Des députés catalans indépendantistes qui affirment avoir été espionnés par l’entremise de leur téléphone ont décidé de saisir la justice de l’affaire en ciblant les services de renseignement espagnols.

Le président du Parlement de Catalogne, Roger Torrent, et un ex-ministre régional, Ernest Maragall, ont annoncé jeudi qu’ils portaient plainte contre l’ex-directeur du Centre national du renseignement espagnol (CNI), Félix Sanz Roldán, qui était en poste au moment de leur mise sous écoute présumée.

La démarche des deux élus, qui sont issus de la Gauche républicaine de Catalogne (ERC), fait suite à une enquête des quotidiens The Guardian et El País ayant révélé en début de semaine qu’au moins quatre militants indépendantistes catalans avaient été la cible l’année dernière d’un logiciel sophistiqué appelé Pegasus.

Plusieurs formations catalanes, dont l’ERC, ont décrié dans un communiqué la situation et demandé la création d’une commission d’enquête pour faire toute la lumière sur ce qu’ils estiment être une attaque « intolérable » dans un État démocratique.

Le gouvernement espagnol a nié toute responsabilité en insistant sur le fait que la police nationale et le ministère de l’Intérieur ne s’étaient pas portés acquéreur du logiciel en question.

Le CNI s’est borné de son côté à souligner qu’elle affichait en toutes circonstances un « respect absolu des lois applicables ».

Un logiciel suspect

Les allégations d’espionnage intérieur remettent sous les projecteurs la firme israélienne NSO Group, qui permet avec Pegasus d’accéder à distance à toutes les données d’un téléphone et d’activer ses micro et caméra pour en faire un outil de surveillance en temps réel.

L’entreprise maintient que le logiciel est vendu uniquement à des gouvernements et doit servir à contrer le terrorisme et les crimes majeurs, mais ses assurances sont mises en doute par des experts en cybersécurité.

PHOTO JACK GUEZ, ARCHIVES AGENCE FRANCE-PRESSE

La firme israélienne NSO Group a développé l’application Pegasus, qui permet d’accéder à distance à toutes les données d’un téléphone et d’activer ses micro et caméra pour en faire un outil de surveillance en temps réel. Ce logiciel ne serait vendu qu’à des gouvernements, selon l’entreprise.

L’année dernière, Facebook a lancé une procédure en cour contre NSO Group en lui reprochant d’avoir utilisé une faille dans WhatsApp au printemps 2019 pour infecter en deux semaines les appareils de 1400 utilisateurs.

Le Citizen Lab, groupe de recherche spécialisé de l’Université de Toronto, s’est penché sur le dossier et a pu identifier l’année dernière plus d’une centaine de membres de la société civile, répartis sur quatre continents, qui avaient été la cible de cette stratégie.

La poursuite de l’exercice a permis de mettre en lumière le fait que les députés catalans avaient aussi été ciblés, mais ne permet pas de déterminer formellement qui était à l’origine de l’interception.

Puidgemont dénonce l’autoritarisme

La responsabilité du gouvernement central ne fait aucun doute dans l’esprit de l’ex-président de la Généralité de Catalogne Carles Puidgemont, qui fait l’objet d’une demande d’extradition espagnole en raison de son rôle dans la tenue en 2017 d’un référendum d’autodétermination considéré comme illégal par Madrid.

PHOTO FRANÇOIS LENOIR, ARCHIVES REUTERS

Carles Puigdemont, politicien indépendantiste et ex-président de la Généralité de Catalogne

L’Espagne utilise des méthodes autoritaires depuis un bon moment. J’ai moi-même été la cible d’un appareil de traçage placé sous ma voiture qui fait l’objet d’une enquête des autorités belges.

Carles Puidgemont, politicien indépendantiste, à Vice

Joan Ramon Resina, professeur de l’Université Stanford qui suit de près les développements politiques en Catalogne, se dit « étonné que les gens soient étonnés » que des écoutes électroniques illégales aient peut-être pris pour cible le mouvement indépendantiste catalan.

Ce ne serait pas la première fois que de telles pratiques sont utilisées et le CNI peut les avoir menées sans que le gouvernement central en ait été avisé, dit-il.

L’analyste ne pense pas que les écoutes alléguées soient susceptibles d’avoir une incidence majeure à ce stade sur les relations entre Madrid et le gouvernement de coalition au pouvoir à Barcelone.

Le premier ministre socialiste Pedro Sánchez a été reconduit à son poste en janvier grâce à l’abstention des députés de l’ERC et s’est engagé alors à rouvrir des discussions avec le gouvernement catalan pour dénouer la crise constitutionnelle, « mais pratiquement rien ne s’est passé depuis », note M. Resina.

M. Sánchez évoque, dit-il, les divergences de vue entre les deux partis de la coalition au pouvoir en Catalogne, l’ERC et Ensemble pour la Catalogne (JxCat), quant aux objectifs à atteindre pour retarder le processus.

Des poursuites judiciaires continuent pendant ce temps contre plusieurs militants indépendantistes, dont le président de la Généralité de Catalogne Quim Torra, du JxCat, qui est menacé de destitution pour avoir tardé à retirer des emblèmes indépendantistes de la façade du siège du gouvernement régional durant une campagne électorale.

Pedro Sánchez « aimerait pouvoir négocier seulement avec l’ERC, qui est plus modéré dans ses demandes », conclut le professeur de Stanford.