La justice allemande pourra obliger les mères infidèles à révéler l'identité du père biologique de leur enfant, selon un projet de loi approuvé mercredi en Conseil des ministres. Après contestation de sa paternité, le père apparent pourra réclamer de cet amant des dommages et intérêts. Au Québec, une telle mesure serait tout à fait impensable, soulignent des experts.

Le futur article 1607 du Code civil allemand - qui doit faire l'objet d'un vote au Parlement - prévoit de contraindre la mère à transmettre « au tiers qui a assuré en tant que père la subsistance de l'enfant » le nom de son ou de ses amants « pendant la période de conception ». Après avoir contesté sa paternité, le père apparent pourra recevoir une compensation financière équivalant à deux ans de soins.

« La nouveauté dans ce projet de loi, c'est qu'on se sert de la mère comme instrument. Ça m'apparaît être une intrusion assez grave dans la vie privée de la mère qui va devoir étaler sa vie sexuelle. Ça ressemble à une chasse aux sorcières. Si elle refuse, que va-t-on faire : la soumettre à un détecteur de mensonges, l'emprisonner ? Je ne comprends pas la logique », affirme Alain Roy, professeur à la faculté de droit de l'Université de Montréal et président du Comité consultatif sur le droit de la famille.

« Il me semble qu'à l'étranger, on méconnaît tout l'enjeu de ce projet de loi. C'est un ajustement législatif qui n'a rien de spectaculaire. Aussi, ça ne fait pas débat en Allemagne », souligne Peter Junggeburth, avocat spécialisé en droit de la famille, joint à Berlin. « Je peux comprendre que notre droit peut paraître archaïque, mais dans plusieurs États européens, on est très attaché au mariage et à la filiation biologique. »

« En Allemagne, la filiation correspond plutôt à la réalité biologique. Depuis que les tests génétiques sont disponibles, on voit une tendance, dans certains pays où les règles sont plus souples, à vouloir remettre en question le lien de filiation, à mettre le père légal à l'écart », ajoute Me Goubau.

Selon la réglementation actuelle en Allemagne, un enfant a le droit d'exiger de sa mère de connaître ses origines, en accord avec la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme. « Le père apparent a pour sa part le droit d'obliger l'enfant à lui divulguer ces informations. Cela crée une pression indue sur l'enfant. C'est pourquoi on met en place une obligation directe de la mère envers le père », explique M. Junggeburth. Le projet de loi ne prévoit pas de sanction pour les mères qui refuseraient d'obtempérer, mais présente des conditions pour lesquelles celles-ci seraient exemptées de cette obligation (ex : inceste, viol par un proche, etc.).

Le projet de loi provient d'une décision rendue par la Cour constitutionnelle, en février 2015, selon laquelle obliger les mères à révéler le nom de leur amant outrepasserait le pouvoir des tribunaux. On demandait alors une loi pour garantir un équilibre entre le respect de la vie privée et le droit au recours du mari floué.

COMPENSATION FINANCIÈRE LIMITÉE

« À ce jour, un père apparent a le droit de contester sa paternité de façon illimitée dans le temps, à condition qu'il le fasse dans un délai de deux ans après la prise de connaissance de circonstances justifiant ses doutes. Il peut obtenir des dommages et intérêts rétroactifs », explique M. Junggeburth.

Malgré de nouvelles obligations financières, le père biologique n'obtient aucun droit sur son enfant, à moins d'un accord de la mère. « Lors d'une naissance hors mariage, l'autorité parentale est attribuée d'office à la mère. Celle-ci peut néanmoins consentir à une autorité parentale partagée », dit M. Junggeburth, qui souligne que les unions de fait et civiles n'existent pas sur le plan juridique en Allemagne.

Selon des estimations, jusqu'à 1 bébé allemand sur 10 serait né d'un adultère. « Dans bien des cas, même quand la vérité éclate, le mari ne cherchera pas à connaître l'identité du père biologique, considérant l'enfant comme le sien malgré tout. »

- Avec l'Agence France-Presse

La situation au Québec

Établir la paternité : trois modes

Au Québec, il existe trois modes d'établissement de filiation paternelle : la signature de la déclaration de naissance, la possession d'état (c'est-à-dire : s'être comporté et avoir été reconnu comme un père pendant environ 16 mois) et la présomption de paternité (le mari d'une mère est présumé le père de son enfant). « Prise séparément, chacune de ces preuves peut être contestée en justice, sur la base d'un test d'ADN, pendant 30 ans », explique Alain Roy, professeur de droit. Une exception ? Un père marié et sa femme n'ont qu'un an (après la naissance) pour demander un « désaveu » de paternité.

Filiation verrouillée

Si un homme signe la déclaration de naissance d'un enfant et qu'il se comporte comme son père pendant 16 mois, la contestation de paternité devient impossible, la filiation est verrouillée. C'est vrai même si le père biologique est connu. « Selon la loi québécoise, la stabilité sociale prime et considérée dans le meilleur intérêt de l'enfant », explique Alain Roy. Dans ces cas, il faut contester à l'intérieur de 16 mois, « avant le verrou ».

Tests génétiques limités

On ne peut exiger de tests génétiques à tout vent au Québec. L'article 535.1 du Code civil du Québec, annoté en 2002, stipule qu'un prélèvement de substances naturelles peut être demandé comme preuve de filiation seulement « s'il y a commencement de preuve de la filiation établie par le demandeur (...) ». « On demandera des reçus d'hôpitaux, des photos prises pendant la grossesse, des courriels, etc. », souligne M. Roy. Par contre, la demande de prélèvement sera toujours refusée en cas de filiation verrouillée.

Filiation sociale

« En Allemagne, où on a une conception « biologisante » de la filiation, le géniteur hérite nécessairement de la paternité, même s'il ne veut pas faire partie du projet parental. À la limite, un donneur de sperme pourrait s'exposer à des poursuites. Au Québec, la filiation est avant tout une construction sociale qui, parfois, n'a rien à voir avec la réalité biologique, par exemple lors de procréation assistée », dit Alain Roy.

Connaître ses origines

Dans la réforme du droit familial québécois (présentée en 2015), le Comité consultatif sur le droit de la famille propose d'inscrire la connaissance des origines dans la Charte des droits. « C'est un droit fondamental, selon nous, dit M. Roy. Mais cette proposition vaut seulement dans la mesure où il y a un secret institutionnalisé, que l'État détient ces informations. Jamais ce droit ne justifierait une mesure telle que proposée en Allemagne, contraire au respect de la vie privée. On continue de croire que les parents devraient informer les enfants sur leurs racines. C'est davantage une question d'éducation que de droit. »