La Russie a sauvé dans l'immédiat l'Ukraine de la faillite et offert un répit à son président Viktor Ianoukovitch pour garder sous son influence cette ex-république soviétique agitée par un mouvement de contestation de l'opposition pro-européenne.

Le président russe Vladimir Poutine a annoncé mardi soir, à l'issue d'une rencontre au Kremlin avec son homologue ukrainien, que Moscou placerait 15 milliards de dollars dans des obligations émises par l'Ukraine, et réduirait d'un tiers le prix du gaz qu'elle lui vend.

Ce véritable plan de sauvetage éloigne de fait les risques de faillite imminente qui pesaient sur l'ex-république soviétique, en récession depuis un an et dont les réserves de change s'amenuisaient chaque jour un peu plus, souligne l'économiste Ivan Tchakarov, de la banque Citi.

«L'afflux d'argent frais de Russie garantit que l'Ukraine remplira ses obligations de paiement l'année prochaine», souligne-t-il.

Ces 15 milliards de dollars sont suffisants pour «combler le trou noir dans la balance des paiements de l'Ukraine pour les 18 mois à venir», estime de son côté Neil Shearing, de Capital Economics.

Et avec cette bouffée d'air frais, M. Ianoukovitch tient avec plus d'assurance les rênes du pouvoir, souligne Alex Brideau, d'Eurasia Group.

Or, ce plan de sauvetage a un coût pour la Russie, elle-même confrontée à une stagnation de son économie qui risque de durer.

Pour venir en aide à son voisin, Moscou a décidé de puiser dans les économies accumulées dans l'un de ses fonds de réserve, le Fonds de prospérité nationale, destiné à l'origine à financer le déficit du système de retraite de sa population vieillissante.

Selon le quotidien Vedomosti, les autorités russes vont devoir violer les règles qu'elles s'étaient fixées pour investir l'argent de ce fonds, qui interdisent d'acheter les titres des émetteurs de mauvaise qualité.

Or, les agences de notation ont relégué depuis longtemps les titres de dette publique de l'Ukraine dans la catégorie des investissements spéculatifs.

De même, la réduction d'un tiers des prix du gaz, de 406 $ les 1000 mètres cubes à 268,5 $, est une grosse concession pour le russe Gazprom qui refusait jusqu'à présent d'accorder une ristourne à son partenaire ukrainien. M. Poutine a du reste souligné que ce rabais était «temporaire», laissant entendre que le prix pourrait être revu à l'avenir.

«La Russie n'a pas tendu la main à Ianoukovitch par pure générosité»

Mais le jeu en vaut la chandelle pour Moscou. «Garder l'Ukraine dans l'orbite russe en empêchant son rapprochement avec l'Europe est la principale motivation de Poutine», commente Maria Lipman, de l'antenne russe du centre Carnegie.

Selon l'experte, «la Russie n'a pas tendu la main à Ianoukovitch par pure générosité».

Les détails de cette aide, négociés en coulisses, sont pour l'heure flous. Mardi, les leaders de l'opposition ukrainienne ont accusé le président Viktor Ianoukovitch d'avoir «mis l'Ukraine en gage» à Moscou pour obtenir ces financements colossaux, et réclamé de savoir ce qui avait été cédé en échange.

Lors de sa rencontre avec M. Ianoukovitch, M. Poutine a assuré que la question de l'adhésion de Kiev à l'Union douanière menée par la Russie, qui suscite les inquiétudes des opposants pro-européens ukrainiens, n'avait pas été évoquée.

Mais les deux pays ont toutefois conclu un accord prévoyant de lever les «limitations commerciales» entre les deux pays jusqu'à fin 2014.

Les analystes soulignent que les obligations que Moscou compte acheter auront une maturité de deux ans, et arriveront à échéance en 2015 juste après les élections présidentielles en Ukraine.

À cette date, la Russie pourrait user de cette arme «pour faire pression sur Kiev», avertit Alex Brideau, de Eurasia Group.

«Que se passera-t-il si Ianoukovitch ne peut rembourser les dettes à ce moment-là?», s'interroge Mme Lipman, soulignant que la Russie pourrait alors peut-être mettre la main sur de grandes entreprises ukrainiennes.

Par ailleurs, l'accord avec la Russie «repousse toutes les réformes structurelles que l'Ukraine doit entreprendre», souligne M. Tchakarov.