L'Ukraine s'est enfoncée un peu plus lundi dans la crise politique à la veille d'une visite controversée du président Viktor Ianoukovitch à Moscou, le parti au pouvoir demandant un remaniement du gouvernement sous la pression de l'opposition pro-européenne.

Le Parti des régions a présenté cette exigence au lendemain d'une nouvelle manifestation-monstre d'opposants à Kiev et tandis que les contestataires, mobilisés depuis plus de trois semaines, accusent M. Ianoukovitch de vouloir «vendre» leur pays à la Russie.

«Nous recevons des informations selon lesquelles le président peut obtenir un rabais sur le prix du gaz russe en échange des gazoducs ukrainiens, une composante stratégique de l'économie ukrainienne», a déclaré lundi soir Vitali Klitschko, l'un des dirigeants de l'opposition.

«Nous ne voulons pas que les intérêts nationaux soient trahis», a-t-il poursuivi.

Pour Oleg Tiagnibok, un autre chef de file de l'opposition, le président ukrainien va chercher à obtenir à Moscou un crédit de cinq milliards de dollars et la baisse du prix du gaz à 200-300 $ contre plus de 400 actuellement.

Le quotidien russe Kommersant estimait pourtant lundi que la situation devenait «pratiquement une impasse» pour M. Ianoukovitch, entre l'opposition soutenue par les Occidentaux d'un côté, et de l'autre une Russie qui pourrait ne pas vouloir tout miser sur un leader à l'avenir peut-être compromis.

Les députés du Parti des régions ont réclamé à l'occasion d'une rencontre avec le premier ministre Mykola Azarov lundi de «remanier à 90 % le gouvernement», a déclaré la parlementaire Anna Guerman.

«Azarov a dit qu'il informerait aujourd'hui le président (...) et que des conclusions en seraient tirées», a-t-elle ajouté.

Les autorités ukrainiennes sont embourbées dans une crise politique inédite depuis la Révolution «orange» de 2004, née du refus fin novembre de Viktor Ianoukovitch de signer un accord d'association avec l'Union européenne, pourtant prévu de longue date, y préférant un rapprochement avec la Russie.

Le chef de l'État a fait valoir que cet accord, vu d'un très mauvais oeil par Moscou, aurait des conséquences désastreuses pour l'économie de l'Ukraine, déjà en récession et au bord de la faillite, et très dépendante de son puissant voisin.

Cette décision a poussé des centaines de milliers d'Ukrainiens pro-européens à descendre dans la rue.

Ils exigent la démission du premier ministre et des élections législatives et présidentielle anticipées.

Le pouvoir ukrainien a affirmé à plusieurs reprises ne pas avoir définitivement renoncé à conclure cet accord d'association et maintenir l'orientation européenne du pays.

L'opposition maintient la pression

Dans leur quatrième semaine de protestation, plusieurs milliers de personnes campaient toujours dans la neige lundi sur la Place de l'Indépendance à Kiev, où une manifestation avait rassemblé dimanche environ 300 000 personnes.

Elles se préparaient à un nouveau rassemblement mardi, jour où M. Ianoukovitch va rencontrer le président Vladimir Poutine à Moscou.

Plusieurs accords devraient être signés à cette occasion, mais aussi bien les autorités ukrainiennes que russes ont affirmé que l'adhésion de l'Ukraine à l'Union douanière pilotée par la Russie n'était pas à l'ordre du jour de cette visite.

Toutefois, le ministre russe de l'Économie Alexeï Oulioukaïev a déclaré lundi qu'une «feuille de route» portant bien sur l'abolition des barrières commerciales entre les deux pays serait examinée.

Le conseiller économique du Kremlin, Andreï Belooussov, a pour sa part déclaré que Moscou pourrait accorder un important crédit à l'Ukraine pour l'aider à sortir de la crise.

Face aux atermoiements du pouvoir ukrainien, le commissaire européen à l'Élargissement Stefan Fuele a annoncé dimanche que les discussions en vue d'un accord d'association avec l'Ukraine étaient suspendues, faute d'«engagement clair» de M. Ianoukovitch à signer ce document.

Mais plusieurs ministres des Affaires étrangères de l'Union européenne ont affirmé lundi à Bruxelles que la porte restait «ouverte» à un accord d'association.

«Nous pensons qu'il est important que l'Ukraine puisse décider sans pressions extérieures», a déclaré William Hague, le ministre britannique, avant une rencontre entre les chefs de la diplomatie de chacun des 28 États-membres avec leur homologue russe Sergueï Lavrov.

«S'il y a un message clair de Kiev, par exemple demain, nous pourrions signer d'ici à la fin de la semaine», a dit pour sa part le ministre suédois, Carl Bildt, ardent défenseur du rapprochement entre l'Ukraine et l'UE.