Le Sommet des dirigeants sur le climat s’ouvre ce jeudi à Washington. En ce Jour de la Terre, le président Joe Biden tentera de convaincre ses homologues d’adopter des mesures ambitieuses afin de lutter contre les changements climatiques. En France, le débat fait rage depuis des semaines avec le dépôt d’un projet de loi controversé sur le climat.

Création du « délit d’écocide ». Fin des vols intérieurs courte distance. Lutte contre l’artificialisation des sols. Guerre aux logements mal isolés. Limitation de la pub pour les énergies fossiles…

À première vue, le « projet de loi Climat et Résilience », qui doit être adopté en France le 4 mai, propose de belles avancées en matière environnementale.

Mais ces nouvelles mesures, censées lutter contre le réchauffement climatique, sont largement critiquées par les écologistes, qui dénoncent leur « manque d’ambition » et leur côté « poudre aux yeux ».

« Le texte n’est tout simplement pas à la hauteur. Il y a énormément de manques. Il y a une volonté d’écarter sciemment les mesures les plus impactantes », résume Chloé Sagaspe, élue du parti Europe Écologie les Verts pour la ville de Paris.

Une partie seulement des recommandations citoyennes

Il faut savoir que le controversé projet de loi ne contient qu’une partie des recommandations faites en juin par la Convention citoyenne sur le climat (CCC) dans le but de réduire les gaz à effet de serre.

PHOTO GUILLAUME HORCAJUELO, ARCHIVES AGENCE FRANCE-PRESSE

Emmanuel Macron, président de la République française

Ce groupe de 150 citoyens tirés au sort avait été formé à la demande du président Emmanuel Macron en réponse à la crise des Gilets jaunes. Au bout du compte, seules 46 de leurs 149 propositions ont été retenues, certaines dans une forme un peu trop émoussée aux yeux des environnementalistes.

« Les intentions affichées vont dans la bonne direction, mais les mesures sont extrêmement light », résume Corinne Lepage.

Selon cette avocate en droit environnemental, la « loi Climat » ne sera pas suffisante, en l’état, pour réduire de 40 % les émissions de gaz à effet de serre en France d’ici 2030, selon ce que stipulait l’Accord de Paris.

« Même dans l’hypothèse la plus favorable au gouvernement, on n’est même pas aux deux tiers de ce qu’il faudrait faire pour atteindre 40 %. Ça ne va pas du tout », déplore l’avocate. Insuffisance d’autant plus grande, dit-elle, que l’Union européenne a entre-temps augmenté son objectif à 55 % de réduction des GES.

De son côté, l’élue municipale Chloé Sagaspe regrette qu’Emmanuel Macron ne soit pas passé de la parole aux actes, après avoir mis sur pied cet exercice démocratique innovant.

Le président s’était engagé à reprendre sans filtre les propositions de la Convention citoyenne pour le climat. Ce n’est pas le cas, c’était un mensonge. Il y avait un engagement fort, il n’a pas tenu sa parole.

Chloé Sagaspe, élue du parti Europe Écologie les Verts pour la ville de Paris

La « loi Climat » sera votée début mai après 110 heures de débats enflammés et plus de 1000 amendements adoptés en première lecture à l’Assemblée nationale.

Une stratégie électorale

Corinne Lepage admet que le projet de loi Climat et Résilience est « mieux que rien ». Mais n’y voit, au bout du compte, qu’une belle opération de communications en prévision de l’élection présidentielle de 2022.

« C’est de la poudre aux yeux », dit-elle.

Plus modéré, Olivier Ihl évoque de son côté un calcul politique autour d’un enjeu politique et économique majeur.

« Pour Macron, ce n’est pas tactique, c’est stratégique, explique le politologue, professeur à Sciences Po Grenoble. Il doit pouvoir arriver avec un bon bilan pour pouvoir rallier les voix des Français qui sont sensibles aux thématiques écologistes. »

Selon l’expert, entre 20 et 25 % du corps électoral français est « très sensible » aux questions environnementales. Macron pourrait avoir besoin de ces électeurs lorsqu’il se présentera au second tour, vraisemblablement face à Marine Le Pen.

Le projet de loi Climat est-il si décevant que le prétendent les écologistes ? « Comme souvent dans ces questions, c’est un verre à moitié vide ou à moitié plein, conclut Olivier Ihl. Chacun va voir ce qui l’arrange… »

Les six mesures les plus controversées

Le délit d’écocide

Ce délit vise à punir toute pollution intentionnelle. Il s’appliquera « aux atteintes les plus graves à l’environnement au niveau national », a déclaré la ministre française de la Transition écologique, Barbara Pompili. Les dommages devront être mesurables sur une période de 10 ans.

Malgré ses grandes promesses, le « délit d’écocide » est de « la grande foutaise », estime Corinne Lepage. Pourquoi ? « Parce que le terme est impropre. C’est de l’usurpation d’identité. »

Étymologiquement parlant, le terme « écocide » signifier tuer l’environnement, explique l’avocate. « Il ne peut donc pas s’agir d’un simple délit, mais d’un crime, au même titre que le féminicide ou l’homicide. » En bref, les deux termes ne disent pas la même chose, le « délit » portant moins à conséquence que le « crime ».

Enfin, pourquoi mesurer les dommages environnementaux sur 10 ans, alors qu’en France, les délits ont un délai de prescription de seulement 6 ans ? demande Corinne Lepage. « C’est de l’absurdité juridique ! »

Suppression des liaisons aériennes

N’espérez plus prendre un avion Paris-Lyon, Paris-Nantes ou Paris-Bordeaux. Ces vols intérieurs ont été supprimés, car il existe une option en train d’une durée de moins de 2 h 30 min. La Convention citoyenne pour le climat avait préconisé pour sa part une suspension des vols en cas de solution en train de quatre heures. La proposition a été rejetée vu son énorme enjeu économique, spécialement depuis la crise sanitaire. Selon Libération, les émissions de CO2 du transport aérien en France étaient estimées à 23,4 millions de tonnes en 2019, soit environ 3,5 % de l’empreinte carbone totale du pays.

Lutte contre l’artificialisation des sols

Fini, les centres commerciaux qui enlaidissent les belles villes de France ? Selon le « principe général d’interdiction de nouvelles surfaces commerciales », les constructions seront désormais limitées à 10 000 m2. Mais le texte prévoit aussi la possibilité d’obtenir une dérogation au-delà de 3000 m2 si le projet répond aux besoins d’un territoire. Certains craignent que cette mesure ne nuise au développement économique en région.

Lutte contre les « passoires thermiques »

Il y aurait en France 4,8 millions de logements mal isolés et coûteux à chauffer. Dès 2028 – et dès 2023 dans les cas extrêmes –, ces « passoires thermiques » ne pourront plus être mises en location. Cette mesure sera accompagnée d’aides à la rénovation.

Limitation des publicités

La Convention citoyenne pour le climat proposait d’interdire la publicité pour les produits qui émettent le plus de GES. Les publicitaires craignaient son effet sur le secteur automobile. La loi se concentrera finalement sur les publicités pour les énergies fossiles (pétrole, charbon, gaz) et non sur les produits les utilisant. C’est aussi la fin des avions avec banderoles publicitaires, une pratique jugée « anachronique ».

Menus végétariens à l’école

Les menus végétariens seront proposés dans les cafétérias scolaires, au moins une fois par semaine, dès 2023. Cette disposition a déchaîné les passions à l’Assemblée, certains élus y voyant une opération de « viande bashing » néfaste pour les éleveurs français.