Un an après le début de la pandémie – et des confinements successifs – la population d’ici et d’ailleurs commence à s’impatienter. Si la révolte est plus combative aux Pays-Bas, à Marseille, en France, on préfère ces jours-ci défier l’autorité en…. dansant illégalement à la nuit tombée.

Aux Pays-Bas, les « anti » font du bruit

Bombes, émeutes, procédures judiciaires : au pays de la tulipe, le mouvement contre les mesures sanitaires est petit… mais très actif ! La Presse est allée voir.

« Monte avec nous, on t’emmène. »

En quelques secondes, l’affaire est réglée. On était venus sonner chez lui, en banlieue de Rotterdam, et nous voilà à l’arrière d’une voiture trop petite, à interviewer l’un des personnages les plus controversés des Pays-Bas.

Il y a un mois, Willem Engel a atteint une renommée internationale en défiant son gouvernement sur la question du couvre-feu.

PHOTO JEAN-CHRISTOPHE LAURENCE, LA PRESSE

Willem Engel

Farouche opposant aux mesures sanitaires, il est aussi candidat aux élections néerlandaises, qui auront lieu du 15 au 17 mars prochain. Il sait qu’il n’a aucune chance de l’emporter, mais il est tellement « crinqué » contre l’État qu’il n’a pas hésité à faire le saut en politique, avec un nouveau parti (Lijst 30) créé en réponse aux restrictions contre la COVID-19.

Visiblement, son discours est bien rodé. Pendant la demi-heure que dure notre trajet vers le centre-ville, ce grand gaillard à dreadlocks – qui est prof de danse dans la vraie vie – nous abreuve de théories conspirationnistes terrifiantes.

Côté crise sanitaire, les Pays-Bas ne sont pas plus répressifs que leurs voisins européens. Mais Willem Engel estime que le premier ministre libéral, Mark Rutte, a brimé les droits des citoyens en imposant des mesures injustifiées et abusives.

« Les restrictions n’ont rien à voir avec le virus », tranche-t-il.

Selon lui, les autorités ont utilisé le prétexte sanitaire pour renforcer leur emprise sur la population. « Nous vivons en dictature », répète-t-il à plusieurs reprises, ajoutant que la COVID-19 est le « symptôme » d’une crise encore plus profonde, celle d’un « système pourri et corrompu » qui cherche à « nous contrôler ».

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Manifestation contre les mesures sanitaires, à Amsterdam, le 28 février dernier

« Prouve-moi que j’ai tort »

Du virus conçu en laboratoire aux mensonges de l’État, en passant par les sondages biaisés , Willem Engel déballe tous ses arguments de manière articulée, informée et d’autant plus convaincante qu’il dit avoir fait sa maîtrise en sciences pharmaceutiques.

Quand on lui demande s’il n’est pas un peu complotiste sur les bords, il répond avec aplomb : « Je viens avec des faits. Prouve-moi que j’ai tort. »

Willem Engel milite avec la même ferveur depuis le premier confinement. Pendant longtemps, les médias et l’opinion ne l’ont pas pris au sérieux.

Mais les perceptions ont changé lorsqu’un tribunal de première instance de La Haye a ordonné, à la mi-février, la levée « immédiate » du couvre-feu, jugeant que le gouvernement avait abusé des mesures d’urgence et que cette restriction portait atteinte aux libertés fondamentales.

L’affaire avait été portée devant la justice par Viruswaarheid (Vérité sur le virus), groupe opposé aux mesures sanitaires, fondé par nul autre que Willem Engel, qui deviendra du jour au lendemain une vedette médiatique.

Pour ce dernier, la victoire fut toutefois de courte durée. La Cour d’appel a suspendu le verdict le jour même, avant de l’invalider pour de bon 10 jours plus tard. Une décision « purement politique », affirme Willem Engel, avant d’aller livrer un discours devant un centre commercial de Rotterdam, où quelques passants, l’ayant apparemment reconnu, s’arrêteront pour l’écouter. Ou pas.

PHOTO ARCHIVES AGENCE FRANCE-PRESSE

Des manifestations contre le couvre-feu ont tourné à l'émeute dans une demi-douzaine de villes des Pays-Bas à la fin de janvier, dont ici à Rotterdam.

Un « moment de folie »

Willem Engel n’est pas le seul aux Pays-Bas à s’opposer aux mesures sanitaires. Fin janvier, des émeutes ont éclaté dans une demi-douzaine de villes, dont Amsterdam, La Haye et Rotterdam, pour protester contre l’instauration du couvre-feu, de 21 h à 4 h 30.

Ces débordements de violence, qui ont duré trois jours (!), se sont soldés par plus de 400 arrestations, des vitrines fracassées, des magasins pillés et des forces de l’ordre dépassées par l’ampleur des évènements.

« C’est sorti de nulle part, je n’ai jamais vu autant d’agressivité », nous confie un inspecteur de police, qui était de garde ce soir-là. « Nos services d’intelligence essaient encore de comprendre ce qui s’est passé, pour éviter que ça se reproduise. »

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Manifestation contre le confinement tenu devant un musée d'Amsterdam, à la fin de janvier.

Ces manifestations n’avaient pas de lien direct avec la campagne de Willem Engel. Selon Jelle Van Buuren, professeur et spécialiste des questions de sécurité et de complotisme à l’Université de Leiden, il s’agissait plutôt d’un agrégat de groupes aux motivations disparates.

C’était un mouvement éclectique. Il y avait des conspirationnistes, mais aussi des organisations d’extrême droite, des hippies à l’ancienne, des hooligans frustrés et des jeunes de milieux défavorisés qui en ont marre de tout.

Jelle Van Buuren, professeur et spécialiste des questions de sécurité et de complotisme à l’Université de Leiden

Ce « moment de folie » fut, pour M. Van Buuren, le résultat d’une « tempête parfaite », provoquée par une convergence de griefs allant de la frustration sociale au ras-le-bol généralisé et cristallisé dans le rejet commun de la « corona-politique » du gouvernement Rutte.

Le professeur rappelle que le mouvement « anti » reste minoritaire aux Pays-Bas. Mais il reconnaît volontiers que cette minorité « fait du bruit ».

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Des pompiers maîtrisent les dégâts après une émeute, à Rotterdam

On ne lui fait pas dire : il y a deux semaines, une bombe a explosé près d’un centre de dépistage de la COVID-19 à Bovenkarspel, en Hollande septentrionale, sans toutefois faire de blessés. L’attaque, qualifiée de « démentielle » par le ministre de la Santé, était la deuxième du genre aux Pays-Bas après l’incendie d’un autre centre de tests, en janvier, près d’Urk.

Il faut savoir qu’une longue tradition anti-vaccination existe dans cette région très religieuse située au nord d’Amsterdam, souvent qualifiée de « ceinture de la Bible » néerlandaise.

Sa population, majoritairement protestante fondamentaliste, considère que tout ici-bas doit être décidé par Dieu, y compris la vie et la mort.

Bien que ces croyances soient désormais disputées, elles restent encore très vives dans des villes comme Kampen, Zwolle et particulièrement Urk. Ce village de pêcheurs, connu pour ses nombreux clochers (et, paradoxalement, pour son trafic de drogue !), est devenu l’un des centres névralgiques du mouvement « anti » aux Pays-Bas.

D’autres signes d’impatience

Si on en croit les sondages, les mesures sanitaires du gouvernement sont soutenues par environ 80 % de la population néerlandaise.

Mais à quelques jours des élections, la pression reste forte sur le premier ministre Mark Rutte pour obtenir plus d’aménagements.

Ce dernier a récemment desserré les mesures, avec la réouverture partielle des écoles et des commerces non essentiels. Mais les signes d’impatience continuent à se multiplier dans la population, parfois de façon plus humoristique.

La semaine dernière, les prostituées et les propriétaires de bars ont protesté contre les restrictions par diverses mises en scène.

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La terrasse du Café De Ooievaar, le 2 mars dernier

Patron du Café De Ooievaar, dans le Vieux-Rotterdam, Peter Bender a ainsi disposé des poupées gonflables sur sa terrasse, à bonne distance l’une de l’autre, un « coup de pub » largement relayé par les médias locaux et internationaux.

« Je voulais montrer qu’on peut fonctionner tout en respectant les mesures », explique-t-il quand on le rencontre à son bar.

Peter Bender n’est pas contre le vaccin et n’a rien contre les mesures sanitaires… pourvu qu’elles soient logiques.

Le tenancier ne comprend pas pourquoi la vente d’alcool « pour emporter » est permise, alors que ses clients vont ensuite boire sur le trottoir d’en face, tandis que sa terrasse reste vide.

« C’est complètement absurde », dit-il.

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Peter Bender, patron du Café De Ooievaar, dans le Vieux-Rotterdam

Lueur d’espoir ? L’association des restaurateurs néerlandais (KHN) vient d’intenter une poursuite contre le gouvernement afin d’exiger une forme d’assouplissement.

Peter Bender confie qu’il « n’attend pas grand-chose » de cette initiative, qui « vient trop tard », selon lui. C’est pourquoi il songe très sérieusement à braver l’interdit en rouvrant sa terrasse pour le printemps, quoi qu’il en coûte.

« L’amende est de 4000 euros, j’ai déjà des clients qui sont prêts à contribuer. »

« Ce qui serait bien, c’est que les autres bars fassent la même chose. Mais ils ont la trouille, conclut-il. Pas moi. Je ne peux plus tenir. Quelqu’un doit ouvrir le bal… »

La pandémie a fait 15 800 morts aux Pays-Bas, où l’on compte un peu plus de 17 millions d’habitants.

Un an plus tard, Marseille s’impatiente

« Ceux qui nous demandent d’arrêter de vivre sont des hypocrites. » Élodie, verre de vin rouge à la main, ne mâche pas ses mots, qui ont le son chantant caractéristique de l’accent marseillais. Avec quelques amis, elle a pris ses dispositions pour essayer de retrouver le goût d’une vie normale, malgré une situation pandémique qui s’éternise.

Tout le monde est allé faire quelques courses avant la fermeture des magasins à 18 h, et le couvre-feu national qui est de mise sur tout le territoire français depuis le 16 janvier.

Il est maintenant 21 h, et cette bande d’amis passe sa soirée sur le cours Julien, le cœur d’un des quartiers les plus festifs et actifs de la deuxième ville de France. Avant la crise pandémique, les terrasses y étaient bondées, et les concerts en plein air donnaient le rythme aux passants qui admiraient les graffitis présents sur presque tous les murs du quartier.

Élodie et ses amis ne sont pas les seuls à tenter de retrouver le goût de cet art de vivre. Une bouteille de vin, des bières et des cacahuètes font de leur mieux pour suppléer les brasseries, et les enceintes sans fil diffusent de la salsa, du rap local. On danse, on discute, on boit, et si les masques n’étaient pas visibles, on pourrait presque oublier la COVID-19. « On n’y comprend plus rien, et honnêtement, j’en ai ras le bol qu’on me rende responsable parce que je veux vivre un petit peu. On a un gouvernement qui prend des mesures qui n’ont ni queue ni tête. »

Contrecoup de l’été

Les Marseillais ne dérogent pas à leur réputation de rebelles et de grandes gueules. Il y a un an, en mars 2020, quand Emmanuel Macron annonce un confinement national, la cité phocéenne n’est que très peu touchée par la pandémie, et ne fait l’actualité que pour le très controversé institut hospitalier Méditerranée Infection du professeur Raoult. Alors que le gouvernement assure que les masques ne sont pas cruciaux, et que tester toute la population est impensable, Marseille est l’une des populations les plus testées d’Europe, et une chaîne de fabrication de masques artisanaux se met en place.

« On a passé un [premier] confinement très sage. Rues désertes, gestes barrières, chômage pour beaucoup, se rappelle Fabrice, néo-Marseillais de 50 ans, venu bouger son mètre quatre-vingt-dix sur la piste de danse improvisée, un masque sur le visage. Puis la France entière est venue passer ses vacances ici, et on a payé la facture… »

PHOTO DANIEL COLE, ARCHIVES ASSOCIATED PRESS

Des jeunes festoient sur le toit d'une boîte de nuit de Marseille à la fin de l'été dernier.

La ville a en effet accueilli beaucoup de touristes l’été dernier. Marseille, très accessible en train, en voiture et en avion du reste de la France, a fait partie de ces destinations de vacances prisées à l’intérieur du pays.

D’un seul coup, tout le monde a fait comme si le virus n’existait plus. On nous a dit de partir en vacances, de vivre comme avant. Il y avait du monde partout.

Fabrice, à propos de l’été 2020

Puis, à la fin de l’été, comme des écoliers qui doivent se faire à l’idée de retrouver leurs cours, c’est un peu la douche froide pour Marseille. La ville est en effet la première à subir le contrecoup d’un été insouciant : dans une confusion généralisée, et sans consultation locale, l’État annonce que tous les établissements recevant du public doivent fermer leurs portes à 23 h dans la région. Une mesure qui a rapidement été appliquée aussi dans le reste du pays.

« Une farce »

Le 30 octobre, après avoir essayé de contenir la diffusion du virus en mettant en place divers couvre-feux, le pays est une nouvelle fois confiné. Élodie est résignée : « On nous disait de respecter le couvre-feu pour ne pas avoir de confinement, ça s’est révélé être une farce. À la fin du deuxième confinement, on nous disait que les vaccins nous permettraient de retrouver une vie normale bientôt. Et maintenant c’est retour à la case départ. » Elle fait référence aux dernières mesures : face à la propagation active des variants préoccupants dans certaines régions, notamment autour de Nice dans le Sud et de Dunkerque dans le Nord, un confinement localisé les week-ends a été implanté le mois dernier – et est toujours en cours.

Le 11 mars, le ministre de la Santé, Olivier Véran, a reconnu que la situation actuelle est « tendue et inquiétante », alors que le nombre moyen de nouveaux cas s’accroche à la barre des 21 000.

On observe une pression accrue sur les services de santé, au point d’avoir repris les transferts de patients vers d’autres régions, voire vers la Belgique. « Si l’épidémie se poursuit à ce niveau et à ce rythme […], a prévenu le ministre, alors nous prendrions toutes les mesures nécessaires » pour freiner les contaminations – comme de nouveaux confinements, au coût économique et social important.

On s’accroche à l’espoir que la vaccination donnera des résultats rapidement – 4,5 millions de personnes ont reçu une première injection et 2,65 millions, deux doses. Mais en attendant de voir le bout du tunnel, quelques Marseillais préfèrent encore se réunir le soir, clandestinement, pour danser un peu…

Avec l’Agence France-Presse