C’est arrivé coup sur coup dimanche dernier. En l’espace de quelques heures, Marine Le Pen et Anne Hidalgo ont annoncé leur candidature à l’élection présidentielle, prévue pour le mois de mai en France.

Dans les deux cas, peu de surprises.

La patronne du Rassemblement national avait depuis longtemps annoncé ses couleurs.

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La présidente du Rassemblement national, Marine Le Pen, le 12 septembre

Quant à la maire socialiste de Paris, voilà un bon moment qu’elle alimentait le moulin à rumeurs. Elle a profité de la semaine où sort son livre-programme, Une femme française, pour officialiser la chose.

Deux femmes de poids dans une même course à la présidentielle, cela s’est rarement vu, voire pas du tout. Il pourrait même y en avoir trois, si Valérie Pécresse, présidente de la région Île-de-France, remporte la primaire de son parti, Les Républicains.

Si la tendance se maintient, il est peu probable que l’une d’entre elles chasse Emmanuel Macron de l’Élysée.

Hidalgo et Pécresse évoluent dans des partis affaiblis. Quant à Marine Le Pen, elle n’obtient pour l’instant que 45 % des intentions de vote au second tour.

Mais leur présence sur la ligne de départ permet de fantasmer sur le jour où la France élira enfin une femme présidente de la République, autant dire une révolution.

« Ce serait une vraie rupture, de la même manière qu’Obama avait pu marquer une sorte de rupture, avec l’idée qu’un homme de couleur pouvait être président des États-Unis », suggère Olivier Ihl, professeur de politique à l’Université de Grenoble.

Un grand écart

Depuis le début de la Ve République (1958), 101 candidats ont postulé pour la fonction suprême en France. Du lot, on dénombre à peine 19 femmes, dont la plupart appartenaient à des micropartis, généralement d’extrême gauche.

Exceptions notables : la socialiste Ségolène Royal est parvenue au second tour en 2007, avant de s’incliner devant Nicolas Sarkozy. Marine Le Pen a accompli le même exploit en 2017, avant d’être battue par Emmanuel Macron.

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Ségolène Royal, alors qu'elle était candidate aux présidentielles, à la fin de décembre 2006.

L’électorat, pourtant, n’est pas fermé à l’idée d’avoir une femme à l’Élysée. Bien au contraire. Selon un sondage Harris/RTL paru en 2019, 71 % des Français (des deux sexes) estiment qu’il serait non seulement acceptable, mais encore « souhaitable » d’avoir une femme à la présidence d’ici 2030.

Ce résultat constitue un véritable revirement : en 1974, 69 % des Français se disaient au contraire opposés à ce qu’une femme devienne présidente de la République… c’est dire le chemin parcouru !

L’instauration progressive de quotas depuis le début des années 2000 explique pour beaucoup ce changement de perception. Les partis sont désormais obligés de présenter des listes de candidats paritaires (les fameuses listes « chabada », en référence au film Un homme et une femme !), ce qui se traduit par une présence grandissante, et désormais incontournable, des femmes dans la sphère politique française.

Il y a eu progression, c’est indéniable. On commence à avoir des viviers de femmes politiques plus importants.

Juliette Clavière, directrice de l’Observatoire de l’égalité femmes-hommes de la Fondation Jean-Jaurès

Mme Clavière note que 38 % des députés de l’Assemblée nationale et 31 % des sénateurs en France sont aujourd’hui des femmes, chose impensable il n’y a pas si longtemps.

Mais on peut faire mieux, ajoute-t-elle. Hormis Florence Parly, ministre des Armées, le gouvernement actuel, bien que paritaire, compte très peu de femmes à la tête des ministères importants comme l’Économie, l’Intérieur ou la Justice. Et si l’on compte bien 42 % de femmes élues au municipal, il faut savoir que seulement 20 % d’entre elles ont accédé au poste de maire.

« Il y a un grand écart entre le féminisme de l’opinion et celui de la classe politique, dont la misogynie est encore bien réelle », confirme Mariette Sineau, chercheuse au Centre national de la recherche scientifique (CNRS) et au Centre de recherches politiques de Sciences Po (CEVIPOF), spécialiste des femmes en politique.

Certes, le sexisme est moins primaire. On ne chahute plus une ministre dans l’hémicycle parce qu’elle porte une robe à fleurs (Cécile Duflot en 2012). On n’imite plus une poule lorsqu’elle prend la parole (Véronique Massonneau, 2013). On ne jette plus d’insultes sexistes à une femme première ministre (Édith Cresson, 1991). Le mouvement #metoo est passé par là. Les mentalités ont évolué.

Mais en dépit des avancées, le plafond de verre demeure une réalité. « Il y a toujours un barrage [pour les femmes] au niveau de l’accès aux exécutifs, au dernier cercle du pouvoir », déplore encore Mariette Sineau.

Une question de temps ?

Dans le sondage Harris/RTL de 2019, 57 % des Français disent « probable » qu’une femme sera nommée à l’Élysée avant 2030.

Juliette Clavière semble en douter, tant la politique française est caractérisée par sa « dominante patriarcale ».

C’est une question de temps, oui. Mais est-ce que ce sera 5 ans, 10 ans ou 50 ans ?

Juliette Clavière

Selon Mme Clavière, c’est encore pire lorsqu’on parle de la présidence de la République. Car la nature « quasiment monarchique » de la fonction suprême « cristallise sur elle une espèce de concentré d’omnipotence et d’autorité qu’on associe d’emblée au masculin ».

Pour l’écrivaine et militante féministe Florence Montreynaud, il y a pourtant de l’espoir.

Même s’il est peu probable qu’une femme l’emporte en 2022, et même si la France demeure un pays « extrêmement réactionnaire », la prochaine campagne marquera selon elle les esprits sur le plan symbolique.

« Les femmes ont des obstacles sur toutes leurs routes depuis qu’elles sont petites, donc il en arrive très peu à cette altitude-là, conclut-elle. C’est donc important qu’il y ait deux femmes de poids [Hidalgo et Le Pen]. Ça fournit des modèles aux petites filles. Et ça, c’est résolument féministe… »