Les dirigeants du parti d’extrême droite grec Aube Dorée, qui a longtemps usé de violence pour faire avancer son programme xénophobe et antisémite, ont été condamnés en justice à l’issue d’un procès historique ayant duré cinq ans.

Les juges ont conclu mercredi que 7 des 18 députés que le parti avait fait élire en 2012 et en 2015 dirigeaient dans les faits une organisation criminelle ayant ciblé aussi bien des migrants que des dirigeants syndicaux et des militants antifascistes.

Ils s’exposent à des peines d’emprisonnement pouvant aller jusqu’à 15 ans à l’issue des observations sur la peine qui doivent se poursuivre ce vendredi. Les autres ex-élus, condamnés pour participation à une organisation criminelle, risquent jusqu’à 10 ans de détention.

Au total, non moins de 68 membres et sympathisants d’Aube Dorée, qui prétend être victime de « persécution politique », étaient appelés à faire face à la justice pour une longue série d’actes criminels. Une dizaine ont été acquittés.

Le verdict est d’une importance extrême. Il envoie le message que ce type d’idéologie n’est pas acceptable dans la société grecque.

Eva Cossé, recherchiste de Human Rights Watch, établie à Athènes

Plus de 20 000 personnes s’étaient réunies devant le palais de justice en attente de l’annonce du verdict, qui a été accueilli par des cris de joie.

Magda Fyssas, mère d’un rappeur très engagé contre l’extrême droite qui a été poignardé à mort en septembre 2013 par des membres d’Aube Dorée, a crié victoire devant les caméras.

  • Magda Fyssas, mère d’un rappeur très engagé contre l’extrême droite qui a été poignardé à mort en septembre 2013 par des membres d’Aube Dorée, a crié victoire devant les caméras.

    PHOTO PETROS GIANNAKOURIS, ASSOCIATED PRESS

    Magda Fyssas, mère d’un rappeur très engagé contre l’extrême droite qui a été poignardé à mort en septembre 2013 par des membres d’Aube Dorée, a crié victoire devant les caméras.

  • Des manifestants antifascistes réunis à Athènes célèbrent la condamnation des dirigeants du parti d’extrême droite Aube Dorée, à la suite d’un procès ayant duré cinq ans.

    PHOTO YORGOS KARAHALIS, ASSOCIATED PRESS

    Des manifestants antifascistes réunis à Athènes célèbrent la condamnation des dirigeants du parti d’extrême droite Aube Dorée, à la suite d’un procès ayant duré cinq ans.

  • Des manifestants antifascistes s’enlacent devant le palais de justice d’Athènes à la suite de l’annonce du verdict contre les dirigeants d’Aube Dorée.

    PHOTO YORGOS KARAHALIS, ASSOCIATED PRESS

    Des manifestants antifascistes s’enlacent devant le palais de justice d’Athènes à la suite de l’annonce du verdict contre les dirigeants d’Aube Dorée.

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La fin tragique de Pavlos Fyssas avait eu l’effet d’un électrochoc sur la société grecque et forcé le gouvernement en place à l’époque à serrer la vis au parti. Son financement étatique avait été interrompu et l’immunité de ses députés levée, permettant à la justice d’avancer.

PHOTO ALEXANDROS THEODORIDIS, ARCHIVES AGENCE FRANCE-PRESSE

Pavlos Fyssas (ici en 2012), rappeur très engagé contre l’extrême droite, poignardé à mort à l’âge de 34 ans par des membres d’Aube Dorée, en septembre 2013

Mme Cossé a indiqué que le parti n’était pas interdit à l’issue du verdict de mercredi puisque la Constitution ne permet pas une telle mesure. Il devient cependant de facto une coquille vide.

« Pendant longtemps, ils ont bénéficié d’une immunité totale pour leurs actions. Maintenant, quelqu’un qui veut lancer un parti de même nature va devoir y penser une fois, deux fois, même trois fois avant d’aller de l’avant », relève la militante, qui a contribué à documenter les exactions imputables à Aube Dorée au fil des ans.

PHOTO LEFTERIS PITARAKIS, ASSOCIATED PRESS

Nikólaos Michaloliákos (ici en 2015), chef d’Aube Dorée, admirateur déclaré d’Adolf Hitler qui nie l’Holocauste

Aube Dorée a été constitué comme un groupe néonazi dans les années 80. Son chef, Nikólaos Michaloliákos, admirateur déclaré d’Adolf Hitler qui nie l’Holocauste, avait développé ses convictions fascistes alors que la Grèce était sous dictature militaire à la fin des années 60.

Fond de misère économique

La crise de la dette qui a frappé de plein fouet le pays il y a 10 ans a mis en relief la corruption et les ratés des partis politiques traditionnels, permettant à Michaloliakos et à ses partisans de se poser en solution de rechange.

Le discours d’Aube Dorée contre les migrants a trouvé un écho accru sur fond de misère économique alors que des agressions orchestrées par ses membres se multipliaient dans les quartiers d’Athènes et au-delà, parfois avec l’apparente complicité de policiers.

Des représentants des forces de l’ordre figurent d’ailleurs parmi les sympathisants condamnés en justice cette semaine, relève Mme Cossé.

L’élection de juin 2012 avait permis à la formation d’obtenir 7 % des voix et 18 sièges, et de devenir le troisième parti d’opposition en importance en Grèce, renforçant le sentiment d’impunité dans ses rangs.

Au début de 2013, un vendeur de rue d’origine pakistanaise a été assassiné sans susciter de vaste mouvement de condamnation. C’est l’exécution de Pavlos Fyssas plusieurs mois plus tard qui a marqué le début de la chute du parti, incapable de faire élire un député en 2019.

Amnistie internationale a dit espérer dans un communiqué que le verdict rendu mercredi contre une formation présentant un « agressif discours anti-migrant et anti-droits de l’homme » aura des répercussions ailleurs en Europe et aidera à juguler la progression de partis d’extrême droite sur le continent.

Mme Cossé souhaite par ailleurs qu’il favorise une prise de conscience des élus européens relativement à la nécessité d’aider la Grèce à prendre en charge les migrants qui arrivent à ses frontières.

Demandeurs d’asile

La Commission européenne a tenté à plusieurs reprises de faire adopter un programme prévoyant la répartition des demandeurs d’asile entre les pays membres de l’Union européenne, mais plusieurs États y ont opposé une fin de non-recevoir.

« Le manque de solidarité européen a joué un rôle très important » dans les succès d’Aube Dorée, relève la représentante de Human Rights Watch, qui s’inquiète de voir que le gouvernement conservateur actuellement en place en Grèce présente souvent les migrants comme une menace pour la société grecque.

« Je crains que l’histoire ne se répète et qu’un mouvement [comme Aube Dorée] revienne », dit-elle.

Lors des élections de 2019, un nouveau parti d’extrême droite, Solution grecque, a remporté une dizaine de sièges, témoignant du fait que l’idéologie est loin d’avoir disparu dans le pays.

« Nous avons gagné une bataille. Mais le fascisme n’est pas vaincu comme ça. Il faut se battre », a déclaré Magda Fyssas mercredi à l’Agence France-Presse après l’annonce du verdict.