Yarina Arieva et Sviatoslav Fursin devaient se marier le 6 mai. Mais Vladimir Poutine a précipité leur plan. Jeudi dernier, jour où les troupes russes ont lancé leur offensive contre l’Ukraine, Yarina, 21 ans, et son amoureux Sviatoslav, 24 ans, ont décidé de se marier à toute vitesse, à Kiev.

Les célébrations ont été minimalistes. Dès le lendemain, les jeunes mariés troquaient les vêtements traditionnels ukrainiens portés lors de la cérémonie contre le treillis militaire. Et ils ont rejoint une unité de défense territoriale ukrainienne de la capitale.

« C’est une étrange lune de miel », dit Yarina, jointe au téléphone dimanche soir, alors que son mari venait tout juste de rentrer de sa première mission de deux jours aux portes de Kiev.

Ils logent tous deux dans un immeuble de bureaux converti en caserne, près du district qui abrite les bâtiments gouvernementaux dans la capitale ukrainienne.

Ils y sont des centaines, peut-être un millier, estime Yarina Arieva. Les jeunes recrues de la défense territoriale improvisée en catastrophe après l’invasion russe dorment sur des matelas de sol ou carrément par terre.

L’atmosphère est extraordinaire, on chante, on rit. Nous sommes tellement positifs, nous croyons tous que nous allons gagner, que nous ne capitulerons pas, que nous libérerons notre pays de ces animaux qui sont entrés sur notre terre.

Yarina Arieva

Pour l’instant, le gros des troupes russes est stationné à une trentaine de kilomètres de Kiev. Au cours des derniers jours, les autorités ukrainiennes ont décrété un couvre-feu dans la capitale pour se protéger des « saboteurs » – des soldats russes qui s’infiltrent dans la ville, se faisant parfois passer pour des soldats ukrainiens, pour préparer l’ultime assaut. Certains auraient d’ailleurs déjà été repérés et arrêtés.

Le gouvernement ukrainien a publié un décret interdisant aux hommes de 18 à 60 ans de quitter la ville. Des civils s’affairent massivement à préparer des cocktails Molotov pour accueillir les chars russes. Le ministère de la Défense affirme avoir distribué 25 000 armes d’assaut aux civils. Et de nombreuses personnalités publiques ont grossi les rangs de la défense territoriale.

Parmi elles, l’ex-président Petro Porochenko, l’ancien boxeur et maire de Kiev, Vitali Klitschko, ou encore la députée de l’opposition Kira Rudik, qui affirme avoir appris à manipuler une kalachnikov au cours des derniers jours.

Sans expérience

Yarina Arieva et Sviatoslav Fursin font partie des volontaires prêts à défendre leur ville et leur pays.

Yarina est une jeune membre du conseil municipal de Kiev, où elle représente le parti de la Solidarité européenne.

Nombre de ses compagnons de travail et des militants de son parti ont aussi pris les armes, dit-elle.

Son père, Volodymyr Ariev, que La Presse avait rencontré en 2014 en plein mouvement de protestation contre l’ex-président ukrainien Viktor Ianoukovitch, représente ce même parti de la Solidarité européenne à la Rada, le Parlement ukrainien.

PHOTO FOURNIE PAR YARINA ARIEVA

Sviatoslav Fursin et Yarina Arieva

Sviatoslav Fursin, lui, est ingénieur en informatique. Comme sa femme, il n’a aucune expérience militaire. Il raconte avoir appris à manipuler les armes à feu grâce à son père, au fil des ans.

Et comme sa jeune conjointe, il veut rester à Kiev, coûte que coûte.

« Je n’ai aucune intention de donner ma ville à ce personnage qu’est Poutine », laisse tomber Sviatoslav, d’une voix épuisée.

Deux jours au front

Lorsque nous joignons le couple, dimanche, Sviatoslav Fursin vient tout juste de rentrer du poste de défense ukrainien où il n’a pas fermé l’œil pendant 48 heures.

Il s’était auparavant procuré un treillis usagé de l’armée britannique et avait reçu une AK-47. « J’ai fourni mes propres bottes », tient-il à souligner.

Son bataillon a été posté à une vingtaine de kilomètres au nord de Kiev, avec des armes antichars.

« Je dirige une équipe de 10 hommes, nous devons empêcher les tanks russes de percer notre ligne de défense », explique le jeune homme.

La voix éraillée, il raconte que, jusqu’à maintenant, voyant la défense ukrainienne, les blindés russes ont rebroussé chemin ou bifurqué.

« Plusieurs sont entrés dans la forêt », dit-il. Au moment de notre conversation, Sviatoslav Fursin n’avait participé à aucun combat.

Après avoir passé deux jours à se ronger les sangs pour lui, Yarina était soulagée de le retrouver. « Il a maintenant le droit de dormir pendant huit heures, mais il devra repartir demain matin », a-t-elle confié. Pour aller où ? Sviatoslav l’ignorait. « Ça peut être n’importe où. »

Yarina Arieva s’est elle aussi procuré une arme de combat, mais n’a pas l’intention d’aller au front. « Ma condition physique ne me le permet pas », explique-t-elle. En revanche, elle s’active dans les coulisses. Elle travaille dans la cuisine collective. Et elle suit une formation en premiers soins, au cas où il y aurait des blessés.

L’exemple de la Crimée

Sviatoslav Fursin raconte avoir vécu cinq ans en Crimée, qui a été annexée par la Russie en 2014.

Ce qu’il y a vu l’encourage à se battre contre les troupes de Vladimir Poutine.

« Autrefois, à Yalta, quand c’était une ville ukrainienne, il y avait de la musique partout, du jazz, de la musique classique qu’on pouvait entendre au bord de la mer. Depuis que les Russes occupent la Crimée, on n’entend plus que des chansons russes, il y a la police partout, elle vous arrête pour rien et peut mettre de la drogue dans vos poches pour vous demander un pot-de-vin », déplore-t-il.

J’ai vécu dans la Crimée occupée et je ne veux pas que mon pays devienne comme la Crimée occupée.

Sviatoslav Fursin

N’a-t-il pas peur de ce qui l’attend le jour où l’armée russe lancera son offensive générale contre Kiev ?

« Je ne suis pas un héros, assure Sviatoslav Fursin, je ne veux pas mourir. Mais je n’ai pas peur pour moi. Je dirige 10 hommes, je suis responsable d’eux et j’ai un travail à faire. »

Sa femme se souvient du choc qu’elle a ressenti quand elle a entendu les premières sirènes, à l’aube, jeudi dernier. « Au début, c’était la panique, la peur, ensuite les larmes, la dépression », énumère-t-elle.

Puis, Yarina a compris qu’elle devait passer à l’action. Et elle a décidé de rejoindre la force de défense de Kiev.

« J’ai compris que ma place était ici et que c’est ce que je dois faire. »