(Berlin) Les mains jointes au bas du torse, les pouces accolés vers le haut, les autres doigts offrant une parfaite symétrie : au départ simple posture, le « losange » d’Angela Merkel est devenue une figure iconique sujette à interprétations.

Le « Merkel-Raute », le « losange » de la chancelière, serait apparu une première fois en 2002 lors d’une séance photo pour le magazine Stern.

Celle qui est alors présidente du parti chrétien-démocrate CDU « ne savait pas où placer ses mains », a raconté la photographe Claudia Kempf quelques années plus tard.

« Elle les laissait pendre le long de son corps, ce qui la faisait paraître un peu impuissante, ou alors les joignait. Je lui ai dit “Là, vous faites trop fille de pasteur” », a raconté en 2009 la photographe au quotidien Rheinische Post.  

La chancelière a livré en 2013 sa propre version de ce geste, une trouvaille personnelle selon elle. « Il y avait toujours la question de savoir où mettre les bras, c’est comme ça que c’est venu », avait-elle expliqué à quelques mois d’élections.

Pour elle, ce « losange » témoignait « peut-être d’un certain amour de la symétrie » : une parabole du merkélisme, fait de recherche du consensus, de pragmatisme mais aussi critiqué pour son manque de vision ?

« Culte de la personnalité »

Cette année-là, la chancelière, qui quittera le pouvoir dans les prochains mois après 16 années à la tête de l’Allemagne, était en campagne pour un troisième mandat. Son parti décide alors de personnaliser les élections, qui concernent pourtant le renouvellement du Bundestag.

Une affiche géante de 20 m sur 70 est placardée près de la gare Centrale de Berlin. Elle représente le désormais célèbre losange, composé de plus de 2000 photographies de mains, avec le slogan « L’avenir de l’Allemagne entre de bonnes mains ».

Cette campagne provoque l’ire des adversaires sociaux-démocrates, qui vont jusqu’à dénoncer un « culte de la personnalité monstrueux et vide de contenu » autour de Mme Merkel. « Si c’est ça la politique, on est tombé bien bas », abondent les Verts.

Celle que les Allemands surnomment « Mutti » (maman), caricaturée sur Twitter en Mao, remportera cependant très largement les élections quelques semaines plus tard. Et son geste, parfois appelé le « diamant » de Mme Merkel, devient pour le quotidien britannique The Guardian un des « gestes de mains les plus reconnaissables au monde ».

Une page Wikipedia lui est consacrée, un émoticon, «  », lui est dédié. Au célèbre musée de cire londonien Madame Tussauds, la dirigeante est représentée dans cette position.

Illuminati

« Je pense que le losange de Merkel a d’abord été adopté de façon inconsciente, puis son effet de signe a été remarqué par le public puis ensuite utilisé consciemment par la chancelière comme une marque », explique à l’AFP Jochen Hörisch, spécialiste en communication à l’université de Mannheim.

Pour ce professeur, auteur d’un essai sur les « Mains », le losange « désamorce et, contrairement au poing serré ou à la main tendue par exemple, évite les signaux émotionnels », se situant ainsi « entre proximité et distance ».

D’autres interprétations ont circulé, les mains de Mme Merkel représentant un « pont », un « toit » protecteur ou un « chasse-neige » qui détournerait les problèmes. Des sites complotistes y ont même vu la marque des Illuminati, une supposée société secrète tirant dans l’ombre les ficelles du pouvoir.

La marque du « losange » est devenue suffisamment forte pour être récupérée par d’autres personnalités allemandes, y compris des adversaires de la chancelière.

Le candidat social-démocrate à sa succession, Olaf Scholz, l’a ainsi exécutée en juillet en une du quotidien Süddeutsche Zeitung, illustrant sa stratégie d’apparaître comme le véritable héritier de Mme Merkel, au détriment de l’impopulaire candidat conservateur Armin Laschet.

Une captation d’héritage qui ulcère les chrétiens-démocrates et Mme Merkel elle-même, obligée de se jeter dans l’arène électorale et de pointer les « énormes différences » qui la séparent de M. Scholz, en tête des sondages.

« Vous ne pouvez pas vous promener avec un losange et parler comme Saskia Esken », co-présidente du SPD très marquée à gauche, a renchéri M. Laschet lors d’un débat électrique au Bundestag.