Les tiraillements au sein du Parti républicain, qui ont mené en début de semaine à la destitution du président de la Chambre des représentants, Kevin McCarthy, menacent à court terme la poursuite de l’aide financière américaine à l’Ukraine.

Bien qu’une majorité d’élus au Congrès, tous partis confondus, continuent de soutenir Kyiv, la paralysie actuelle de la chambre basse résultant de la chute du politicien et l’incertitude entourant les intentions de son éventuel successeur inquiètent l’administration du président Joe Biden.

Le président ukrainien, Volodymyr Zelensky, qui était de passage à Washington il y a quelques semaines pour plaider sa cause, a souligné dans les derniers jours que la situation est « dangereuse » pour l’Ukraine.

« Si l’aide américaine devait s’arrêter, l’impact serait dévastateur pour l’offensive ukrainienne et affecterait même la capacité de l’armée à résister aux troupes russes », souligne Mark Cancian, un analyste du Center for Strategic and International Studies.

La crise politique en cours à Washington découle de l’action d’un noyau d’élus républicains radicaux proches de l’ex-président Donald Trump qui se montrent hostiles à la prolongation de l’aide à l’Ukraine, arguant que l’argent devrait plutôt servir à résoudre des problèmes intérieurs, comme la gestion des frontières.

Pas d’argent pour Kyiv

Ces quelques élus ont précipité la chute de Kevin McCarthy en lui reprochant d’avoir fait voter, avec le camp démocrate, une enveloppe budgétaire temporaire ayant permis d’assurer, au moins jusqu’à la mi-novembre, le financement des agences fédérales.

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Le président déchu de la Chambre des représentants, Kevin McCarthy

L’enveloppe en question n’incluait pas d’argent pour Kyiv. L’administration Biden, qui souhaite faire approuver par le Congrès des dépenses additionnelles de 24 milliards de dollars à cette fin, espérait y parvenir par la suite, mais la destitution du président de la Chambre des représentants a changé la donne.

Deux élus républicains ont manifesté jusqu’à maintenant leur intérêt pour prendre la tête de la Chambre des représentants. Le premier, Steve Scalise, n’est pas considéré comme étant hostile à la poursuite de l’aide à l’Ukraine contrairement au second, Jim Jordan, qui bénéficie de l’appui de Donald Trump.

Un vote pour les départager pourrait avoir lieu la semaine prochaine, mais rien ne dit que la nomination se fera rapidement puisqu’il avait fallu quinze tours de vote pour faire élire M. McCarthy.

Scott Anderson, de la Brookings Institution, note qu’un président de la Chambre hostile à l’attribution d’une aide substantielle à l’Ukraine pourrait refuser de soumettre la question au vote en usant de ses pouvoirs.

« Il ferait sans doute l’objet d’importantes pressions politiques, mais c’est théoriquement possible », dit-il.

Alors que l’incertitude perdure sur le plan politique, les budgets déjà approuvés pour soutenir Kyiv s’épuisent.

Étirer les ressources

Le Pentagone a prévenu récemment que l’administration américaine peut encore acheminer près de 4 ou 5 milliards de matériel militaire en puisant dans les arsenaux existants, mais n’a les fonds que pour en remplacer le tiers.

Avec les ressources disponibles, la fourniture de matériel militaire pourrait être étirée jusqu’à la fin de l’année, mais l’armée ukrainienne commencerait à voir une différence dans l’approvisionnement dès la mi-novembre, souligne M. Cancian.

Une partie de la solution, si l’impasse perdure, pourrait venir de l’Europe, qui se dit déterminée à intensifier ses efforts.

Il paraît cependant peu probable que les pays de la région soient en mesure de pallier le soutien américain s’il devait ultimement se tarir, souligne Dominique Arel, un spécialiste de l’Ukraine rattaché à l’Université d’Ottawa.

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Dominique Arel, spécialiste de l’Ukraine

Beaucoup d’États du continent ont déjà fourni une part substantielle de leur arsenal et font face à des problèmes de logistique importants pour relancer leur capacité de production industrielle d’armements, dit-il.

« Les commandes qui sont passées aujourd’hui ne vont pas résoudre le problème du soutien à court terme », souligne l’analyste, qui ne craint pas par ailleurs de voir l’appui à la cause ukrainienne s’étioler en Europe.

Un parti chapeauté par un dirigeant prorusse promettant d’en finir avec l’aide ukrainienne a récemment remporté les élections en Slovaquie, mais il ne semble pas en position de freiner les actions de l’Union européenne sur ce plan.

Comme la Hongrie, qui est critique du soutien à l’Ukraine, le petit pays est très dépendant du soutien financier européen pour son développement et voudra éviter tout affrontement frontal sur ce plan, note M. Arel.