Une trentaine de régions et de villages polonais ont adopté des résolutions anti-LGBT depuis l’hiver. Pour mieux comprendre ce qui se passe dans la patrie de Chopin, La Presse s’est entretenue avec Volha Charnys, du MIT, et Marta Figlerowicz, de l’Université Yale, qui ont récemment publié deux essais sur la radicalisation de la droite polonaise dans la revue Foreign Affairs, ainsi que Mirosława Makuchowska, directrice politique de l’ONG polonaise Campagne contre l’homophobie (KPH).

Pourquoi cette vague soudaine de réglementation homophobe ?

Mirosława Makuchowska (MM) : Le déclencheur a été la signature, en février, par le maire de Varsovie d’une déclaration des droits LGBT. Cette déclaration a été dénoncée en mars par le président du parti au pouvoir Droit et Justice (PiS) comme un «danger pour la famille et les enfants». Les résolutions LGBT des villages et régions ont commencé en avril. La diffusion d’un documentaire sur des cas de prêtres pédophiles a aussi joué un rôle : pour l’Église, qui appuie le PiS, les attaques anti-LGBT créaient une diversion. À mon avis, il y a aussi eu une volonté de mobiliser l’électorat du PiS pour les élections européennes de mai.

Avez-vous personnellement été victime de violence homophobe ?

Marta Figlerowicz (MF) : Je suis professeure de littérature comparée. Je travaillais en Pologne, mais le climat était trop mauvais étant donné que je suis LGBT. C’est pourquoi je suis maintenant à Yale, aux États-Unis. Je n’ai jamais été la cible de violence en Pologne, mais j’ai souvent été insultée par des homophobes.

MM : Quand je me promène avec ma femme dans la rue, on nous insulte souvent. Il y a des villes où on évite de s’afficher comme un couple. Mais nous ne nous tenons jamais la main, même à Varsovie. Certains de mes amis se tiennent la main en public, mais je trouve ça trop dangereux.

En juin 2018, la Cour suprême polonaise a refusé d’entendre l’appel d’un jugement obligeant un commerçant à servir des clients homosexuels. Depuis, des tribunaux de première instance ont défié ce précédent et autorisé des commerçants à invoquer une « clause de conscience » pour refuser toute clientèle LGBT. Pourquoi ?

MF : Le PiS a essayé de miner l’autorité des tribunaux, qui sont garants des libertés civiles et de l’État de droit. Mais il a dû faire marche arrière devant le tollé. Je crains fort que s’il remporte les élections à l’automne, il y ait une deuxième tentative de rendre la Cour suprême servile devant le pouvoir politique. Ce serait l’occasion de renverser le précédent de l’an dernier.

Volha Charnys (VC) : C’est possible mais peu probable. Ce serait un pas de trop pour la population et beaucoup trop dangereux vis-à-vis de l’Union européenne. Je vois un parallèle avec le jugement Roe c. Wade, qui a légalisé l’avortement aux États-Unis en 1973 : des politiciens obtiennent un grand bénéfice politique en promulguant des lois qui contreviennent à Roe c. Wade, mais, au bout du compte, il y a peu de chances que le précédent de 1973 soit cassé.

L’homophobie sera-t-elle un thème pour les élections polonaises de l’automne prochain ?

VC : Le PiS a bien mobilisé sa base, il s’adresse maintenant à son principal rival, la Plateforme civique (PO), dont les électeurs ne sont pas nécessairement plus ouverts aux minorités sexuelles, mais plus tolérants. Seulement 6 % des électeurs du PO croient que l’homosexualité n’est pas normale, contre 36 % de ceux du PiS. Alors, on voit moins d’accent mis sur la question par le PiS. Il faut dire que le printemps était l’occasion d’une vingtaine de marches de la fierté gaie dans différentes villes.

MM : Je constate que la question LGBT a complètement été évacuée du récent congrès du PiS, où le programme électoral a été présenté. On n’a parlé que d’investissements, de modernisation, du système de santé.

Le soutien au PiS est plus fort dans le sud et l’est de la Pologne. Pourquoi ?

VC : L’ouest de la Pologne était allemand jusqu’en 1945 et a été peuplé de Polonais expulsés de la portion de la Pologne cédée à l’Ukraine au même moment. Ce territoire correspond aussi en partie à la portion prussienne de la troisième partition de la Pologne à la fin du XVIIIe siècle. Il est plus urbanisé, il y a plus de développement ferroviaire. C’est là que le premier maire homosexuel a été élu. Le sud de la Pologne est rural, densément peuplé et correspond à la portion autrichienne de la troisième partition. Il est encore marqué par le catholicisme autrichien. L’Est était administré par la Russie, est moins religieux mais plus conservateur, moins développé.

Rectificatif : Une version antérieure de ce texte présentait Jarosław Kaczynski comme «président» de la Pologne. M. Kaczynski est plutôt président du parti au pouvoir Droit et Justice (PiS).