Les pleurs des enfants. Les sièges devenus prisons de ferraille. Le traumatisme du lendemain. Deux chefs secouristes encore secoués par l'opération de sauvetage se confient à La Presse.

«Je n'avais jamais entendu ce cri-là avant mardi soir. C'était de la pure terreur.» Même après 20 ans de carrière, rien n'avait préparé Alain Rittiner à la scène d'horreur dont il a été témoin dans le tunnel de Sierre, où 28 personnes, dont 22 enfants d'une douzaine d'années, ont perdu la vie dans un accident d'autocar.

De son propre aveu, le chef des secours du canton du Valais a effacé de sa mémoire certaines images de cette nuit infernale. Trop insoutenables.

Les hurlements des enfants, cependant, le hantent toujours. «On les a entendus pendant longtemps», dit-il. Un ange passe. «Le plus dur c'était qu'au fil du temps, les cris s'affaiblissaient. Nous savions que nous étions en train d'en perdre», ajoute l'homme de 47 ans, étonnant de force tranquille.

Opération sous haute tension

Les procédures pour libérer les victimes de la carcasse de l'autocar étaient extrêmement compliquées. Les sièges arrière s'étaient projetés vers l'avant sous l'impact de la collision frontale contre une paroi du tunnel. Les passagers ont été propulsés les uns vers les autres.

Les secouristes ont été forcés de retirer les sièges à partir de l'arrière, une rangée après l'autre, à l'aide de pinces de désincarcération. Les pompiers de Reynold Favre, commandant des services d'incendie de Sierre, ont hérité de cette tâche vitale.

«Ils devaient casser des vitres pour s'introduire dans le véhicule, dit M. Favre, le teint encore blême, à La Presse. Ils devaient jouer d'agilité pour ne pas aggraver les blessures des enfants.»

Mais une autre difficulté les attendait à l'intérieur du véhicule: la plupart des enfants, des vacanciers originaires de la Belgique flamande, ne parlaient pas français.

«Il fallait leur expliquer ce qu'on faisait et ce qui allait se passer, dit Alain Rittiner, en entrelaçant ses doigts aux ongles rongés. Nous n'avions pas le temps de trouver des interprètes. Ce que nous leur avons donné comme échange, c'est un regard. Nous nous sommes traversés des yeux, si vous voulez.»

«Les sauveteurs les ont pris par la main. Les enfants s'accrochaient, se cramponnaient à eux», poursuit l'homme charpenté comme une armoire à glace.

Traumatisés

Les secouristes pouvaient-ils être psychologiquement préparés à ce qui les attendait dans le tunnel infernal, mardi dernier à 21h30? «Jamais, rétorque immédiatement Reynold Favre. Vous pouvez avoir les meilleures formations, du moment que ça touche un enfant et que vous en avez un du même âge à la maison, les repères sont perdus. C'est quelque chose de très lourd à porter.»

«Quand on voit un enfant en difficulté, c'est comme le nôtre, corrobore M. Rittiner. On veut lui sauver la vie, point barre.»

Certains ont craqué, trop bouleversés de voir des petits corps aux multiples fractures. Ils ont été soutenus par une cellule d'aide psychologique, dépêchée sur les lieux.

Toutefois, les séquelles post-traumatiques accablent toujours plusieurs membres de l'équipe d'Alain Rittiner, qui se dit préoccupé par leur état psychologique. Des félicitations provenant de l'Europe, des États-Unis et même du Québec ne suffisent pas à faire accepter la mort des 22 enfants.

«J'essaie de leur faire comprendre qu'ils ont fait un super job, qu'ils ont sauvé des vies», dit le père de deux enfants.

Au terme de la nuit de mardi, les deux hommes forts de l'extraordinaire opération de secours ont eu le même réflexe: serrer leurs enfants dans leurs bras. «C'est égoïste, mais c'est comme ça», dit Alain Rittiner, le regard baissé.