Quand ressurgissent des épisodes peu glorieux de sa vie privée, comment l'image d'une personnalité publique bien en vue en souffre-t-elle? Analyse en quatre mots du cas de l'économiste français Thomas Piketty.

Lumière

Jusqu'ici, la campagne de promotion du livre de l'économiste français de gauche Thomas Piketty allait bon train. La version anglaise de son Capital au XXIe siècle caracolait en tête des best-sellers, des économistes de renom saluaient son oeuvre, et tous les grands journaux, de gauche comme de droite, débattaient de ses théories sur les inégalités sociales. Pas mal pour une brique de près de 700 pages sur un sujet beaucoup moins séduisant que les fictions coquines à menottes, et moins palpitant que les complots à la sauce scandinave.

Ombre

Le week-end dernier, la «rock star de l'économie» a cependant eu droit à un autre genre de publicité. Le journal britannique Daily Mail a rappelé dimanche une affaire qui remonte à 2009. Thomas Piketty a fait l'objet d'une plainte pour «violence entre conjoints» envers sa conjointe de l'époque, Aurélie Filippetti, aujourd'hui ministre française de la Culture. M. Piketty avait «reconnu les faits de violence à l'encontre de Mme Filippetti» et s'était «excusé». Mme Filippetti n'a pas donné suite à la procédure. La plainte ayant été retirée, aucun détail sur ces «faits de violence» n'a été diffusé. Les médias français avaient quand même rapporté l'histoire.

Lecteur

Influent, populaire, conservateur, ouvertement à droite, le Daily Mail n'a pas épargné Thomas Piketty. «Cet économiste «rock star» de gauche? C'est un batteur de femmes, selon son ancienne amoureuse», a-t-il titré dimanche. La nouvelle a été reprise plus sobrement par quelques autres médias, surtout conservateurs. Pierre Trudel, professeur de droit à l'Université de Montréal, indique que l'effet aurait été différent si le comportement dans sa vie privée était en contradiction flagrante avec ses prises de position publiques - par exemple, si M. Piketty était un psychologue qui écrivait des livres sur la violence conjugale.

Image

Piketty sera-t-il désormais présenté comme un «économiste» ou un «batteur de femmes» ? «C'est un beau cas d'école», observe le professeur Patrick Merle, spécialiste des médias à la Florida State University. Il rappelle que plus les médias décrivent un sujet sous un certain angle, plus l'opinion publique adoptera le cadre proposé par les médias. La notion de «répétition» est cruciale pour qu'une image s'impose. «En fin de compte, la personne de gauche intéressée par le livre l'achètera, quoi qu'il advienne. Celle de droite, qui n'était pas certaine de le lire, y verra une raison supplémentaire de ne pas le faire.»