Le scandale de corruption qui éclabousse le premier ministre turc Recep Tayyip Erdogan a provoqué mardi une nouvelle défection dans le camp du pouvoir, alors que les inquiétudes persistent sur son impact économique malgré les assurances du gouvernement.

Deux semaines après le coup d'envoi de l'opération judiciaire qui fait tanguer le sommet de l'État turc, le député Hasan Hami Yildirim a claqué la porte du Parti de la justice et du développement (AKP) pour dénoncer des tentatives d'intimidation sur la justice et la police.

«La pression sur le procureur Muammer Akkas est inacceptable. Cette pression ne peut pas être considérée comme légitime dans un État de droit», a déclaré M. Yildirim sur son compte Twitter.

Dans une sortie publique inédite, ce magistrat a révélé la semaine dernière que la police judiciaire avait refusé d'exécuter les mandats d'arrêt qu'il avait délivrés contre une nouvelle charrette d'une trentaine d'hommes d'affaires et d'élus, tous réputés proches du pouvoir, avant d'être dessaisi du dossier.

Depuis le début du scandale, qui a provoqué la démission de trois ministres et un large remaniement ministériel, le gouvernement a purgé la haute hiérarchie de la police de plusieurs dizaines de ses hauts gradés, et nommé de nouveaux procureurs.

À trois mois des élections municipales, la tempête politico-judiciaire provoquée par cette affaire a déjà entraîné le départ de cinq députés de l'AKP, dont deux anciens ministres.

Si elle ne remet pas en cause la majorité dont l'AKP dispose à l'Assemblée (320 sièges sur 550), cette vague de départs a révélé des fractures au sein du camp islamoconservateur, qui règne sans partage sur le pays depuis 2002.

Longtemps son alliée, la confrérie du prédicateur musulman Fethullah Gülen a récemment ouvert les hostilités avec le gouvernement pour dénoncer son projet de supprimer les écoles de soutien scolaire privées.

En retour, le premier ministre a accusé ce mouvement, très influent dans la police et la magistrature turques, d'être à l'origine d'un «complot» visant, à travers cette enquête, à nuire à son gouvernement et au pays tout entier.

Mise en cause par un vice-président de l'AKP qui a accusé un de ses juges d'être sous les ordres de la confrérie, la Cour de cassation a défendu publiquement mardi son impartialité.

«Mini-coup d'État»

«La Cour de cassation est la plus haute institution d'appel en Turquie, elle ne reçoit d'instructions ou de demandes de personne et agit conformément aux pouvoirs qui lui sont conférés par la Constitution», a-t-elle souligné dans un communiqué.

Depuis plusieurs jours, M. Erdogan bat les estrades pour proclamer qu'il triomphera de cette «conspiration», comme il a réussi à surmonter la vague de manifestations dites de «Gezi» qui a fait trembler son régime en juin dernier.

«C'est une tentative de mini-coup d'État», a lui aussi dénoncé mardi son vice-premier ministre responsable de l'économie, Ali Babacan. «Personne ne doit douter que nous sortirons vainqueurs de tout ça», a-t-il assuré.

M. Babacan s'est aussi efforcé de rassurer les marchés sur les conséquences économiques de la crise actuelle, en confirmant sa prévision de croissance de 4% pour 2014.

Mais le rebond de la devise turque et de la bourse d'Istanbul observé lundi a été de courte durée. La livre, qui avait atteint son plus bas niveau historique à 2,17 livres (TL) pour un dollar la semaine dernière, est repartie à la baisse, s'échangeant à mardi à la clôture à 2,1475 TL pour un dollar.

Le principal indice de la bourse d'Istanbul (BIST 100) a, lui, conclu la séance à -0,27%. Il avait perdu plus de 8% la semaine dernière, mais repris 6,42% lundi.

De nombreux chefs d'entreprises turcs ou établis en Turquie ont confié redouter que cette affaire n'affecte l'économie du pays en 2014.

Dans un courriel de voeux à ses salariés révélé mardi dans la presse turque, Güler Sabanci, la patronne du groupe turc éponyme, a confié suivre les allégations de corruption et de fraudes poursuivies par la justice avec «préoccupation».

Après les manifestations de vendredi, parfois marquées par des échauffourées avec la police, les adversaires de M. Erdogan ont inauguré mardi une nouvelle forme de protestation.

Réunis pour dénoncer les violences subies par un jeune fraudeur du métro stambouliote, des centaines de manifestants sont descendus dans le métro à Istanbul, Ankara et Izmir (ouest) et en ont profité pour dénoncer la corruption du gouvernement aux cris de «Les voleurs rendront des comptes au peuple !»