Le coup d'État avorté en Turquie et les purges conduites par le pouvoir turc enveniment une relation Washington-Ankara déjà empoisonnée par la guerre en Syrie et les droits de l'homme.

Alliés historiques au sein de l'OTAN et officiellement côte à côte dans la lutte contre le groupe État islamique (EI) en Syrie et en Irak, les États-Unis et la Turquie subissent depuis des mois un sérieux coup de froid dans leur relation diplomatique. Tant sur leurs profonds désaccords à propos du combat international contre le djihadisme que sur la dérive jugée autoritaire du régime du président Recep Tayyip Erdogan.

Une mise en garde très ferme est venue lundi du secrétaire d'État américain John Kerry, qui a exhorté, au côté de son homologue européenne Federica Mogherini à Bruxelles, «le gouvernement de Turquie à respecter les institutions démocratiques de la nation et l'État de droit».

C'est la énième fois que Washington tacle Ankara sur les libertés publiques.

Après des mois de répression contre des médias et opposants turcs, le président américain Barack Obama avait dénoncé en avril «le chemin très inquiétant» emprunté par son homologue turc.

Lundi, M. Kerry a réagi aux purges impressionnantes dans l'armée, la police et la magistrature menées par le régime Erdogan: il a clairement menacé Ankara sur son avenir au sein de l'Alliance atlantique, martelant qu'être membre de «l'OTAN comporte des exigences en matière de démocratie».

La Turquie hors de l'OTAN? 

Aux yeux de Matthew Bryza, expert du Dinu Patriciu Eurasia Center basé en Turquie et qui s'exprimait lors d'une conférence de l'Atlantic Council à Washington, ces propos «ont été mal interprétés ici (...) comme un avertissement selon lequel les États-Unis pousseraient la Turquie à quitter l'OTAN».

Le spécialiste pronostique un «voyage agité» pour la suite des relations États-Unis/Turquie.

Bayram Balci, du Centre de recherches internationales de Sciences Po, juge aussi «totalement irresponsable» cette déclaration de M. Kerry. «Si la Turquie sortait de l'OTAN, par qui les États-Unis la remplaceraient-ils?», s'interroge-t-il auprès de l'AFP.

Le noeud des tensions turco-américaines se fixe cette fois sur le sort du prédicateur musulman en exil aux États-Unis, Fethullah Gülen, accusé par Ankara d'avoir fomenté le putsch avorté. Ancien allié devenu ennemi juré du président Erdogan, M. Gülen pilote un puissant mouvement en Turquie qui compte des écoles, des ONG et des entreprises.

Alors qu'Ankara réclame à Washington l'extradition de cet opposant de 75 ans, John Kerry et le département d'État ont rétorqué n'avoir «pas encore reçu de requête formelle» de la Turquie, laquelle «doit» présenter «des preuves, pas des allégations» contre M. Gülen qui vit depuis 1999 dans l'est des États-Unis.

L'intéressé a reçu lundi plusieurs médias, dont l'AFP, dans sa propriété de Saylorsburg, en Pennsylvanie, et a assuré ne pas craindre d'être extradé. «Je n'ai pas d'inquiétude», a-t-il dit, car les États-Unis «sont un État de droit».

Interrogé par CNN, le président Erdogan a affirmé qu'Ankara présenterait sous peu à Washington une demande formelle en vertu d'un «accord réciproque d'extradition des criminels». 

«Choisir la Turquie ou Gülen»

«On voit de plus en plus de hauts responsables turcs dire que les États-Unis doivent choisir entre la Turquie et Gülen», résume Aaron Stein, du Rafik Hariri Center for the Middle East et qui parlait devant l'Atlantic Council. L'expert prédit lui aussi une «crise dans la relation entre les États-Unis et la Turquie».

À court terme, la lutte contre le groupe EI risque encore de se compliquer.

De fait, l'allié turc, jugé en coulisses à Washington réticent, voire ambigu, a autorisé en juillet 2015 la coalition internationale à utiliser sa base aérienne d'Incirlik, pour des raids contre les djihadistes en Syrie et en Irak. Les États-Unis ont déployé sur cette base 1500 militaires et civil, des drones et des avions.

Or Ankara soupçonne qu'Incirlik a été utilisée pour le ravitaillement d'avions de chasse de putschistes vendredi soir.

La priorité de la Turquie dans la région reste la lutte contre les Kurdes du PKK, tandis que les Kurdes en Syrie et en Irak sont soutenus par les États-Unis dans leur combat contre l'EI.

En conséquence, juge M. Stein, «la manière dont la coalition conduit ses opérations sera affectée».

Certes, reconnaît l'ancien ambassadeur britannique en Turquie et aux États-Unis Peter Westmacott, «tout cela va être un peu plus compliqué pendant un moment mais l'implication de la Turquie dans l'effort uni et international contre Daech (acronyme arabe de l'EI, NDLR), je l'espère, demeurera inchangé».

AP

Fethullah Gülen