(Paris) Le candidat d’extrême droite Éric Zemmour s’y est rendu mi-décembre, celle de la droite traditionnelle Valérie Pécresse y est arrivée lundi. L’Arménie s’affirme comme une destination prisée des candidats à la présidentielle française, désireux de défendre les chrétiens d’Orient.

Éric Zemmour en avait fait son premier déplacement à l’étranger, sur le thème de « la guerre de civilisation ».

« Terre martyre, en danger »

L’Arménie, « une terre martyre », est « en danger », avait lancé cet adepte de la théorie du « grand remplacement » des populations européennes par des immigrés.

Coincée entre la Turquie à l’ouest et l’Azerbaïdjan à l’est, deux pays musulmans, l’Arménie fut le premier État chrétien de l’Histoire (IVe siècle). Ce petit pays chrétien a livré à l’automne 2020 une courte mais sanglante guerre à l’Azerbaïdjan, qui était soutenu par la Turquie. L’enjeu de ce conflit était le contrôle de la région azerbaïdjanaise du Nagorny-Karabakh, majoritairement peuplée d’Arméniens. Les combats ont fait 6500 morts.

PHOTO KAREN MINASYAN, ARCHIVES AGENCE FRANCE-PRESSE

Le chef du parti Reconquête Éric Zemmour lors de sa visite au mémorial du génocide arménien de Tsitsernakaberd à Erevan, le 12 décembre 2021. Il est accompagné de l’homme politique et écrivain français Philippe de Villiers (à gauche).

Défaite l’Arménie a été contrainte de signer un cessez-le-feu et de céder à l’Azerbaïdjan plusieurs régions formant un glacis autour du Nagorny-Karabakh, qui s’était affranchi de la tutelle azerbaïdjanaise à la chute de l’URSS. Plusieurs incidents ont depuis fait craindre une reprise des combats.

L’Arménie, une ancienne république soviétique, est « une nation chrétienne […] au milieu d’un océan islamique », avait insisté Éric Zemmour, alors que la dimension religieuse n’était pas centrale dans le récent conflit, l’Azerbaïdjan étant l’un des pays les plus laïques du monde.

Engouement soudain

Tout comme le candidat d’extrême droite, Valérie Pécresse inscrit son voyage dans le « soutien aux chrétiens d’Orient juste avant Noël », selon son entourage.  

À l’instar de M. Zemmour, qui avait assisté à une messe au monastère de Khor Virap, le premier lieu saint du pays, la candidate du parti Les Républicains, a visité plusieurs sites chrétiens.

D’abord le mémorial des victimes du génocide arménien — qui fit entre 600 000 et 1,5 million de morts en 1915-1916 sous l’Empire ottoman et que la Turquie refuse de reconnaître, contrairement à une trentaine de pays, dont la France et le Canada. Elle s’est ensuite rendue au Saint-Siège de l’Église arménienne près d’Erevan, la capitale, puis dans un cimetière militaire, avent e rencontrer le ministre des Affaires étrangères arménien Ararat Mirzoian et le président Armen Sarkissian.

Il faut mobiliser toute l’Europe autour de ce conflit, ce n’est pas un conflit du Caucase, c’est un conflit qui touche l’Europe, parce que quand on attaque des chrétiens d’Orient […], on attaque aussi les fondements de la civilisation européenne.

La candidate Valérie Pécresse, lors d’une conférence de presse.

L’engouement soudain pour ce petit pays caucasien semble s’inscrire dans une thématique omniprésente dans la campagne française, particulièrement à droite : l’islam.

L’Arménie est une destination vue comme la tour de guet « à l’avant-poste de la chrétienté », observe Taline Ter Minassian, une historienne spécialiste de la région.

Après le Liban dans les années 1980, puis l’Irak-Syrie, où le groupe État islamique a multiplié les exactions contre les chrétiens en 2014-2015, l’Arménie devient un « nouvel enjeu d’une compétition pour capter l’électorat catholique conservateur », observe dans un rapport la Fondation Jean Jaurès, la droite française ayant une « vieille tradition de protection des chrétiens d’Orient ».

L’Esplanade Arménie de la candidate socialiste

À gauche, la candidate socialiste (et mairesse de Paris) Annie Hidalgo n’exclut pas une virée arménienne. « Tout est possible, mais rien n’est évoqué dans l’agenda pour l’instant », a indiqué un porte-parole.

PHOTO COMPTE TWITTER D’ANNE HILDAGO

La mairesse de Paris et candidate socialiste à l’élection présidentielle Anne Hidalgo lors de l’inauguration de l’esplanade d’Arménie dans le 8e arrondissement, le 10 décembre 2021.

Mi-décembre, Mme Hidalgo avait inauguré une « esplanade d’Arménie » dans la capitale française, rappelant « l’attachement indéfectible de Paris au peuple arménien », « qui défend son droit à l’existence ». Jamais dans son discours la question religieuse n’avait été mentionnée.

Selon le positionnement politique, l’Arménie permet ainsi différentes grilles de lecture. « Il y a une approche honnête : c’est la démocratie face à la dictature, c’est la défense des droits de l’Homme », affirme Jules Boyadjian, le président du Comité de défense de la cause arménienne, une association française, qui salue « l’histoire particulière entre Arménie et France ».

Quelque 500 000 personnes d’origine arménienne vivent selon lui en France, dont les voix pourraient aussi compter dans une élection s’annonçant serrée.

« Nous ne voulons pas enfermer la cause arménienne dans un conflit de civilisations qui vienne simplement nourrir les schémas de politique intérieure », affirme-t-il toutefois.

Ara Toranian, le directeur du mensuel Nouvelles d’Arménie, se veut moins définitif. « On n’est pas dans une situation où l’on peut se permettre de rejeter ceux qui nous tendent la main », soupire-t-il. « L’Arménie peut mourir du jour au lendemain tant elle est entourée de forces qui lui sont supérieures ».