(Calais) Qui étaient-ils ? Et, surtout, que vont devenir leurs corps ? Depuis le naufrage meurtrier de migrants dans la Manche, des petites mains, souvent mandatées par des proches éplorés, se sont lancées dans une minutieuse recherche pour identifier les victimes et leur offrir une inhumation « digne ».

Téléphone en main, Jan Kakar entre vendredi après-midi dans la morgue de Lille, dans le nord de la France, deux jours après le drame d’une ampleur inédite qui a causé la mort de 27 candidats à l’exil vers la Grande-Bretagne.

C’est ici qu’ont été transportés pour autopsie les cadavres repêchés. Dans les heures qui ont suivi, Jan Kakar, président d’une association afghane à Paris, a commencé à recevoir sur son téléphone des photos, des messages, qu’il fait défiler.  

Des informations transmises par huit familles afghanes, persuadées qu’un fils, un frère, un cousin se trouvait sur le bateau, dont les circonstances du naufrage sont encore floues.

Ce jeune homme aux cheveux de jais tout sourire en T-shirt orange, dont il a reçu une photo, faisait-il réellement partie des victimes ?

C’est ce qu’est venu vérifier Jan Kakar, à qui les familles, qui s’accrochent encore à l’infime espoir d’une erreur, donneront ensuite les consignes : rapatrier les corps en Afghanistan, ou les enterrer sur place.

Lui se fait peu d’illusions : « Ils ont des frères ou des proches qui sont sur les campements à Calais et qui ont déjà confirmé qu’ils en faisaient bien partie », explique-t-il à l’entrée de la morgue.

« Une vraie enquête »

Pour l’instant, l’accès aux corps est refusé, faute d’accord de la chaîne judiciaire.

« Ça va prendre au moins une semaine, peut-être deux », estime Samad Akrach, responsable de l’association Tahara qui enterre toute l’année indigents et migrants gratuitement.

Toute personne dont l’identité est inconnue est placée dans un caveau provisoire. Puis, si pendant cinq ans aucun membre de la famille ne réclame le corps, les os sont placés dans un ossuaire ou incinérés, explique-t-il.

« Nous on ne veut pas ça : on pense que tout le monde mérite d’être inhumé avec dignité ! ».

« C’est une vraie enquête qu’on mène », estime Samad Akrach.

D’autant que pour l’heure, rien n’a filtré officiellement sur les identités et parcours des naufragés, pas même leurs nationalités.  

Sollicité, le parquet de Paris n’était pas en mesure de communiquer dans l’immédiat, après avoir repris le dossier jeudi soir au titre de sa compétence nationale en matière de lutte contre la criminalité organisée de très grande complexité.

Réseaux sociaux

Des migrants croisés par l’AFP sur le littoral nord et disant avoir partagé les derniers jours des victimes, affirment qu’elles sont Kurdes irakiennes, Iraniennes et Afghanes.

Comme pour chaque mort à la frontière avec le Royaume-Uni, des membres d’associations, de militants et de bonnes volontés locales, iront dans les campements faire un travail de fourmi.  

Ils se sont baptisés le « groupe décès » depuis 2017, lorsqu’ils se sont rassemblés pour « redonner une identité » aux exilés et leur éviter un enterrement sous X.

Sauf que le petit cercle, habitué à se mobiliser sur un ou deux cas – mercredi, il enterrait un naufragé du 4 novembre –, se retrouve démuni face à l’ampleur de la tache.

« 27 ? Mais comment on va faire ? », s’affole Mariam Guerey, une bénévole à l’origine du collectif, pendue aux réseaux sociaux où les informations des proches émergent souvent.

« On espère que pour une fois l’État saura se mobiliser », car « c’est un travail énorme qui s’annonce », abonde Juliette Delaplace, membre du groupe et responsable locale du Secours catholique, dans son centre d’accueil de jour vers lequel se tournent régulièrement les exilés après un drame.

Jan Kakar et Samad Akrach, eux, font désormais le pied de grue auprès des autorités, dans la ville voisine de Coquelles, pour obtenir au plus vite l’accès aux corps. Dans ce genre de situation, soulignent-ils d’une voix, c’est une « course contre-la-montre ».