(Paris) Ayant moins avancé qu’attendu après cinq jours de guerre, l’armée russe, qui tente d’opérer une jonction dans le sud de l’Ukraine, se prépare simultanément à « frapper fort » la capitale Kiev et d’autres centres urbains, faisant craindre de lourdes pertes civiles, affirment des experts à l’AFP.

Selon deux sources interrogées par l’AFP, une diplomatique et l’autre sécuritaire, Moscou s’apprête à lancer de manière imminente une nouvelle poussée militaire. « Ils préparent quelque chose de vraiment massif », selon l’une des sources, tandis que la seconde a déclaré qu’une « deuxième vague » guerrière allait frapper l’Ukraine « de manière imminente », les Russes ayant pris leurs dispositions logistiques pour la lancer.

Un enlisement très relatif

La progression des militaires russes est bien moins rapide qu’envisagée et la Russie est « frustrée par la ferme résistance de Kiev, affirmait dimanche le Pentagone, pour qui plus de 50 % des forces que [le président russe Vladimir] Poutine a massées contre l’Ukraine […] sont engagées » dans ce pays.

Si le président ukrainien Volodymyr Zelensky a appelé lundi les soldats russes à « déposer [leurs] armes » pour « sauver [leur] vie », l’enlisement de l’armée envoyée par Moscou parfois évoqué chez les Occidentaux est loin d’être une réalité, remarquent plusieurs experts.

 « Il n’y a que dans les jeux vidéo que l’on conquiert un pays en deux jours », affirme Olivier Kempf, le directeur du cabinet stratégique La Vigie, interrogé par l’AFP.

« Il n’y a pas d’enlisement. Qu’il y ait des difficultés, oui, c’est la guerre. Ils ont peut-être des problèmes logistiques, mais, quoi qu’on nous raconte, ils progressent. C’est juste que ça ne va pas aussi vite que dans les films d’Hollywood », poursuit-il.

Très supérieures militairement, notamment dans les airs, les forces russes disposent d’« une grande liberté de mouvement » à travers l’Ukraine et les images satellites montrent « de longues colonnes de véhicules à découvert », suggérant qu’« elles restent confiantes dans leurs propres positions et dans l’incapacité de l’Ukraine » de leur faire face, observe Nick Brown, de Janes, un centre de recherche britannique sur la défense.

Jonction militaire dans le Sud

Les combats font rage dans le sud de l’Ukraine, que bordent la mer Noire et la mer d’Azov. Arrivées par la Crimée, un territoire situé presque au milieu des côtes ukrainiennes, les troupes russes se déploient progressivement vers l’Ouest, notamment à Odessa, et l’Est, où Marioupol revêt une importance stratégique.

Quelques dizaines de kilomètres, farouchement disputés par les forces ukrainiennes, séparent ainsi le flanc sud-ouest du flanc sud-est de l’armée russe. Au milieu, Marioupol, une ville portuaire encore contrôlée par Kiev bien que frontalière du Donbass, où coexistent depuis 2014 deux territoires séparatistes dont Moscou a reconnu l’indépendance il y a une semaine, et où les violences sont à leur comble.

Prendre Marioupol ouvrirait la voie à une jonction des forces russes qui « changerait tout », notamment pour leur logistique et leur approvisionnement, observe une source militaire française.

« Ça permettrait d’avoir une continuité territoriale entre la région [russe] de Rostov-sur-le-Don [frontalière de l’Ukraine] et la Crimée », qui donnerait à Moscou la possibilité d’« absorber » ou d’« annexer » tout l’est de l’Ukraine, poursuit-elle.

Les troupes russes prendraient en outre en tenaille les forces ukrainiennes se battant dans le Donbass. Mais les Russes devraient ensuite « tenir et dominer » ce territoire pour « assurer leur propre sécurité », avertit Nick Brown.

Frappes à l’aveugle

Les pertes civiles, quelques centaines de morts côté ukrainien, sont pour l’instant modérées alors que Kiev et les pays occidentaux accusent les forces russes de barbarie et que l’Ukraine affirme avoir tué au moins 4500 soldats russes. Moscou a fait savoir aux habitants de Kiev qu’ils pouvaient la quitter « librement » par le Sud.

« L’Ukraine, pour les Russes, ce n’est pas comme la Syrie. C’est beaucoup plus compliqué pour eux de faire des tapis de bombes », observe un diplomate européen interrogé par l’AFP.

« Ce sont des gens qui leur sont proches, certains ont des parents [en Ukraine]. C’est d’ailleurs pour cela que Poutine les traite de nazis, parce que les Russes ne perçoivent pas initialement les Ukrainiens comme des ennemis », poursuit cette source.

Mais l’invitation à quitter Kiev, l’objectif numéro 1 de l’armée russe car elle s’emparerait ainsi du « centre du pouvoir ukrainien », fait imaginer « une phase préparatoire à une intensification des frappes sur la ville », estime la source militaire.

Et d’ajouter : à Kharkiv, la deuxième ville d’Ukraine, dans le nord-est, « il y a de violents combats, avec l’utilisation de lance-roquettes multiples, ce qui veut dire que les Russes tapent très fort et de manière de plus en plus aveugle. On voit qu’ils engagent des moyens beaucoup plus lourds. Les prochains jours vont être beaucoup plus durs. »