(Bruges) Dénonçant un « mépris de la dignité humaine », la justice belge a condamné mercredi à 15 ans de prison un Vietnamien pour avoir organisé entre Bruxelles et l’Angleterre le transport clandestin de migrants, qui a coûté la vie à 39 de ses compatriotes en 2019.

Au moins 15 des victimes avaient été prises en charge depuis la capitale belge, où le réseau de trafiquants disposait de deux planques.

Et Vo Van Hong, 45 ans, « était incontestablement le chef de la cellule belge de l’organisation criminelle », a souligné dans ses motivations le tribunal correctionnel de Bruges (nord-ouest de la Belgique).

PHOTO PETER NICHOLLS, ARCHIVES REUTERS

Au total 39 cadavres avaient été retrouvés le 23 octobre 2019 dans un conteneur à l’arrière d’un camion dans la zone industrielle de Grays, à l’est de Londres.

Ce Vietnamien, qui n’a cessé de clamer son innocence, écope de la peine maximale prévue pour les faits poursuivis, soit les 15 ans réclamés par le parquet fédéral lors du procès le 15 décembre.

Son avocat n’a pas exclu d’interjeter appel : « On va d’abord discuter du jugement avec mon client », a dit Antoon Vandecasteele.

Au total 39 cadavres avaient été retrouvés le 23 octobre 2019 dans un conteneur à l’arrière d’un camion dans la zone industrielle de Grays, à l’est de Londres.

Les victimes -31 hommes et huit femmes, âgés de 15 à 44 ans-étaient toutes originaires du Vietnam. Elles sont mortes d’asphyxie et d’hyperthermie en raison de la chaleur et du manque d’oxygène, certaines après avoir tenté en vain de percer la paroi du conteneur.

Dans son jugement de 234 pages, le tribunal de Bruges a fustigé des faits « d’une gravité rarement vue », dénotant « un mépris pour la dignité humaine ».

Six chauffeurs de taxi condamnés

Les victimes étaient montées dans le conteneur le 22 octobre près de Dunkerque, dans le nord de la France. Celui-ci avait ensuite été embarqué vers l’Angleterre depuis le port belge de Zeebruges. Après la macabre découverte, une enquête avait rapidement été ouverte en Belgique pour identifier les relais de ce trafic ayant agi depuis le sol belge.

Au total 23 personnes, principalement des membres de la communauté vietnamienne de Belgique, étaient jugées à Bruges.

Le tribunal a prononcé 18 condamnations et cinq acquittements, dont un concernant un chauffeur de taxi, Belge d’origine vietnamienne, déjà condamné en 2019 pour un transport illégal de migrants.

Six autres chauffeurs de taxi comptent, eux, parmi les condamnés. Il s’agit principalement de Marocains ou Belges d’origine marocaine, dont le tribunal a estimé qu’ils ne pouvaient ignorer leur participation à un trafic d’êtres humains. L’un d’eux a écopé de sept ans de prison ferme.

Ces chauffeurs transportaient des clients « qui ne pouvaient pas se faire comprendre », lors de courses toujours commandées et payées par les mêmes personnes, vers des destinations « clairement suspectes » comme des stationnements d’autoroute, souligne le jugement.

Propriétaires des planques, « intendants » chargés des besoins des migrants en transit : les autres « petites mains » du réseau ont été condamnées à des peines allant d’un an à 50 mois de prison, certaines assorties du sursis.

Le prévenu le plus lourdement condamné après Vo Van Hong est un autre Vietnamien, Nguyen Long (10 ans ferme), considéré comme son principal collaborateur, qui a poursuivi son activité de trafiquant jusqu’en juin 2021.

Gain de 2,3 millions d’euros

La tragédie de Grays a jeté une lumière crue sur les risques de l’exil via des filières clandestines, montrant aussi l’absence totale de scrupules de certains trafiquants.

Nombre de victimes étaient originaires d’une région pauvre du centre du Vietnam, où les familles s’endettent lourdement afin d’envoyer un des leurs au Royaume-Uni dans l’espoir d’une vie meilleure.

Les enquêteurs ont établi que chaque exilé payait en moyenne 12 000 euros pour voyager de l’Asie du Sud-Est vers l’Europe, le même montant étant ensuite exigé pour franchir la Manche, soit 24 000 euros au total.

Jusqu’à 130 transports auraient été organisés depuis la Belgique. Le tribunal de Bruges a estimé que Vo Van Hong avait amassé environ 2,3 millions d’euros, une somme qu’il devra rembourser via une confiscation de ses biens. Il a aussi reçu une amende de 920 000 euros.  

Ce drame a donné lieu à des procédures judiciaires au Vietnam et au Royaume-Uni, où sept hommes ont été condamnés en janvier 2021 à des peines allant de trois à 27 ans de prison.

En France, un autre procès se profile à l’horizon. Au moins 26 personnes ont été mises en examen (inculpées) dans l’enquête ouverte à Paris en mai 2020. Deux grandes vagues d’interpellations avaient alors eu lieu simultanément, l’une en Ile-de-France, l’autre en Belgique.