Le radical Jeremy Corbyn a été élu samedi haut la main à la tête du Parti travailliste britannique, une victoire qui consacre la surprenante ascension de cet eurosceptique, farouche opposant des politiques d'austérité, et promet des turbulences au sein du Labour.

M. Corbyn, 66 ans, l'a emporté avec 59,5 % des voix face à ses trois rivaux quadragénaires, Andy Burnham, Yvette Cooper et Liz Kendall, selon les résultats annoncés à Londres lors d'un congrès spécial du principal parti d'opposition britannique.

La victoire de ce barbu aux cheveux gris, aux idées proches des partis grec Syriza et espagnol Podemos, a des airs de petite révolution au sein d'un Labour qui ne jurait, il n'y a encore pas si longtemps, que par le modèle social-démocrate de Tony Blair.

De fait, le parti n'avait pas connu de leader aussi à gauche depuis plus de 30 ans.

L'annonce des résultats a déclenché les vivats de ses partisans, vêtus du T-shirt rouge de sa campagne, qui ont crié « Jez we did! » (« Jeremy, nous l'avons fait! »), clin d'oeil au slogan scandé lors de la victoire de Barack Obama en 2008.

Sitôt élu, Jeremy Corbyn, vêtu avec son habituelle sobriété - veste sombre, chemise bleue, pas de cravate -, a prononcé un discours aux accents passionnés, dénonçant pêle-mêle « les inégalités qui ont atteint des proportions grotesques » et « un système de protection sociale injuste ».

Cette campagne pour les primaires, a-t-il déclaré, « a montré que notre parti (...) était uni et résolument déterminé dans notre quête pour une société meilleure et juste pour tous ». « Les choses peuvent changer - et elles changeront », a-t-il promis.

L'Europe de gauche jubile

Son élection a immédiatement suscité des réactions enthousiastes de la gauche radicale en Europe. En Espagne, Pablo Iglesias, chef du parti Podemos, a salué « un pas en avant vers le changement en Europe ».

Pour les Grecs de Syriza, cette « élection historique » peut renforcer « le front européen contre l'austérité », et l'ex-ministre des Finances Yanis Varoufakis a dit espérer que « Corbyn deviendra une source de lumière pour le reste de l'Europe ».

En France, le Parti de gauche « s'est félicité de l'élection de Corbyn », y voyant un « retour de la gauche réelle au pays de Thatcher et Blair ».

« C'est révélateur du fait que la roue de l'Histoire est en train de tourner », a ajouté le Parti communiste, alors que le Parti socialiste s'est contenté de lui souhaiter « bienvenue ».

Taxer les riches

Les journaux britanniques étaient eux divisés dimanche. Alors que les titres de gauche ont salué cette élection, la presse conservatrice a estimé que l'élection de M. Corbyn condamnait le parti travailliste à rester dans l'opposition pendant longtemps.

Antimilitariste, partisan d'une politique fiscale taxant davantage les plus riches, Corbyn est parvenu à susciter un engouement que les caciques du Labour n'avaient pas vu venir. Il y a quelques mois, il n'était encore, au mieux, qu'un outsider.

« Il triomphe parce qu'il représente un rejet de la politique classique et parce que les autres candidats n'ont pas su inspirer l'enthousiasme ou l'espoir », soulignait récemment Andrew Harrop, de la Fabian Society, un think tank de centre gauche.

À défaut d'emporter l'adhésion de ses collègues parlementaires, ce député d'Islington-Nord (Londres) a su séduire la base du parti et les syndicats en prônant un virage à gauche toute, avec des propositions comme la renationalisation des chemins de fer et de l'énergie ou le contrôle des loyers.

Sa première décision en tant que chef de parti a été de se rendre à la manifestation organisée à Londres en faveur des réfugiés. Devant des dizaines de milliers de personnes, il a plaidé « pour des solutions pacifiques ».

Ces propos augurent de débats houleux au Parlement au moment où le premier ministre conservateur David Cameron est à la recherche d'un consensus pour effectuer des frappes en Syrie.

Corbyn, l'anti-Blair

Sa victoire est aussi annonciatrice de temps difficiles au Labour, qui sort divisé du scrutin, et voit ses chances de gagner aux prochaines élections de 2020 grandement compromises, selon les analystes.

« Vous ne gagnez pas avec un programme à gauche de la gauche », avait lâché en août Tony Blair.

Signe des orages à venir, plusieurs ministres du cabinet fantôme du Labour ont annoncé dans la foulée de sa nomination qu'ils ne travailleraient pas avec lui.

Les attaques sont également venues de la droite, même si les observateurs estiment que l'arrivée de Corbyn est une chance pour les conservateurs qui pourraient récupérer les centristes échaudés par son radicalisme.

« Le Labour représente désormais un risque sérieux pour notre sécurité nationale et pour la bonne santé de notre économie », a réagi le ministre de la Défense Michael Fallon, en allusion au souhait de Corbyn de démanteler les sous-marins nucléaires britanniques Trident.

Son prédécesseur à la tête du Labour Ed Miliband, qui avait démissionné après sa lourde défaite aux législatives de mai, lui a lui souhaité de « pouvoir rassembler toutes les branches du parti ».