(Cité du Vatican) C’est la première fois qu’un religieux de si haut rang comparaît devant le tribunal du plus petit État du monde : le procès du cardinal Becciu et de ses co-prévenus, jugés pour divers délits financiers, s’est ouvert mardi au Vatican.

La prochaine audience a été renvoyée au 5 octobre, le tribunal ayant accédé à la requête de la défense de bénéficier de temps supplémentaire pour se préparer.

Le procès se tient dans une salle aménagée pour l’occasion dans les musées du Vatican. Trois magistrats siègent sous un crucifix appendu au mur blanc. Un portrait du pape François souriant domine les bancs des avocats des prévenus.

Parmi eux, Angelo Becciu, démis de ses fonctions et privé de ses privilèges de cardinal par le souverain pontife en septembre dernier, en col romain, portant une grande croix en argent autour du cou.

PHOTO SERVICES DE PRESSE DU VATICAN, VIA AGENCE FRANCE-PRESSE

Le procès se tient dans une salle aménagée pour l’occasion dans les musées du Vatican. Trois magistrats siègent sous un crucifix appendu au mur blanc. Un portrait du pape François souriant domine les bancs des avocats des prévenus.

Au cœur de la procédure : le coûteux achat d’un immeuble de prestige à Londres dans le cadre des activités d’investissement du Saint-Siège dont le patrimoine immobilier est considérable.

Montage offshore, intermédiaires louches

Deux ans d’enquête sur le rôle de hauts responsables de l’administration vaticane, de sociétés offshore et d’intermédiaires vénaux ont débouché sur la mise en cause de dix protagonistes qui doivent notamment répondre de fraude, détournement de fonds, abus de pouvoir, blanchiment, corruption, extorsion…  

L’instruction a décrit un imbroglio « quasi inextricable » de fonds d’investissement spéculatifs avec effet de levier, de banques, d’institutions de crédit, de personnes physiques et juridiques…

L’affaire a mis en évidence l’utilisation imprudente du Denier de Saint-Pierre, la grande collecte annuelle de dons dédiés aux actions caritatives du pape. Avec un prix d’achat surévalué, une hypothèque cachée, et un Saint-Siège longtemps privé de tout contrôle, voire même victime d’extorsion, l’acquisition est devenue un cauchemar pour la réputation de l’Église.

PHOTO GREGORIO BORGIA, ARCHIVES ASSOCIATED PRESS

Deux ans d’enquête sur le rôle de hauts responsables de l’administration vaticane, de sociétés offshore et d’intermédiaires vénaux ont débouché sur la mise en cause de dix personnes accusées, notamment, de fraude, détournement de fonds, abus de pouvoir, blanchiment, corruption, extorsion… Parmi les accusés, le cardinal Angelo Becciu, qu'on voit ci-haut lors d'une conférence de presse en novembre 2020, démis de ses fonctions et privé de ses privilèges de cardinal par le pape François en septembre 2020.

Parmi les dix prévenus, la moitié travaillait dans la Cité du Vatican lors de l’achat en deux temps de l’immeuble de 17 000 m2 situé au 60, Sloane Square, dans le chic quartier londonien de Chelsea.

Intermédiaires indélicats

En 2013-2014, la Secrétairie d’État emprunte plus de 200 millions de dollars américains (notamment au Crédit Suisse) pour investir dans le fonds luxembourgeois « Athena » d’un homme d’affaires italo-suisse, Raffaele Mincione.

La moitié de la somme est destinée à l’achat de 45 % de l’immeuble londonien, l’autre moitié à réaliser des placements boursiers.

Raffaele Mincione utilise l’argent de l’Église pour « des opérations spéculatives », comme le rachat de banques fragiles. En conflit d’intérêts, pointent les magistrats, il finance aussi ses propres projets. Le Saint-Siège, qui essuie des pertes et n’a aucun contrôle sur le choix d’investissements pas forcément éthiques, décidera quatre ans plus tard, fin 2018, de mettre un terme à l’alliance.

Un nouvel intermédiaire londonien, l’Italien Gianluigi Torzi, est alors choisi pour négocier la rupture avec Raffaele Mincione — qui va obtenir 40 millions de livres sterling — et la pleine propriété de l’immeuble par le Vatican.

M. Torzi s’adjugera toutefois le contrôle du bien (à travers des actions avec droits de vote) à la barbe du Vatican.

Le frère du cardinal

Deux personnes auraient particulièrement aidé les deux intermédiaires londoniens, contre rémunération : Enrico Crasso, de nationalité suisse et un ex-banquier du Crédit Suisse, pendant des décennies un consultant financier de la Secrétairie d’État du Vatican, et Fabrizio Tirabassi, un employé italien de cette section.

Quant à Angelo Becciu, il était en 2014 « Substitut de la Secrétairie d’État », numéro deux et l’équivalent d’un ministre de l’Intérieur en contact constant avec le pape François. Seront également appelés à comparaître son ancien assistant, le père Mauro Carlino, ainsi que les deux ex-dirigeants du gendarme financier du Vatican (AIF, depuis lors restructuré et renommé), le Suisse René Brülhart, et l’Italien Tommaso Di Ruzza.

Sans lien avec l’achat londonien, une femme, Cécilia Marogna, affirme pour sa part avoir été employée par le cardinal pour des activités de renseignement visant à faire libérer des religieux enlevés, et a perçu 575 000 euros de la Secrétairie d’État sur un compte slovène.

Enfin, le procès se penchera sur un autre dossier lié aussi au cardinal Becciu : le financement à hauteur de 825 000 euros de l’entreprise de son frère pour des activités possiblement non caritatives.

À l’issue de cette première audience, le cardinal Becciu a fait savoir dans un communiqué qu’il attendait avec « sérénité » la suite des débats pour « démontrer son innocence face à l’ensemble des accusations ».