Les États-Unis pourraient s’être rendus coupables de « crimes contre l’humanité » en détenant pendant des années à la prison de Guantánamo des personnes soupçonnées de terrorisme sans leur offrir la possibilité de faire valoir leur innocence, voire parfois de connaître la nature exacte des preuves à leur encontre.

Cette mise en garde figure dans un nouveau rapport du Groupe de travail sur la détention arbitraire des Nations unies qui passe en revue les dérapages survenus au sein de l’établissement situé dans l’île de Cuba en relatant les démêlés d’un détenu d’origine palestinienne, Abu Zubaydah.

L’homme de 52 ans a été appréhendé en 2002 au Pakistan et transféré subséquemment dans une série de prisons secrètes supervisées par la CIA en Europe, en Afrique et en Asie.

Il a été torturé à plusieurs reprises avant d’être amené à Guantánamo en 2006, où il demeure détenu aujourd’hui.

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Abu Zubaydah

Abu Zubaydah n’a jamais été accusé formellement par les autorités américaines, qui refusent de le remettre en liberté malgré les nombreux appels en ce sens formulés par les organisations de défense des droits de la personne au fil des ans.

Lien avec Al-Qaïda ?

Le détenu était soupçonné initialement par les États-Unis d’être un proche collaborateur du leader d’Al-Qaïda Oussama ben Laden. Il a été la cible à ce titre de pratiques d’interrogatoire si extrêmes que les services de renseignements ont exigé qu’il soit détenu « en isolement et incommunicado pour le restant de ses jours ».

Le ressortissant palestinien a notamment été confiné en août 2002 pendant plus de 250 heures dans une boîte en bois en forme de cercueil et soumis à des dizaines de reprises à la simulation de noyade, forçant au moins une fois ses interrogateurs à le « ressusciter ».

Faute de preuves compromettantes, le gouvernement américain a reconnu en 2008 qu’Abu Zubaydah n’avait aucun lien avec Al-Qaïda, mais a refusé pour autant de le libérer, arguant qu’il continuait à poser un risque pour la sécurité du pays.

Le détenu, qui n’a pu bénéficier des services d’un avocat qu’après plusieurs années de détention, a été soumis trois fois en vingt ans à un processus de révision de statut empreint d’irrégularités qui n’a rien changé à sa situation.

À deux reprises, il était représenté par un militaire sans formation juridique qui ne connaissait pas les détails de sa cause lors de l’audience.

Tentant de profiter d’une décision de la Cour suprême précisant que les détenus de Guantánamo pouvaient contester leur détention devant les tribunaux américains, il a formulé une demande qui est restée sans suite.

Il a par ailleurs demandé à plusieurs reprises aux autorités à Guantánamo de l’accuser devant les commissions militaires mises sur pied à cette fin, sans succès.

Raison toujours « inconnue »

Le groupe d’experts des Nations unies note que la détention pour des raisons de sécurité d’un individu hors du cadre d’un conflit armé nécessite la preuve d’une menace « directe et imminente » qui n’a jamais été démontrée dans le cas d’Abu Zubaydah.

La vraie raison de sa détention prolongée « demeure inconnue », relèvent-ils dans le rapport, tout en soulignant que la demande de la CIA voulant qu’il ne soit jamais relâché continue visiblement de peser dans l’équation.

Détenir quelqu’un pour prévenir l’embarras ou l’imputabilité découlant de la torture ou d’autres crimes constitue une forme de détention arbitraire.

Extrait du rapport du Groupe de travail sur la détention arbitraire des Nations unies

Le groupe onusien écorche au passage une demi-douzaine de pays ayant assisté les États-Unis dans le processus.

Les experts, qui s’inquiètent de la santé mentale et physique d’Abu Zubaydah, demandent qu’il soit relâché « immédiatement » et soit indemnisé pour ce qu’il a subi.

Ils pressent par ailleurs les États mis en cause d’ordonner la tenue d’enquêtes indépendantes pour identifier les personnes responsables des abus subis et les sanctionner.

Le Groupe de travail sur la détention arbitraire relève, du même souffle, que les conclusions avancées relativement à la situation d’Abu Zubaydah s’appliquent au cas de plusieurs autres détenus à Guantánamo et illustrent une pratique préoccupante qui pourrait ultimement constituer la base d’accusations de crimes contre l’humanité.

La Cour européenne des droits de l’homme avait rendu une autre décision favorable au détenu en 2018 en condamnant la Lituanie à lui verser une somme de 150 000 $ pour avoir accepté l’ouverture d’une prison secrète où il a été torturé.

  • Illustration de sévices qu’aurait subis Abu Zubaydah

    IMAGE FOURNIE PAR MARK P. DENBEAUX, ARCHIVES LA PRESSE

    Illustration de sévices qu’aurait subis Abu Zubaydah

  • Illustration de sévices subis par Abu Zubaydah

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    Illustration de sévices subis par Abu Zubaydah

  • Illustration de sévices subis par Abu Zubaydah

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    Illustration de sévices subis par Abu Zubaydah

  • Illustration de sévices subis par Abu Zubaydah

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    Illustration de sévices subis par Abu Zubaydah

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Il avait aussi attiré l’attention sur sa situation il y a quelques années en divulguant, par l’entremise de ses avocats, une série d’illustrations témoignant de la manière dont il a été torturé.

La directrice de l’organisation Human Rights in Practice, Helen Duffy, qui représente Abu Zubaydah, a indiqué que l’expérience vécue par son client illustrait les « pires dérives de la guerre au terrorisme » lancée par les États-Unis en réponse aux attentats du 11 septembre 2001.

« Nous devons reconnaître que la guerre au terrorisme, telle qu’elle a été menée depuis 20 ans, est un échec. Mais on ne peut pas prétendre en tirer des leçons tant que l’on continue à répéter ses pires dérives », a-t-elle noté.

L’histoire jusqu’ici

2002 : En réponse aux attentats du 11 septembre 2001, l’administration américaine entreprend d’appréhender des centaines de présumés terroristes partout dans le monde. Nombreux sont acheminés à Guantánamo.

2009 : Le président Barack Obama annonce vouloir fermer Guantánamo, mais se bute à une forte opposition. Des centaines de détenus jugés inoffensifs sont transférés vers leur pays d’origine ou un pays tiers.

2020 : Après des années de surplace sous l’administration Trump, Joe Biden relance les transferts. La prison compte aujourd’hui une trentaine de détenus, dont Abu Zubaydah.