(Moscou) La justice russe a ajourné jeudi jusqu’au 29 décembre le procès sur la dissolution du Centre de défense des droits humains de l’ONG emblématique Mémorial, dont les avocats craignent la dissolution avant le Nouvel An.  

« Comme nous en avions la crainte (le procès) va s’achever juste avant le Nouvel An, quand l’attention du public s’estompe », a estimé un juriste de l’organisation, Grigori Vaïpan, qui prédit une « décision du tribunal » dès l’audience de mercredi prochain.

Gardien de l’histoire des crimes soviétiques

Pilier de la société civile russe et gardien de l’histoire des crimes soviétiques, Mémorial a dénoncé des poursuites « politiques » et « absurdes » en pleine campagne de répression contre les voix critiques du Kremlin.

Le Parquet considère que la branche de Mémorial chargée des droits humains fait l’apologie de « l’extrémisme et du terrorisme » en publiant une liste de prisonniers membres de groupes religieux ou politiques interdits en Russie.

Il l’accuse aussi d’avoir violé les obligations découlant de son statut « d’agent de l’étranger », label réservé aux organisations considérées comme œuvrant contre les intérêts russes avec des financements étrangers.

Ces poursuites s’inscrivent dans un climat de répression de ceux perçus comme des adversaires du Kremlin, qu’il s’agisse d’ONG, de médias indépendants ou du mouvement de l’opposant emprisonné Alexeï Navalny, interdit en juin pour « extrémisme ».

« Santé psychologique »

Lors de l’audience, un procureur a assuré que le Centre pour les droits humains de Mémorial n’avait pas indiqué systématiquement son statut « d’agent de l’étranger » dans ses publications, ce qui peut mettre en péril « la santé psychologique » des Russes.

« Le site (du Centre de Mémorial) contient des informations justifiant le terrorisme et l’extrémisme, cela a une influence négative sur les mineurs », a ajouté un autre procureur.

La défense de Mémorial a répliqué avoir déjà payé des amendes pour des infractions à la loi des « agents de l’étranger » et dit au contraire aider les populations vulnérables : les prisonniers politiques, réfugiés et minorités.

Ces « poursuites politiques sont lamentables, mais aussi mauvaises pour la société et le gouvernement », a estimé une des figures de Mémorial, Alexandre Tcherkassov.  

Jugeant « absurdes » les accusations de soutien à « l’extrémisme et au terrorisme », une avocate de l’ONG, Marie Eismont, a souligné que Mémorial considère comme prisonniers politiques des détenus qui selon elle « n’ont pas commis de crimes ».

Depuis le début de l’année, l’opposition anti-Kremlin a subi les assauts de la justice, forçant nombre de ses figures à l’exil, tandis que d’autres étaient incarcérés.  

Mémorial International, l’organisation chapeautant les différentes filiales de l’ONG, est aussi menacée de dissolution dans un autre procès, devant la Cour suprême où la prochaine audience est prévue le 28 décembre.  

Accusations de Poutine

Fondée en 1989 par des dissidents soviétiques, dont le prix Nobel de la Paix Andreï Sakharov, Mémorial s’était donnée pour mission de faire la lumière sur le Goulag et les crimes de l’Union soviétique.  

Après la fin de l’URSS, elle s’est également engagée dans la défense des droits humains. Lors des deux guerres de Tchétchénie, elle s’est illustrée en documentant les exactions des forces russes et leurs alliés tchétchènes.  

En 2009, Natalia Estemirova, responsable de l’ONG dans cette région du Caucase, avait été assassinée. Le crime n’a jamais été élucidé.

Les partisans de l’ONG considèrent que le pouvoir poutinien veut supprimer Mémorial pour passer sous silence l’histoire des répressions soviétiques, car le Kremlin a plus à cœur de célébrer l’héritage de l’héroïsme de l’URSS face aux Nazis que celui de la mémoire des millions de victimes de Staline.

Le 9 décembre, Vladimir Poutine lui-même a accusé Mémorial d’avoir classé des collaborateurs de l’Allemagne hitlérienne comme victimes des répressions staliniennes. Mémorial a répliqué qu’il s’agissait d’une erreur ponctuelle, corrigée depuis.

L’ONG accuse en retour les autorités de compliquer son travail, en limitant l’accès aux archives et aux identités des exécutants des purges soviétiques.

Mémorial accuse aussi le pouvoir d’avoir monté de toutes pièces une affaire d’agression sexuelle contre l’un de ses historiens, Iouri Dmitriev, condamné en 2020 à 13 ans de prison, afin de le punir pour ses recherches sur la terreur stalinienne.