Le premier ministre opte pour l’optimisme en dépit des crises qui affligent le pays

Une pénurie d’essence dans les stations-service. L’armée appelée en renfort. Des rayons de supermarchés dégarnis. Des éleveurs de porcs qui craignent de devoir tuer leurs bêtes faute de bouchers disponibles…

La semaine a été particulièrement mouvementée au Royaume-Uni. Mais Boris Johnson a visiblement choisi d’ignorer les zones d’ombre lors du congrès annuel du Parti conservateur, qui se terminait jeudi à Manchester – le tout premier en présentiel depuis 2019.

Dans un discours dépourvu d’annonces concrètes, le premier ministre a plutôt dressé un portrait optimiste de la situation, en promettant une économie florissante malgré les crises actuelles.

Le dirigeant conservateur de 57 ans a entre autres déclaré que le pays se dirigeait « vers une économie à salaires élevés, compétences élevées, productivité élevée et faible fiscalité », tout en martelant son nouveau slogan : Levelling up (« Se mettre à niveau »).

Il a certes reconnu que la route serait longue et « parfois difficile », mais il s’est empressé d’ajouter que c’était « ce pour quoi » les Britanniques avaient voté lors du référendum pour le Brexit en 2016 et en le réélisant avec une majorité écrasante en 2019.

C’était un discours typique de Boris Johnson. Il a ignoré tous les problèmes existants et invité les gens à regarder vers l’avenir, en leur disant que tout irait bien et combien il croyait en l’esprit britannique.

Steven Fielding, professeur d’histoire politique à l’Université de Nottingham

« Il a donné un beau spectacle, ajoute l’expert. Mais il marche sur une glace très mince… »

L’armée en renfort

Les dernières semaines ont été marquées au Royaume-Uni par des problèmes d’approvisionnement en essence et en diesel qui ont fait la manchette.

Lundi dernier, quelque 200 militaires ont été appelés en renfort pour conduire des camions et remplir les pompes à essence, principalement dans le sud de l’Angleterre, tandis que des automobilistes inquiets prenaient d’assaut les stations-service.

PHOTO FOURNIE PAR LE MINISTÈRE DE LA DÉFENSE DU ROYAUME-UNI, VIA L’AGENCE FRANCE-PRESSE

Soldats recevant une courte formation sur les aspects importants d’un camion-citerne, le 4 octobre dernier

En cause : un manque de routiers, qui dure depuis plusieurs mois, à cause des impacts combinés de la COVID-19 et du Brexit.

Les confinements ont incité de nombreux chauffeurs européens à rentrer dans leur pays, tandis que le Brexit complique les procédures migratoires pour les travailleurs étrangers voulant s’établir au Royaume-Uni. Selon les professionnels, il faudrait environ 100 000 camionneurs supplémentaires pour que le pays « roule » normalement.

Le problème touche aussi les supermarchés, les restaurants rapides, les pubs et les marchands de vélos, victimes de retards dans les livraisons et de l’épuisement des stocks.

Le domaine de la viande est aussi particulièrement touché, alors que 15 000 bouchers manquent à l’appel, ce qui pourrait entraîner l’abattage de 120 000 porcs dans les prochains jours, selon le syndicat des agriculteurs.

Il y en aurait même 600 qui ont été tués au cours de la dernière semaine.

« Grandiloquent, mais vide »

Malgré tout, Boris Johnson persiste et signe. Il continue à défendre le durcissement des règles d’immigration implantées depuis le Brexit même si elles sont en partie responsables de la crise.

Selon lui, le pays doit tourner le dos à un « vieux système cassé » reposant sur « de bas salaires, une faible croissance, de faibles qualifications ». Il promet que le Royaume-Uni ne reviendra pas au même niveau d’« immigration incontrôlée » qu’avant le divorce avec l’Union européenne.

Comme solution pour compenser le manque de main-d’œuvre, Johnson a plutôt invité les entreprises britanniques à « augmenter les salaires » pour attirer les travailleurs locaux plutôt que de dépendre de l’immigration. Propos auxquels les milieux économiques ont réagi avec scepticisme.

Des chefs d’entreprise ont prévenu que cette solution se traduirait par une hausse de l’inflation, et que pour finir, ce sont les consommateurs qui en feraient les frais.

Richard Walker, directeur général de la chaîne de supermarchés Iceland, a notamment accusé le gouvernement de traiter les entreprises comme des « éponges », alors qu’elles ne peuvent « absorber » toutes les augmentations de coût, des factures d’énergies à l’embauche de conducteurs de poids lourds supplémentaires.

L’Adam Smith Institute, un groupe de réflexion, a de son côté qualifié le discours de Boris Johnson de « grandiloquent, mais vide de sens et ignorant d’un point de vue économique ».

Paradis artificiel

Boris Johnson a surfé plusieurs mois sur le succès de sa campagne de vaccination contre la COVID-19, alors que 67 % de la population est entièrement vaccinée. Il est par ailleurs soutenu par la majorité de Britanniques qui ont voté pour le Brexit et continuent d’adhérer à son discours d’une Grande-Bretagne plus forte parce que plus souveraine.

Mais selon Christopher Stafford, ce n’est probablement qu’une question de temps avant que la réalité rattrape « BoJo ».

Les prochains mois seront un test intéressant, car les problèmes du Royaume-Uni vont sans doute s’aggraver avant de s’améliorer.

Christopher Stafford, professeur de politique à l’Université de Nottingham

« Ce sera un hiver difficile, particulièrement pour les classes ouvrières, à qui Johnson doit sa réélection de 2019, ajoute-t-il. Il sera intéressant de voir si les beaux discours de Boris Johnson seront efficaces quand les gens commenceront vraiment à sentir les effets de la pénurie de nourriture, les fermetures d’entreprises et des réductions de dépenses sociales de la part du gouvernement. »

« Les gens qui ont voté pour Johnson lui laissent encore le bénéfice du doute », conclut Steven Fielding.

« Ils pensent que les problèmes du pays n’ont rien à voir avec le Brexit. Que cette situation est transitoire. Que c’est un phénomène mondial [dû à la COVID-19]. Ils vivent dans un paradis artificiel. Ils changeront peut-être d’opinion quand ils verront que ça ne va pas si bien que ça… »

Avec l’Agence France-Presse