(New York) Coiffée d’un chapeau de paille, Lina Montoya parle du soleil. Pas celui qui plombe sur Sunset Park en cette journée torride de juillet, mais celui qui jaillira d’une nouvelle murale dont ce quartier ouvrier de Brooklyn pourra bientôt s’enorgueillir.

« Le soleil était un autre élément que les gens voulaient voir dans la murale », explique l’artiste, pendant que des élèves et des bénévoles appliquent de la peinture sur des toiles de parachute qui seront assemblées et collées sur la partie supérieure d’un des murs extérieurs d’une école publique.

« Parce que nous sommes dans un quartier qui s’appelle Sunset Park. Parce que les gens peuvent voir le soleil couchant à partir du parc. Ça semble un peu redondant, mais c’est la réalité », ajoute-t-elle en esquissant un sourire.

Âgée de 35 ans, Lina Montoya aborde ainsi la façon dont l’organisation Groundswell choisit les thèmes des murales dont elle peut revendiquer la paternité depuis plus de 25 ans dans les cinq arrondissements de New York, et dont le nombre dépasse aujourd’hui 600.

Dans un premier temps, les élèves qui participent au programme phare de l’organisation consultent les gens du voisinage pour déterminer ce qu’ils voudraient voir dans une murale. Dans le cas de Sunset Park, outre le soleil, le sport, la musique et la langue ont été mentionnés.

PHOTO RICHARD HÉTU, COLLABORATION SPÉCIALE

L’artiste du collectif Groundswell Lina Montoya.

« La communauté hispanique et la communauté asiatique ont grandement contribué à l’élaboration de la murale, dit Lina Montoya. On pourra donc y voir des éléments de ces communautés. »

Les artistes de Groundswell traduisent ensuite les idées en images. Idées qui ne sont pas toujours consensuelles, comme l’ont démontré par le passé des murales consacrées à l’embourgeoisement, à la violence par arme à feu ou au harcèlement sexuel dans la rue, par exemple.

« Un peu utopique »

Puis vient le jour où les élèves et les bénévoles se rassemblent pour peindre la murale selon l’ébauche de l’artiste.

« Nous transformons les communautés une murale à la fois », résume Lina Montoya, native de Medellín, en Colombie, qui a participé à la création d’une cinquantaine de murales à New York depuis 2014, en plus de concevoir d’autres projets d’art public, dont de nombreuses installations sur des clôtures.

« Cela semble un peu utopique, un peu naïf peut-être. Mais quand on va dans la communauté, quand on suit le processus et qu’on voit les gens sourire en contemplant le résultat de leur contribution, on se rend compte qu’il est possible d’avoir un impact, même si ce n’est qu’un moment. »

PHOTO RICHARD HÉTU, COLLABORATION SPÉCIALE

Murale en cours de réalisation.

Raúl Ayala, artiste et éducateur originaire de l’Équateur, fait le même constat. Ces jours-ci, il travaille avec des élèves à la création d’une fresque sur un des murs extérieurs d’un supermarché de Bushwick, autre quartier de Brooklyn à forte population d’immigrés.

La façon dont nous travaillons est très transformatrice, en particulier pour les jeunes. Il ne s’agit pas seulement de peinture. Il s’agit de s’organiser, de communiquer dans un environnement difficile où il y a des conflits, où il y a beaucoup de monde, où il y a beaucoup de choses dont il faut s’occuper. Nous devons vraiment nous soutenir les uns les autres pour pouvoir créer ce genre de peinture.

Raúl Ayala

À New York, Raúl Ayala ne retient pas seulement l’attention pour ses contributions aux projets de Groundswell. En 2020, il a été invité à créer une œuvre sur le célèbre Bowery Wall, situé dans le quartier Lower East Side de Manhattan, qui avait déjà accueilli les plus grands artistes de rue, dont le regretté Keith Haring au début des années 1980 et le Britannique Banksy en 2018.

L’enjeu des graffitis

« C’était un site historique, lance-t-il. Plusieurs bons artistes de rue y avaient créé des œuvres. J’étais content d’en faire partie et de travailler avec un groupe de jeunes artistes très talentueux. »

Raúl Ayala est cependant l’un des derniers peintres muralistes à avoir pu s’exprimer sur le Bowery Wall, qui se dresse à l’intersection des rues Houston et Bowery. Car le propriétaire du mur, Goldman Global Arts, a suspendu l’an dernier le programme qui permettait, chaque année, à un artiste de rue de créer une nouvelle fresque.

Dans un message publié sur Instagram, Jessica Goldman, conservatrice du Bowery Wall, a justifié la pause en mettant en cause les tags de plus en plus envahissants. « Bien que nous comprenions et approuvions la nature rebelle de l’art de la rue et des graffitis, nous considérons que ces attaques sont malavisées », a-t-elle écrit en publiant à l’appui une photo où le mot « HOOLIGAN » s’étalait en lettres majuscules sur la surface entière de la murale la plus récente.

Raúl Ayala adopte une attitude philosophique face à la décision des propriétaires du Bowery Wall.

« Je sais que les choses changent dans le domaine de l’art public, dit-il. On ne sait jamais combien de temps une œuvre va durer. Vous pouvez passer beaucoup de temps à travailler sur une pièce qui ne sera là qu’un jour, alors que d’autres survivront pendant 15 ans. C’est une conversation avec la rue. Le graffiti est un autre domaine de l’art public que je respecte. »

L’attitude de Groundswell à l’égard des graffitis est plus proactive que philosophique. L’organisation a commencé récemment à couvrir ses murales d’une couche protectrice qui permet d’effacer facilement les graffitis plutôt que d’avoir à repeindre minutieusement les parties taguées.

PHOTO JAIME ROJO

Raul Ayala oeuvrant sur le Bowery Wall.

Mais le directeur de Groundswell assure qu’il ne s’agit pas d’un problème majeur.

Un important commanditaire

Et la participation de chaque communauté à la création des murales y est pour beaucoup, selon lui.

« Nous ne sommes peut-être pas connus partout sur le plan commercial, mais nous avons un effet dans chaque quartier où nous nous rendons », dit José Ortiz, un artiste visuel qui dirige Groundswell depuis deux ans. « Il y a un changement qui résulte de notre relation avec la communauté. C’est ce qui permet de préserver les murales. Il ne s’agit pas seulement de commencer et de terminer un projet. Il s’agit du processus que nous suivons, du nombre de conversations, de réunions et de discussions que nous avons. C’est un véritable témoignage de ce que cela signifie d’être socialement actif dans une communauté. »

Dans Sunset Park, cette approche a valu à Groundswell un commanditaire aux moyens quasiment illimités : Paramount. Ce conglomérat, qui regroupe notamment les chaînes CBS, MTV et BET, en est à sa deuxième collaboration avec l’organisation.

Son engagement découle d’une initiative lancée par BET (Black Entertaiment Television) dans la foulée du meurtre de George Floyd à Minneapolis, selon Adam Robinson, vice-président pour la responsabilité sociale à Paramount.

« Cela part de l’idée que nous pouvons utiliser les représentations et les histoires que nous racontons pour éradiquer la perpétuation des stéréotypes et du racisme dans les contenus médiatiques », explique-t-il sur le site de la création de la nouvelle murale de Sunset Park.

Non loin de lui, Lina Montoya admet avoir déjà un faible pour la murale en devenir.

« Elle me tient particulièrement à cœur en raison de son échelle. Nous pourrons la voir du BQE », dit-elle en faisant référence à l’autoroute surélevée qui relie l’arrondissement de Brooklyn à celui de Queens et qui traverse Sunset Park. « C’est un mur immense. Et le fait qu’une équipe de 25 jeunes ait été employée dans le cadre du programme rend le projet encore plus pertinent. »