Pourfendeur de la fraude fiscale, il avait un compte caché à l'étranger: l'ancien ministre français du Budget, Jérôme Cahuzac, a comparu lundi devant la justice, mais a immédiatement soulevé une question juridique susceptible de retarder la procédure.

Son procès est aussi celui du mensonge. Début 2013, il avait assuré «les yeux dans les yeux» aux médias et aux députés ne jamais avoir eu de compte à l'étranger, avant d'être acculé à des aveux qui avaient sérieusement ébranlé la présidence de François Hollande.

Trois ans plus tard, Jérôme Cahuzac, 63 ans, surnommé «le Pinocchio de Bercy» (en référence à l'adresse du ministère des Finances) encourt jusqu'à sept ans de prison et 2 millions (plus de 3 millions de dollars CAN) d'amendes pour fraude fiscale, blanchiment, et pour avoir «minoré» son patrimoine en entrant au gouvernement.

Disparu de la politique, cet homme «brisé», selon ses proches, est venu seul au palais de justice de Paris, se frayant un chemin sans mot dire à travers la cohue de journalistes.

À la barre, il s'est présenté comme «retraité», avant de laisser la parole à ses avocats.

Soulignant que leur client a payé son dû au fisc avec une majoration, ils ont contesté le possible cumul de sanctions pénales et fiscales. «Ce n'est pas parce qu'on est désigné par la presse comme un "paria" qu'on ne peut pas faire du droit», a lancé Me Jean Veil.

Cinglant, le procureur Jean-Marc Toublanc a rappelé qu'en politique, Jérôme Cahuzac avait endossé le rôle de chevalier blanc de la lutte contre l'évasion fiscale. «Lorsqu'il était ministre, il a fait voter une loi (...) pour renforcer la sanction de la fraude fiscale. Aujourd'hui, la loi ne devrait pas s'appliquer, à lui seul?»

Le tribunal dira mercredi matin s'il écarte les arguments de la défense, auquel cas le procès se poursuivra jusqu'au 18 février, ou s'il les transmet au Conseil constitutionnel, ce qui reporterait les audiences.

Nom de code Birdie

Jérôme Cahuzac est jugé avec son ex-épouse Patricia Ménard, un banquier suisse, François Reyl, et un avocat basé à Dubaï, Philippe Houman.

Ensemble, ils ont dissimulé au fisc français une partie des recettes d'une clinique spécialisée dans les implants capillaires, que Jérôme Cahuzac, chirurgien de formation tenait avec sa femme, mais aussi des revenus tirés d'activités de conseil auprès de laboratoires pharmaceutiques.

Ils se sont livrés entre 1992 et 2013, à des manoeuvres dont le récit, tel qu'il est fait par les enquêteurs, oscille entre roman de gare et manuel de délinquance financière internationale.

Sous le nom de code «Birdie», Jérôme Cahuzac s'est ainsi fait livrer par deux fois 10 000 euros (plus de 15 000 $ CAN), en espèces, dans une rue de Paris. Lorsque le sacro-saint secret bancaire suisse a commencé à se fissurer en 2009, les quelque 600 000 euros (environ 927 000 $ CAN) qu'y détenait Jérôme Cahuzac sont partis pour Singapour, en faisant un détour par une société-écran enregistrée aux Seychelles.

L'argent a servi à payer des vacances somptuaires en Corse ou des appartements aux enfants à Londres.

Depuis, Patricia Cahuzac a revendu les appartements et s'est acquittée d'un redressement de plus de 2 millions. L'ancien ministre a lui aussi régularisé sa situation fiscale.

Ses confidences sont rares, mais le déni n'est jamais loin. «J'ai construit ma vie politique de façon scrupuleusement honnête», affirmait-il en 2014, mais accepter de devenir ministre a été «l'erreur de ma vie».

Une «erreur» qui a aussi coûté cher au président François Hollande. Le socialiste avait fait campagne en 2012 en promettant une République exemplaire après la série d'affaires ayant entaché le mandat de son prédécesseur Nicolas Sarkozy.

L'affaire Cahuzac a toutefois fait souffler en France un vent de transparence sur la vie publique. Plus de 9000 décideurs publics, dont les ministres et les parlementaires, ont désormais l'obligation de déclarer leur patrimoine à une commission indépendante.

Cette évolution a permis de démasquer d'autres abus, dont ceux d'un secrétaire d'État, en retard pour payer ses impôts et évincé pour cela du gouvernement socialiste.

Treize dossiers ont été transmis à la justice pour des déclarations incomplètes ou mensongères, dont ceux de l'avionneur Serge Dassault, sénateur du parti de Nicolas Sarkozy ou des chefs de file de l'extrême droite française, les eurodéputés Jean-Marie et Marine Le Pen.