(Paris) L’interrogatoire de Mohamed Bakkali, soupçonné d’être l’un des logisticiens des attentats du 13-Novembre, a tourné court mercredi : il a fait valoir son « droit au silence », au grand désarroi des proches de victimes, frustrés d’explications pour une deuxième journée d’affilée.

« Ma parole est toujours suspecte, elle n’a pas de valeur. J’ai eu beau jouer le jeu, ça n’a rien changé », pose l’accusé d’une voix calme dès le début de l’audience.

« Ce procès a été compliqué pour moi depuis le début. Il y a eu les cinq semaines de parties civiles difficiles à encaisser, ça m’a achevé », poursuit le Belgo-Marocain de 34 ans, qui a obtenu une licence de sociologie en détention. « Je n’ai plus la force de me battre ni de m’expliquer ».

Son interrogatoire était prévu sur deux jours, mercredi et jeudi.

Avant lui, un autre accusé, le Suédois Osama Krayem, qui refuse d’assister aux audiences depuis la fin novembre, avait également fait usage de son droit au silence à l’heure de son interrogatoire.

Crâne entièrement rasé, barbe courte derrière un masque chirurgical bleu, pull blanc, Mohamed Bakkali explique à la cour pourquoi il n’est « pas en capacité de répondre aux questions ». « Quoi que je fasse c’est toujours la même chose, tout est considéré comme de la ruse », regrette-t-il.

« C’est dommage », répète le président de la cour d’assises spéciale, Jean-Louis Périès, « j’ai envie de vous dire : tentez votre chance devant cette juridiction ». En vain, l’accusé refuse.

« J’ai eu un autre procès auquel je suis allé avec beaucoup d’espoir. Je me suis expliqué très longuement. Je me suis battu. J’ai été condamné lourdement pour quelque chose que je n’ai pas fait, ça m’a cassé », justifie Mohamed Bakkali.

En décembre 2020, il a été condamné à vingt-cinq ans de réclusion criminelle pour avoir convoyé jusqu’en Belgique l’auteur principal de l’attaque du train Thalys en août 2015, Ayoub El-Khazzani, et son commanditaire Abdelhamid Abaaoud, le chef des commandos du 13-Novembre.

Mohamed Bakkali a toujours clamé son innocence et fait appel de sa condamnation.

« Tout m’est défavorable »

« Je connais des dossiers où il y a eu des acquittements après des condamnations », tente le président.

« Dans des affaires de terrorisme aussi graves ? », le reprend l’accusé. « Bon… », murmure le président, qui ajoute : « votre silence risque de vous être défavorable ».

« Je suis dans un cadre où tout m’est défavorable, j’ai retourné la question dans tous les sens. Je ne veux pas me battre. Je ne peux plus », lui répond Mohamed Bakkali d’un ton résigné.

Puis l’accusé demande à la cour de s’en tenir aux déclarations qu’il a faites durant l’instruction.

« Je suis dans un état où je ne suis pas bien, voilà, c’est comme ça, j’ai pas envie de me plaindre, j’ai pas envie d’entrer là-dedans car ça va être interprété », explique-t-il, « j’ai besoin de garder le silence pour continuer à survivre ».

Jugé pour « complicité de meurtres en relation avec une entreprise terroriste » et « association de malfaiteurs terroriste criminelle », Mohamed Bakkali encourt la réclusion criminelle à perpétuité.

Il est accusé d’avoir aidé Salah Abdeslam et les frères Khalid et Ibrahim El Bakraoui, logisticiens en chef des attentats du 13-Novembre, à préparer les attaques puis à organiser le rapatriement de certains djihadistes vers Bruxelles.

Malgré son silence, le président ne renonce pas à poser à l’accusé sa liste de questions. Toutes restent sans réponse. « On aurait aimé vous entendre […] On aurait aimé avoir vos explications », regrette Jean-Louis Périès.

L’accusé, tête baissée, mains sur les genoux, garde ses lèvres closes.

À son tour, Me Gérard Chemla, avocat de parties civiles, exhorte l’accusé à s’expliquer. « Les clients que je représente ont peut-être le droit d’entendre de votre part ce que vous avez fait et ce que vous n’avez pas fait […] Expliquez-vous ! ».

Seul le silence lui répond.