhésion nécessite cependant des années en temps normal et ne peut être lancé qu’avec l’approbation unanime des États membres, souligne le chercheur, qui n’écarte pas la possibilité d’un vote rapide à ce sujet en raison de la gravité historique de la situation.

Quoi qu’il advienne, les pays européens ont déjà « énormément bougé » au cours des deux dernières semaines pour venir en aide à l’Ukraine, note M. Mérand.

Aide européenne

En plus d’annoncer l’envoi d’armes et de munitions, les pays européens se sont entendus, de concert notamment avec les États-Unis et le Canada, pour appliquer une série de sanctions mordantes contre la Russie, notamment l’exclusion de plusieurs banques du système d’échange Swift et l’interdiction de transactions avec la Banque centrale de Russie, limitant sa capacité à contrer la chute du rouble.

Ils ont aussi interdit le survol de leur espace aérien par des appareils russes et multiplié les restrictions commerciales de manière à pénaliser le régime du président Vladimir Poutine, qui se trouve de plus en plus isolé internationalement. Des restrictions sur les importations de gaz et de pétrole sont en discussion, alors que se multiplient dans les sphères culturelle et sportive les annonces de boycottage et d’exclusion.

Le régime russe peut compter jusqu’à maintenant sur l’appui de la Chine pour contrer les effets des sanctions, mais Pékin peine à cacher son irritation face à l’intervention militaire, qui lui cause des maux de tête diplomatiques.

Un porte-parole du Kremlin a assuré mardi que les sanctions, aussi sévères soient-elles, ne forceraient pas la Russie à revoir l’« opération militaire spéciale » lancée contre l’Ukraine, qui a fait des centaines de victimes dans la population. L’attaque à grande échelle, qui touche de larges pans du pays, a aussi entraîné, selon les Nations unies, le déplacement interne d’un million de personnes et le départ précipité de près de 700 000 autres vers des pays limitrophes.

Prenant le contrepied de Moscou, qui assure s’en tenir à des cibles strictement militaires, le secrétaire d’État des États-Unis, Antony Blinken, a accusé l’armée russe de frapper sans discernement « des écoles, des hôpitaux et des bâtiments résidentiels » en multipliant les violations du droit humanitaire international.

Nouvelle série d’attaques

Comme elles l’avaient fait lundi, les forces russes ont notamment multiplié les frappes mardi contre Kharkiv, deuxième ville d’Ukraine, faisant au moins 10 morts et plus de 35 blessés selon les autorités locales. Un puissant missile de longue portée a notamment pris pour cible un bâtiment administratif situé dans le cœur de la ville, sur la place de la Liberté, générant une gigantesque boule de feu qui a été captée sur vidéo.

« Il n’y avait aucune cible militaire sur cette place. […] C’est un crime de guerre », a accusé le président ukrainien. « Ce n’est pas seulement une guerre, c’est le massacre de la population ukrainienne », a accusé le maire de Kharkiv, Igor Terekhov.

La ville de Marioupol, dans le sud du pays, se trouvait parallèlement privée d’électricité après une nouvelle série d’attaques des troupes russes, qui cherchent à l’encercler.

Des frappes ont par ailleurs endommagé une importante tour de télécommunication à Kiev après que le ministère de la Défense russe eut prévenu la population que des actions ciblées étaient prévues.

Un journaliste du quotidien The Guardian rapporte que la gare était prise d’assaut mardi par des résidants paniqués, qui espéraient quitter la ville avant le lancement d’une offensive majeure.

Un convoi militaire long de plusieurs dizaines de kilomètres se dirige depuis quelques jours vers la capitale, faisant craindre une possible tentative d’encerclement. Les États-Unis affirment que sa progression est cependant extrêmement lente, ce qui pourrait refléter des difficultés d’approvisionnement et de logistique.

Une suite « plus brutale » ?

Dans une analyse relayée par le Washington Post, un expert militaire, Ryan Baker, note qu’il n’est pas rare que de tels problèmes surviennent lors d’offensives militaires majeures.

Le simple fait que des unités connaissent des difficultés et que l’invasion progresse lentement ne suffit pas pour conclure que l’opération va échouer.

Ryan Baker, expert militaire, dans une analyse relayée par le Washington Post

Un autre analyste qui connaît bien l’armée russe, Michael Kofman, a écrit sur Twitter mardi que les militaires semblaient être en train de faire des ajustements après avoir connu un début « chaotique ».

La guerre, prévient-il, va sans doute devenir « plus brutale » et risque de se décider en fonction de l’importance des contingents déployés et de la puissance de feu, deux éléments jouant en faveur de la Russie.

Le président des États-Unis, Joe Biden, a assuré en soirée lors du discours sur l’état de l’Union que Vladimir Poutine « paiera le prix fort » pour ses actions en Ukraine même s’il réussit à enregistrer des gains sur le champ de bataille.