Ils avaient occupé le parc Gezi, au coeur d'Istanbul, il y a trois ans pour manifester contre Erdogan. Ils ont été choqués par la tentative de coup d'État vendredi. Et maintenant, ils redoutent l'avenir.

Une ambiance plutôt maussade régnait mercredi à Besiktas, un quartier chic et laïc d'Istanbul, bastion de l'opposition de gauche et du centre au régime du président islamoconservateur Recep Tayyip Erdogan.

L'antimilitarisme est de rigueur ici et les habitants de Besiktas ont été soulagés de l'échec du coup. Mais ils redoutent avec anxiété un «contrecoup» qui ciblerait les opposants.

«Il semble qu'une chasse aux sorcières est en cours», s'inquiète Emre, un étudiant de 25 ans, en pilant de la glace dans le café branché qui l'emploie dans ce quartier proche du Bosphore.

Depuis que des F-16 ont bombardé le parlement à Ankara et que des mutins ont failli capturer le président Erdogan, le gouvernement a lancé une chasse féroce contre tous ceux qu'il considère comme des conspirateurs. Des purges ont touché des soldats, des généraux, des policiers, des juges, des enseignants et des journalistes.

Emre, qui comme d'autres personnes interrogées refuse de donner son nom en entier, dit avoir participé aux semaines d'émeutes du printemps 2013 qui avaient fait vaciller le président Erdogan, au parc Gezi.

Carsi, le plus grand groupe de partisans ultras de Besiktas, s'est retrouvé en première ligne des protestations de masse, qui ont rassemblé des centaines de jeunes citadins affrontant la police antiémeutes.

Exprimant une position partagée par beaucoup, Emre ajoute: «Je ne soutiens pas le gouvernement, mais un coup d'État est inacceptable».

C'est ce qu'ont pensé les dizaines de milliers de Turcs qui sont sortis dans la rue, se drapant dans le drapeau rouge national, répondant à l'appel d'Erdogan, pour faire échec aux putschistes.

«Mon point de vue d'opposant n'a pas changé», ajoute Emre. «Tout le monde a peur d'un «contrecoup». On entend dire que ça va arriver».

Unique sujet de conversation

À première vue, la vie est revenue à la normale à Besiktas, où les cafés à la mode sont pleins de gens déjeunant tranquillement. Mais à la plupart des tables, un unique sujet de conversation.

«Les F-16 volaient (au-dessus de la ville), des prières ont été récitées cette nuit-là (de vendredi à samedi) par les haut-parleurs des minarets», se souvient Sumbul Celik, une commerciale de 32 ans.

«D'abord j'ai cru que c'était Erdogan qui faisait son spectacle, et puis il est apparu que des mutins se trouvaient parmi les soldats», dit la jeune femme.

«Même si je suis en désaccord avec la politique d'Erdogan, je crois que personne ne peut faire cela à son propre pays», dit-elle à  propos de cette tentative de putsch qui a fait plus de 300 morts.

Celik se souvient de la vague d'espoir qui l'avait portée, elle et ses amis, pendant la révolte de Gezi. Trois ans plus tard, elle est pessimiste.

«À cette époque, j'étais pleine d'espoir, manifestant dans la foule avec fierté, les yeux emplis de larmes», dit-elle. «Aujourd'hui, je cherche un moyen de quitter ce pays».

«Nous ne sommes qu'une petite minorité à présent. Le gouvernement va restaurer l'ordre, ce qui ne va faire que renforcer sa domination».

Un autre jeune, qui préfère rester anonyme, s'inquiète aussi: après «la mort de tant de gens», dit-il, «je ne crois pas qu'il y aura encore beaucoup de monde qui osera exprimer des critiques contre le gouvernement».

Un peu plus loin, dans un café-librairie, Nesrin, 18 ans, est préoccupée de l'appel lancé par M. Erdogan à ses sympathisants de tenir la rue.

«On nous a interdit de descendre dans la rue pour Gezi et on nous a envoyé les gaz lacrymogènes, se souvient-elle, «maintenant les gens sont appelés à aller dans les rues. Quelle ironie de l'Histoire!»

«J'ai peur que les libertés qui restaient soient encore restreintes», conclut-elle.